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11/02/2022 | FRANCE | N°452354

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 11 février 2022, 452354


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire enregistrés les 17 novembre 2020 et 26 février 2021 au secrétariat de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au Conseil d'Etat d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de prendre les mesures qu'implique l'exécution de l'ordonnance n° 2000048 du 19 février 2020 ainsi que des décisions n° 439372, 439444 du 19 octobre et 439444 du 18 novembre 2020 par lesquelles le juge des référés du tribunal administratif

de Nouvelle-Calédonie, d'une part, et le Conseil d'Etat, statuant au ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire enregistrés les 17 novembre 2020 et 26 février 2021 au secrétariat de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au Conseil d'Etat d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de prendre les mesures qu'implique l'exécution de l'ordonnance n° 2000048 du 19 février 2020 ainsi que des décisions n° 439372, 439444 du 19 octobre et 439444 du 18 novembre 2020 par lesquelles le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, d'une part, et le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, d'autre part, ont enjoint à l'administration pénitentiaire de prendre certaines mesures de nature à améliorer les conditions de détention des personnes détenues au centre pénitentiaire de Nouméa.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Section francaise de l'Observatoire international des prisons ;

Vu la note en délibéré présentée le 28 janvier 2022 par la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

Vu la note en délibéré présentée le 3 février 2022 par le garde des sceaux, ministre de la justice.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. / Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte ". L'article R. 921-2 du même code dispose que : " La demande d'exécution d'un jugement frappé d'appel, même partiellement, est adressée à la juridiction d'appel (...) ". L'exécution d'une ordonnance prise par le juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, peut être recherchée dans les conditions définies par le livre IX du même code, et en particulier par les articles L. 911-4 et L. 911-5.

Sur l'exécution de l'ordonnance du 19 février 2020 :

2. Par une ordonnance du 19 février 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, statuant à la demande de la Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP) sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint à l'administration pénitentiaire :

- de faire cesser les différents manquements à l'hygiène constatés dans les quartiers du centre de détention pour hommes notamment dans les cellules " conteneurs maritimes " ;

- de mettre à même les détenus qui n'ont accès ni à un lave-linge, ni à un service de buanderie de pouvoir laver leur linge en leur fournissant le matériel nécessaire à cet effet ou en s'assurant qu'ils en sont dotés ;

- de s'assurer de la mise aux normes des installations électriques notamment dans les cellules " conteneurs maritimes " ;

- de procéder de manière diligente au remplacement des ventilateurs cassés ou défectueux compte tenu des températures élevées supportées par les détenus ;

- d'apporter le cas échéant par des mesures transitoires dans l'attente de solutions pérennes, une solution aux remontées d'égout qui déposent dans les cours promenades des excréments et détritus, de prendre toutes mesures utiles et nécessaires à prévenir les remontées d'égouts ;

- de faire cesser les différents manquements à l'hygiène dans la maison d'arrêt en procédant si cela est nécessaire au nettoyage des locaux le cas échéant en recourant à un prestataire ;

- de fournir aux détenus placés en cellules " conteneurs maritimes " qui n'ont pas accès à une machine à laver le matériel nécessaire pour qu'ils puissent effectuer la lessive de leur effets personnels et de s'assurer dans un bref délai de la mise aux normes des installations électriques au sein de la maison d'arrêt ;

- de prendre des mesures mêmes transitoires pour l'aménagement des salles d'attente insalubres et de réduire les délais d'attente dans ces salles ;

- de garantir l'accès effectif des détenus aux téléphones mis à leur disposition dans les cours de promenades ;

- de prendre des mesures mêmes transitoires afin que des conditions minimales d'intimité puissent être offertes dans les parloirs aux détenus qui reçoivent leur famille ;

- de remédier dans les meilleurs délais à l'insalubrité des points d'eau et sanitaires du quartier des mineurs ;

- de prendre dans les plus brefs délais les mesures nécessaires au recrutement et à la rémunération d'un médecin addictologue au centre pénitentiaire de Nouméa ;

- enfin, de prendre toutes mesures de nature à faire cesser la prolifération des moustiques en dotant notamment les fenêtres des salles d'enseignement et des cellules infestées de moustiquaires et en distribuant aux détenus des produits répulsifs.

En ce qui concerne l'hygiène dans le quartier du centre de détention pour hommes et de maison d'arrêt, notamment dans les cellules " conteneurs maritimes " :

3. Il résulte de l'instruction que les conditions d'hygiène au sein du centre pénitentiaire de Nouméa se sont améliorées au cours de l'année 2020. Si cette amélioration découle en partie de la diminution de la densité carcérale liée à la crise sanitaire, l'administration a engagé, au cours de l'année 2021, un projet de réfection de l'ensemble de l'établissement, dont le marché de maîtrise d'œuvre a été signé le 15 juin 2021, pour une durée de 4 ans. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les autorités du centre de détention ont eu recours à des prestataires pour un nettoyage approfondi du centre dans le courant de l'année, tandis que des bassines, des serpillères et du savon ont été distribués gratuitement aux détenus. Enfin, une formation relative à l'hygiène a été dispensée aux auxiliaires du bâtiment et de la cuisine.

En ce qui concerne la possibilité donnée aux prisonniers de laver leur linge :

4. Il résulte de l'instruction que le centre pénitentiaire de Nouméa a installé des espaces " laverie " dans chaque bloc du quartier maison d'arrêt pour homme composés d'un lave-linge et d'un sèche-linge. Par ailleurs, une distribution gratuite de bassines et de lessive au quartier de préparation de sortie a été organisée pour pallier l'insuffisance des équipements.

En ce qui concerne la mise au norme des installations électriques :

5. Il résulte de l'instruction que la mise aux normes des installations électriques est organisée dans le cadre du projet de réfection cité au point 3.

En ce qui concerne le remplacement des ventilateurs cassés ou défectueux :

6. Il résulte de l'instruction, d'une part, que les ventilateurs muraux sont remplacés au fur et à mesure de leur dégradation et, d'autre part, que la rénovation des ventilateurs est prévue dans le cadre du projet de réfection cité au point 3.

En ce qui concerne les remontées d'égouts dans les promenades :

7. Il résulte de l'instruction que, depuis le 22 mars 2021, un prestataire intervient quotidiennement dans la prison pour pomper et dégager la principale jonction des canalisations du réseau. Par suite, le ministre doit être regardé comme ayant mis en œuvre les mesures ordonnées par le juge des référés du tribunal administratif dans cette mesure.

En ce qui concerne l'aménagement des salles d'attente insalubres :

8. Il résulte de l'instruction que l'ancien espace d'attente, jugé indigne, a été détruit dans le cadre des travaux du quartier disciplinaire et d'isolement ayant débuté le 12 octobre 2020. Cet espace a, depuis, été remplacé par de nouvelles salles d'attente aménagées dans les cours de promenade.

En ce qui concerne les parloirs :

9. Il résulte de l'instruction, et notamment de photographies produites par le ministre, que la grande salle de parloirs du centre pénitentiaire a été repeinte, que le système de climatisation a été installé, que le nombre de tables accueillant les détenus et leurs familles a été réduit d'un tiers, passant de douze à huit, et que l'administration a installé des cloisons entre les tables.

En ce qui concerne l'accès des personnes détenues aux téléphones mis à leur disposition :

10. Si le ministre indique que le déploiement de téléphones fixes dans l'ensemble des cellules est prévu, il ne justifie pas avoir adopté des mesures organisationnelles facilitant l'accès des personnes détenues aux téléphones déjà mis à leur disposition dans les cours de promenade dans l'attente de celui-ci. Il ne produit en particulier aucun document permettant d'attester que le personnel de l'établissement et les détenus ont été informés de possibilités étendues d'accès à ces téléphones, comme par exemple une note de service opposable à l'administration.

En ce qui concerne l'insalubrité des points d'eau et des sanitaires du quartier des mineurs :

11. Si le ministre soutient que les sanitaires du quartier des mineurs sont dans un état satisfaisant de propreté, il ressort de l'instruction, et notamment des photographies annexées au constat d'huissier qu'il produit, que les sanitaires et les points d'eau du quartier des mineurs présentent, pour une partie au moins d'entre eux, un état de délabrement et d'insalubrité caractérisé.

En ce qui concerne le suivi des personnes détenues par un médecin addictologue :

12. Il résulte de l'instruction que le ministre a saisi, par un courrier du 6 janvier 2021, le directeur des affaires sanitaires et sociales de la Nouvelle Calédonie sollicitant son intervention pour qu'un médecin addictologue assure le suivi des personnes détenues au centre pénitentiaire de Nouméa. Par ailleurs, il indique dans ses écritures que toutes les personnes condamnées remplissant les conditions requises bénéficient de permissions de sortir afin de se rendre au centre d'addictologie de Nouméa. Toutefois, il ne produit aucun élément permettant de s'assurer que les détenus sont effectivement informés de cette possibilité ni de précisions quant aux conditions à remplir. En particulier, aucune note de service ou d'information des détenus n'est produite au dossier.

En ce qui concerne la prolifération des moustiques :

13. Il résulte de l'instruction que l'administration a engagé un prestataire pour un traitement de désinsectisation des moustiques par nébulisation, dont la dernière intervention a eu lieu le 31 mai 2021. Toutefois, l'administration ne justifie pas avoir distribué, à titre gratuit, des produits répulsifs aux personnes détenues dans des cellules infestées, ni doté de moustiquaires les fenêtres des salles d'enseignement et des cellules infestées.

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 10 à 13 qu'il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 911-5 du code de justice administrative, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer contre l'Etat, à défaut pour lui de justifier d'une exécution complète de l'ordonnance du 19 février 2020 dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 1 000 euros par jour de retard jusqu'à la date à laquelle cette ordonnance aura reçu une complète exécution.

Sur l'exécution des décisions n° 439372 et 439444 des 19 octobre et 18 novembre 2020 :

15. Saisi par la voie de l'appel par le ministre de la justice et la Section française de l'Observatoire international des prisons, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, outre les injonctions prononcées par le premier juge, par une décision n° 439372, 439444 du 19 octobre 2020, enjoint à l'administration pénitentiaire de procéder, dans les plus brefs délais, à l'installation d'abris dans les cours de promenades du centre pénitentiaire qui en sont dépourvues, d'assurer la séparation des annexes sanitaires dans l'ensemble des cellules où sont détenues plus d'une personne, de prendre toute mesure susceptible d'améliorer la luminosité des cellules et de procéder au remplacement des fenêtres défectueuses. Par une décision n° 439444 du 18 novembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a également enjoint à l'administration d'aménager, dans les plus brefs délais, les abords des conteneurs utilisés comme cours de promenade et de procéder à l'installation d'urinoirs dans les cours de promenade du centre de détention fermé.

En ce qui concerne l'installation d'abris dans les cours de promenade :

16. Il résulte de l'instruction que l'administration a engagé des travaux visant à installer des abris dans les cours de promenade. Ces travaux sont en cours d'exécution.

En ce qui concerne la séparation des annexes sanitaires dans les cellules :

17. Il résulte de l'instruction que l'administration a installé des rideaux opaques dans les cellules pour isoler l'entrée de l'espace sanitaire.

En ce qui concerne la luminosité des cellules :

18. Il résulte de l'instruction que l'administration a acquis 500 nouvelles ampoules LED pour améliorer la luminosité des cellules.

En ce qui concerne l'aménagement des abords des conteneurs utilisés comme cours de promenade :

19. Il résulte de l'instruction que les abords des conteneurs utilisés comme cours de promenade au sein du quartier disciplinaire et d'isolement ont été aménagés de sorte que les personnes détenues dans ces quartiers ont désormais accès à une cour de promenade, à un point d'eau et à un urinoir.

En ce qui concerne l'installation d'urinoirs dans les cours de promenade du centre de détention fermé :

20. Il résulte de l'instruction que des urinoirs ont été installés dans les cours de promenade du centre de détention.

En ce qui concerne le remplacement des fenêtres défectueuses :

21. Si le ministre indique que les fenêtres ont vocation à être remplacées dans le cadre du programme de réfection des cellules mentionné au point 3 et que les fenêtres cassées ou défectueuses sont remplacées ou réparées, il ne produit aucune pièce permettant de l'attester. Par suite, il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 911-5 du code de justice administrative, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer contre l'Etat, à défaut pour lui de justifier d'une exécution complète de la décision du 19 octobre 2020 dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 1 000 euros par jour de retard jusqu'à la date à laquelle la décision du 19 octobre 2020 aura reçu une complète exécution.

22. Il résulte de tout ce qui précède que, s'il y a lieu de prononcer contre l'Etat l'astreinte énoncée aux points 14 et 21, il n'y a pas lieu en revanche de faire droit aux conclusions de la SFOIP en tant qu'elles portent sur l'exécution des autres mesures d'injonctions prononcées par le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Une astreinte de 1 000 euros par jour est prononcée à l'encontre de l'Etat s'il n'est pas justifié de l'exécution des injonctions de l'ordonnance du 19 février 2020 mentionnées aux points 10 à 13 et de celle de la décision du 19 octobre 2020 mentionnée au point 21 dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 2 : Le garde des sceaux, ministre de la justice, communiquera à la section du rapport et des études copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 janvier 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 11 février 2022.

Le président:

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur

Signé : M. David Moreau

La secrétaire:

Signé : Mme A... B...


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 452354
Date de la décision : 11/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exécution

Publications
Proposition de citation : CE, 11 fév. 2022, n° 452354
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:452354.20220211
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