Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 avril, 12 juillet et 9 novembre 2021, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT (UFSE-CGT), la Fédération CGT des services publics, la Confédération générale du travail (CGT), la Fédération syndicale unitaire (FSU) et la Fédération de l'action sociale et de la santé demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la décision du 5 octobre 2021 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'UFSE-CGT et autres ;
- la décision n° 2021-956 QPC du 10 décembre 2021 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'UFSE-CGT et autres ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Union fédérale des syndicats de L'Etat CGT (UFSE-CGT), de la Fédération CGT des services publics, de la Confédération générale du travail (CGT), de la Fédération syndicale unitaire (FSU) et de la Fédération de l'action sociale et de la santé ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 janvier 2022, présentée par l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 8 sexies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de l'ordonnance attaquée du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique : " Les mesures réglementaires incluses dans les accords mentionnés au II de l'article 8 bis ne peuvent porter sur des règles que la loi a chargé un décret en Conseil d'Etat de fixer, ni modifier des règles fixées par un décret en Conseil d'Etat ou y déroger. / Ces mesures réglementaires ne sont pas soumises à la consultation préalable des organismes consultatifs le cas échéant compétents ". Aux termes de l'article 8 octies de cette même loi, issu de la même ordonnance : " (...) II.- Un comité de suivi est désigné pour chaque accord conclu. Il est composé de membres désignés par les organisations syndicales signataires de l'accord et de représentants de l'autorité administrative ou territoriale compétente. / III.- Ces accords peuvent être modifiés par des accords conclus dans le respect de la condition de majorité déterminée au I de l'article 8 quater et selon des modalités précisées par voie réglementaire. / L'autorité administrative signataire d'un accord peut suspendre l'application de celui-ci pour une durée déterminée en cas de situation exceptionnelle et dans des conditions précisées par voie réglementaire. / Les accords peuvent faire l'objet d'une dénonciation totale ou partielle par les parties signataires selon des modalités prévues par voie réglementaire. Lorsqu'elle émane d'une des organisations syndicales signataires, la dénonciation doit répondre aux conditions prévues au I de l'article 8 quater. Les clauses réglementaires que, le cas échéant, comporte un accord faisant l'objet d'une telle dénonciation restent en vigueur jusqu'à ce que le pouvoir réglementaire ou un nouvel accord les modifie ou les abroge ".
Sur l'intervention de l'Union syndicale Solidaires Fonction Publique :
2. L'Union syndicale Solidaires Fonction Publique justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée. Ainsi, son intervention est recevable.
Sur la légalité externe de l'ordonnance :
3. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, les dispositions de l'ordonnance attaquée relatives à la dispense de consultation des organismes consultatifs compétents sur les mesures réglementaires incluses dans les accords figuraient dans le projet de texte soumis à l'avis du Conseil commun de la fonction publique le 18 décembre 2020 et, d'autre part, la question du respect des conditions de majorité pour la modification, la suspension et la dénonciation des accords a fait l'objet d'un échange au cours de cette même réunion. Par suite, le moyen tiré de ce que ce conseil n'aurait pas été mis à même d'exprimer son avis sur ces questions doit être écarté.
Sur la légalité interne de l'ordonnance :
4. En premier lieu, les mesures réglementaires susceptibles d'être incluses dans un accord collectif ont nécessairement fait l'objet d'une négociation avec les organisations syndicales représentatives préalablement à la conclusion de l'accord. Par suite, les dispositions de l'article 8 sexies de la loi du 13 juillet 1983, issues de l'ordonnance attaquée, ne méconnaissent pas le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail.
5. En deuxième lieu, d'une part, la liberté contractuelle des organisations syndicales de signer ou non un accord ne saurait être affectée par l'institution systématique d'un comité de suivi. D'autre part, en vertu des dispositions des articles 8 bis et 8 ter de la loi du 13 juillet 1983, dans leur rédaction issue de l'ordonnance attaquée, les organisations syndicales représentatives de fonctionnaires ont qualité pour participer aux négociations relatives à l'évolution des rémunérations et du pouvoir d'achat des agents publics ainsi qu'aux accords collectifs dans les domaines mentionnés à l'article 8 ter. Par suite, les dispositions contestées de l'article 8 octies, qui prévoient que seules les organisations signataires de l'accord débattent avec l'administration, au sein du comité de suivi, sur les modalités de mise en œuvre de cet accord, ne sauraient avoir pour objet ni pour effet d'exclure les organisations non signataires des négociations portant sur des questions qui excèdent le suivi de la mise en œuvre de l'accord et qui relèvent des domaines dans lesquels doivent être appelées à participer l'ensemble des organisations représentatives en vertu des articles 8 bis et 8 ter de la loi du 13 juillet 1983 ou d'autres dispositions législatives ou réglementaires. Il suit de là qu'elles ne portent aucune atteinte aux principes de liberté syndicale, de représentativité des organisations syndicales et de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. En troisième lieu, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 décembre 2021, les dispositions du premier alinéa du III de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983, issue de l'ordonnance attaquée, n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d'interdire aux organisations syndicales représentatives qui n'étaient pas signataires d'un accord collectif de prendre l'initiative de sa modification. En réservant le droit de dénoncer un accord aux seules organisations qui sont à la fois signataires de cet accord et représentatives au moment de sa dénonciation, les dispositions contestées du dernier alinéa du même paragraphe III ont pour objectif d'inciter à la conclusion de tels accords et d'assurer leur pérennité. Enfin, les organisations syndicales représentatives respectant la condition de majorité peuvent, même sans être signataires d'un accord, demander d'ouvrir une négociation en vue de sa modification ou participer à la négociation d'un nouvel accord, dans le cadre prévu par l'article 8 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Le Conseil constitutionnel en a déduit que ces dispositions ne méconnaissent pas l'exigence découlant des sixième et huitième alinéas du Préambule de 1946 et les a déclarées conformes à la Constitution. Pour les mêmes motifs, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions contestées de l'article 8 octies, qui n'avaient pas à instituer un principe de loyauté de la négociation, méconnaîtraient le principe de représentativité syndicale et la liberté syndicale garantie par l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Leur requête doit donc être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'Union syndicale Solidaires Fonction Publique est admise.
Article 2 : La requête de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT et autres est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT, première requérante dénommée, à l'Union syndicale Solidaires Fonction Publique, à la ministre de la transformation et de la fonction publiques, au Premier ministre, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 janvier 2022 où siégeaient : M. Olivier Japiot, président de chambre, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.
Rendu le 11 février 2022.
Le président:
Signé : M. Olivier Japiot
Le rapporteur
Signé : M. Alexis Goin
La secrétaire:
Signé : Mme A... B...