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04/02/2022 | FRANCE | N°443125

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 04 février 2022, 443125


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 443125, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 août 2020 et 19 avril 2021, le département de la Seine-Saint-Denis demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-768 du 23 juin 2020 modifiant les modalités de la contribution forfaitaire de l'Etat à la mise à l'abri et à l'évaluation de la situation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille ;

2°) à titre subsidiaire, de juger que le décret du 23

juin 2020 ne contraint pas les départements, en signant la convention visée au II de l'a...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 443125, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 août 2020 et 19 avril 2021, le département de la Seine-Saint-Denis demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-768 du 23 juin 2020 modifiant les modalités de la contribution forfaitaire de l'Etat à la mise à l'abri et à l'évaluation de la situation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille ;

2°) à titre subsidiaire, de juger que le décret du 23 juin 2020 ne contraint pas les départements, en signant la convention visée au II de l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles, à solliciter l'assistance du préfet prévue à l'article R. 211-11 de ce code, ni, dans cette hypothèse, à mettre en œuvre le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " appui à l'évaluation de la minorité " (AEM) et d'enjoindre à l'Etat de tirer toutes les conséquences de cette constatation notamment en modifiant la convention-type prévue par l'arrêté R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles, fixée par l'arrêté du 16 octobre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 448125, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 décembre 2020, 23 février 2021, 14 et 25 janvier 2022, la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 octobre 2020 modifiant l'arrêté du 28 juin 2019 pris en application de l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles et relatif à la participation forfaitaire de l'Etat à la phase de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 448163, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 décembre 2020 et 23 juillet 2021, le département de la Seine-Saint-Denis demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 octobre 2020 modifiant l'arrêté du 28 juin 2019 pris en application de l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles et relatif à la participation forfaitaire de l'Etat à la phase de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ;

2°) à titre subsidiaire, de dire que le décret du 23 juin 2020, en application duquel l'arrêté du 23 octobre 2020 a été pris, ne contraint pas les départements, en signant la convention visée au II de l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles, à solliciter l'assistance du préfet prévue à l'article R. 211-11 de ce code, ni, dans cette hypothèse, à mettre en œuvre le traitement de données AEM et d'enjoindre à l'Etat de tirer toutes les conséquences de cette constatation notamment en modifiant la convention-type prévue par l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles, fixée par l'arrêté du 16 octobre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-422 du 6 juin 1984 ;

- la loi n° 86-17 du 6 janvier 1986 ;

- la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 ;

- la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2016-840 du 24 juin 2016 ;

- le décret n° 2019-670 du 27 juin 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 janvier 2022, présentée sous le n° 448125 par le ministre des solidarités et de la santé ;

Considérant ce qui suit :

1. Le département de la Seine-Saint-Denis demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 23 juin 2020 modifiant les modalités de la contribution forfaitaire de l'Etat à la mise à l'abri et à l'évaluation de la situation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille. Ce département et la Ville de Paris demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 23 octobre 2020 modifiant l'arrêté du 28 juin 2019 pris en application de l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles et relatif à la participation forfaitaire de l'Etat à la phase de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Il y a lieu de joindre ces trois requêtes pour statuer par une seule décision.

Sur l'intervention de la Ville de Paris :

2. La Ville de Paris, exerçant à Paris les compétences relatives aux prestations d'aide sociale à l'enfance confiées aux départements par le chapitre II du titre II du livre II du code de l'action sociale et des familles, justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Son intervention au soutien de la requête n° 443125 du département de la Seine-Saint-Denis est, par suite, recevable.

Sur le décret attaqué :

En ce qui concerne le cadre du litige :

3. L'article L. 112-3 du code de l'action sociale et des familles définit les finalités de la protection de l'enfance en prévoyant qu'elle a notamment " pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge (...) ". En vertu de l'article L. 221-1 du même code, le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé notamment d'apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger leur santé, leur sécurité ou leur moralité ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social et de mener en urgence des actions de protection en leur faveur. Aux termes de l'article L. 223-2 de ce code : " Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. / En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. (...) / Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l'enfant n'a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n'a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit (...) l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil (...) ", lequel permet au juge des enfants ou, en cas d'urgence, au procureur de la République de prendre une mesure provisoire pouvant consister à confier l'enfant, si sa protection l'exige, au service départemental de l'aide sociale à l'enfance. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles : " Le président du conseil départemental est chargé du recueil, du traitement et de l'évaluation, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être. Le représentant de l'Etat et l'autorité judiciaire lui apportent leur concours ". Enfin, l'article L. 221-2-2 du même code dispose que les conditions d'évaluation de la situation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille sont définies par décret en Conseil d'Etat.

4. L'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, pris pour l'application des dispositions législatives citées au point précédent, dispose que : " I.- Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II.- Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. / Cette évaluation peut s'appuyer sur les informations qui sont fournies au président du conseil départemental par le préfet de département et, à Paris, par le préfet de police, sur des entretiens avec la personne et sur des examens dans les conditions suivantes. / Le président du conseil départemental peut demander au préfet de département et, à Paris, au préfet de police de l'assister dans les investigations mentionnées au premier alinéa du présent II, pour contribuer à l'évaluation de la situation de la personne au regard de son isolement et de sa minorité. / Lorsque le président du conseil départemental a sollicité le concours du préfet, la personne qui se présente comme mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille communique aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification et au renseignement du traitement mentionné à l'article R. 221-15-1. Le préfet communique au président du conseil départemental les informations permettant d'aider à la détermination de l'identité et de la situation de la personne. / En cas de refus de l'intéressé de communiquer toute donnée utile à son identification ou de communiquer les données à caractère personnel mentionnées à l'article R. 221-15-2, le préfet en informe le président du conseil départemental chargé de l'évaluation. / Le président du conseil départemental peut également solliciter le concours du préfet de département et, à Paris, du préfet de police pour vérifier l'authenticité des documents détenus par la personne. / (...) Lorsque le président du conseil départemental a sollicité le concours du préfet, il notifie au préfet de département et, à Paris, au préfet de police la date à laquelle l'évaluation de la situation de la personne a pris fin, en précisant s'il estime que la personne est majeure ou mineure, le cas échéant privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. En cas de saisine de l'autorité judiciaire par une personne évaluée majeure, le président du conseil départemental, dès qu'il en a connaissance, en informe le préfet de département et, à Paris, le préfet de police, et lui notifie la date de la mesure d'assistance éducative éventuellement prononcée par l'autorité judiciaire. / III.- L'évaluation est réalisée par les services du département, ou par toute structure du secteur public ou du secteur associatif à laquelle la mission d'évaluation a été déléguée par le président du conseil départemental (...) ". Aux termes de l'article R. 221-15-1 de ce code : " Le ministre de l'intérieur (direction générale des étrangers en France) est autorisé à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé "appui à l'évaluation de la minorité" (AEM), ayant pour finalités de mieux garantir la protection de l'enfance et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France (...) ".

5. L'article 1er du décret attaqué modifie l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles, qui, lorsqu'il a été créé par le décret du 24 juin 2016 visé ci-dessus, prévoyait un remboursement forfaitaire, confié au Fonds national de financement de la protection de l'enfance au sein de la Caisse nationale des allocations familiales, des dépenses relatives à la phase de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation engagées par les départements, dans la limite des cinq jours mentionnés au I de l'article R. 221-11. Ce remboursement forfaitaire a été remplacé, dans la rédaction de l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles issue du décret du 27 juin 2019 visé ci-dessus, par une contribution forfaitaire de l'Etat. Le I de l'article 1er du décret attaqué distingue désormais les contributions forfaitaires de l'Etat aux missions des départements relatives, d'une part, à la mise à l'abri des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et, d'autre part, à l'évaluation de la situation de ces personnes au regard notamment de leurs déclarations sur leur identité, leur âge, leur famille d'origine, leur nationalité et leur état d'isolement, et à la réalisation d'une première évaluation de leurs besoins en santé. Le II du même article prévoit que le département et l'Etat peuvent conclure une convention, établie sur la base d'une convention-type définie par arrêté des ministres chargés de la famille et de l'intérieur, afin de fixer les modalités selon lesquelles, dans le cas où le président du conseil départemental décide de recourir à l'assistance du préfet prévue au II de l'article R. 221-11, l'action de leurs services est coordonnée, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre du traitement de données prévu à l'article R. 221-15-1. Il permet la réduction du montant de la part de la contribution dédiée à l'évaluation des intéressés, dans une mesure fixée par arrêté des ministres chargés de la famille et du budget, lorsque le département n'est pas lié à l'Etat par une telle convention.

6. Enfin, la convention-type prévue à l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles, figurant en annexe de l'arrêté du 16 octobre 2020 du ministre de l'intérieur et du ministre des solidarités et de la santé, qui définit notamment le périmètre du concours de l'Etat aux opérations d'évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, précise expressément à cet égard que le service de l'aide sociale à l'enfance ou l'organisme mandaté par le président du conseil départemental conserve la faculté de conclure immédiatement, sans que le dispositif " AEM " soit utilisé, à la nécessité de protéger la personne, notamment lorsque sa minorité et sa vulnérabilité sont manifestes, et prévoit que le conseil départemental oriente les personnes vers la préfecture lorsqu'il le considère utile à son travail d'évaluation.

En ce qui concerne les moyens soulevés :

7. En premier lieu, il résulte du treizième alinéa de l'article 34 de la Constitution que la loi détermine les principes fondamentaux " de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ". En vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales " s'administrent librement " dans les conditions définies par la loi. Aux termes du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution : " Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ".

8. D'une part, la compétence conférée aux départements en matière d'aide sociale à l'enfance et de protection des mineurs en danger, notamment par les articles L. 221-1, L. 223-2 et L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles mentionnés au point 3, implique nécessairement que le président du conseil départemental puisse apprécier, sous le contrôle du juge, si les personnes qui sollicitent cette protection remplissent effectivement les conditions légales pour l'obtenir, dont celle de minorité. A cette fin, il lui appartient d'apprécier quelles sont les investigations nécessaires à l'évaluation de leur situation auxquelles, le cas échéant, le représentant de l'Etat et l'autorité judiciaire doivent concourir. Il résulte du II de l'article R. 221-11 du même code que le président du conseil départemental dispose à ce titre de la faculté de demander au préfet de l'assister dans ses investigations en lui fournissant, à sa demande et afin d'éclairer sa décision, des informations relatives à l'identité de la personne et à sa situation au regard de son isolement et de sa minorité, celle-ci devant alors communiquer aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification et au renseignement du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " appui à l'évaluation de la minorité " (AEM).

9. Si l'article 1er du décret attaqué incite les départements, par une modulation du montant de la contribution forfaitaire, à conclure une convention avec l'Etat pour définir les modalités de coordination de leurs services respectifs lorsque le président du conseil départemental sollicite le concours du préfet dans ses investigations visant à évaluer la situation de la personne au regard de son isolement et de sa minorité, il ne rend obligatoire ni le recours à cette assistance, ni la signature de la convention. Les dispositions du décret attaqué n'ont pour effet ni de créer une sanction à l'encontre des départements qui choisissent de ne pas conclure cette convention, ni de modifier les règles relatives aux compétences du département en matière d'évaluation de la situation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, pour l'exercice desquelles les autorités du département peuvent solliciter le concours des services de l'Etat. Elles n'ont pas davantage pour effet de contraindre le président du conseil départemental à transmettre des informations visant à renseigner le traitement de données à caractère personnel dénommé " appui à l'évaluation de la minorité " (AEM).

10. Par suite, doivent être écartés les moyens tirés de ce que le décret attaqué empièterait sur la compétence que le treizième alinéa de l'article 34 de la Constitution réserve au législateur pour déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales et méconnaîtrait les articles L. 112-3, L. 223-2 et L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles qui attribuent aux départements la compétence pour évaluer la situation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de sa famille.

11. D'autre part, si le département requérant et la Ville de Paris soutiennent que le décret attaqué aurait pour effet, dès lors que des départements n'entendraient pas conclure la convention prévue à l'article R. 221-12 de ce code, d'accroître significativement les charges qui leur incombent en vertu de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, il ne ressort en tout état de cause pas des pièces du dossier, et alors même que les charges exposées par des départements au titre de l'aide sociale à l'enfance ont connu une évolution défavorable depuis plusieurs années, que le décret attaqué ferait peser sur les départements et la Ville de Paris des charges qui, par leur ampleur, seraient de nature à dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales en méconnaissance de l'article 72 de la Constitution.

12. Enfin, les dispositions de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles en vertu desquelles le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé, notamment, d'apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs sont issues de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétence en matière d'aide sociale et de santé. Les dispositions de l'article L. 223-2 de ce code, prévoyant qu'en cas d'urgence et lorsque le représentant légal est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République et que si, à l'issue d'un délai de cinq jours, l'enfant n'a pu être remis à sa famille ou si le représentant légal n'a pas donné son accord à l'admission de l'enfant dans le service, ce dernier saisit l'autorité judiciaire, reprennent les termes de l'article 1er de la loi du 6 juin 1984 relative aux droits des familles dans leur rapport avec les services chargés de la protection de la famille et de l'enfance, et au statut des pupilles de l'Etat. Si l'article 12 de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, qui modifie l'article L. 226-3 du même code, a confié au président du conseil général la mission de traiter et d'évaluer les informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger, il n'a pas élargi le champ des bénéficiaires des dispositions relatives à l'aide sociale à l'enfance, ni créé une nouvelle prestation sociale. Par ce dernier texte, seul postérieur à l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République qui a créé l'article 72-2 de la Constitution, le législateur n'a procédé ni à un transfert aux départements d'une compétence qui relevait de l'État ni à une création ou extension de compétences. Dès lors et en tout état de cause, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le législateur aurait été tenu d'attribuer des ressources aux départements en application du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, pour l'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

13. Dès lors qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qui est soutenu, le décret attaqué n'est pas intervenu dans le domaine réservé à la loi et n'a méconnu aucune disposition législative, il était loisible au Premier ministre, détenteur du pouvoir réglementaire en vertu des articles 21 et 37 de la Constitution, d'édicter un régime d'aide financière de l'Etat aux départements pour l'exercice de leurs compétences. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué aurait été pris par une autorité incompétente.

14. En deuxième lieu, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base légale. Le décret attaqué n'ayant pas été pris pour l'application du décret du 27 juin 2019 relatif à la participation forfaitaire de l'Etat et à la phase de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineurs et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et au comité prévu à l'article 221-15 du code de l'action sociale et des familles et n'ayant pas ce décret comme base légale, le moyen excipant de l'illégalité du décret du 27 juin 2019 ne peut qu'être écarté comme inopérant.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation du décret du 23 juin 2020 doivent être rejetées, de même que celles tendant, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de modifier la convention-type prévue à l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles, annexée à l'arrêté du 16 octobre 2020.

Sur l'arrêté attaqué :

16. En réponse à la communication de la requête faisant valoir que l'arrêté attaqué n'avait pas été régulièrement signé, le ministre des solidarités et de la santé a versé au dossier un exemplaire signé de l'arrêté attaqué, qui diffère toutefois de la version publiée au Journal officiel de la République française. Les requérants sont, par suite, fondés à soutenir que l'arrêté attaqué, faute d'avoir été dûment signé, est entaché d'illégalité et à en demander pour ce motif l'annulation pour excès de pouvoir, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser, d'une part, à la Ville de Paris et, d'autre part, au département de la Seine-Saint-Denis.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de la Ville de Paris au soutien de la requête n° 443125 est admise.

Article 2 : L'arrêté du 23 octobre 2020 modifiant l'arrêté du 28 juin 2019 pris en application de l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles et relatif à la participation forfaitaire de l'Etat à la phase de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille est annulé.

Article 3 : L'Etat versera à la Ville de Paris, d'une part, et au département de la Seine-Saint-Denis, d'autre part, une somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La requête n° 443125 du département de la Seine-Saint-Denis est rejetée.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au département de la Seine-Saint-Denis, à la Ville de Paris et au ministre des solidarités et de la santé et au Premier ministre.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 janvier 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... M..., Mme D... L..., présidentes de chambre ; Mme C... G..., Mme I... K..., M. J... H..., M. F... O..., Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 4 février 2022.

Le président:

Signé : M. P... B...

Le rapporteur

Signé : M. Frédéric Pacoud

La secrétaire:

Signé : Mme N... E...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 443125
Date de la décision : 04/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 fév. 2022, n° 443125
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Pacoud
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:443125.20220204
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