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30/12/2021 | FRANCE | N°451036

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 30 décembre 2021, 451036


Vu la procédure suivante :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Carros (Alpes-Maritimes), de rejeter le compte de campagne de la liste " Carros Terre d'Energie " menée par M. E... C... et de prononcer l'inéligibilité de M. C... pour une durée de trois ans. Par un jugement n° 2002515 du 24 février 2021, le tribunal administratif a annulé les opérations électorales des 15 mar

s et 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et commu...

Vu la procédure suivante :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Carros (Alpes-Maritimes), de rejeter le compte de campagne de la liste " Carros Terre d'Energie " menée par M. E... C... et de prononcer l'inéligibilité de M. C... pour une durée de trois ans. Par un jugement n° 2002515 du 24 février 2021, le tribunal administratif a annulé les opérations électorales des 15 mars et 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Carros et rejeté le surplus des conclusions de la protestation.

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 mars, 22 avril et 19 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la protestation de M. F... ;

3°) de mettre à la charge de M. F... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- la loi du 29 juillet 1881 ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 ;

- la décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de M. C... et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 à Carros (Alpes-Maritimes), commune de plus de 1 000 habitants, les trente-trois sièges de conseillers municipaux et les deux sièges de conseillers communautaires ont été pourvus. Vingt-cinq des sièges de conseillers municipaux et deux sièges de conseillers communautaires ont été attribués à des candidats de la liste " Carros Terre d'Energie ", conduite par M. C..., qui a obtenu 2 278 voix et 50,34 % des suffrages exprimés, tandis que les huit autres sièges de conseillers municipaux ont été attribués à des candidats de la liste " Poursuivons le Nouvel Elan ", conduite par M. F..., maire sortant, qui a obtenu 2 247 voix et 49,65 % des suffrages exprimés. Sur la protestation de M. F..., le tribunal administratif de Nice a, par un jugement du 24 février 2021, annulé les opérations électorales des 15 mars 2020 et 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Carros au motif que les allégations diffamatoires et injurieuses contre le maire sortant dans plusieurs numéros d'une publication, intitulé le " Ficanas carrossois ", se présentant comme un journal satirique, auquel le maire sortant n'avait pas été en mesure de répondre utilement avaient, compte tenu du très faible écart de voix entre les deux listes, porté atteinte à la sincérité du scrutin. M. C... relève appel de ce jugement.

Sur l'annulation des opérations électorales :

2. D'une part, si M. C... fait valoir que le jugement n'a pas indiqué les raisons objectives et concrètes pour lesquelles M. F... ne pouvait être regardé comme ayant disposé du temps et des moyens nécessaires pour répondre au contenu des publications en cause, il résulte des termes mêmes du jugement que le tribunal administratif a précisé les raisons pour lesquelles il estimait, eu égard notamment à la date tardive de ces publications ainsi qu'à la nature des allégations, que l'intéressé n'avait pu utilement y répondre. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement du tribunal administratif serait insuffisamment motivé sur ce point ne peut qu'être écarté.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 48 du code électoral : " Sont applicables à la propagande les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à l'exception de son article 16 (...) ". Aux termes de l'article L. 48-1 du code électoral : " Les interdictions et restrictions prévues par le présent code en matière de propagande électorale sont applicables à tout message ayant le caractère de propagande électorale diffusé par tout moyen de communication au public par voie électronique ". Aux termes de l'article 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ". Enfin, l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que : " Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. (...) / Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ".

4. Il résulte de l'instruction qu'à compter du 11 juin 2020 et jusqu'au second tour des élections municipales et communautaires, quatre publications intitulées " le Ficanas carrossois " se présentant comme un journal satirique gratuit, créé à l'occasion de cette campagne, contenant des imputations injurieuses et diffamatoires mettant en cause la probité de M. F... de manière particulièrement grave en des termes excédant les limites de ce qui peut être toléré dans le cadre de la polémique électorale, notamment s'agissant de la quatrième publication " La presque vraie ' fausse ' interview de Charles F... ", ont été mises en ligne sur une page internet dédiée, envoyées par courrier électronique à des élus et des agents communaux ainsi qu'à plusieurs dizaines d'autres destinataires et déposées dans des boîtes à lettres postales, publiées sur un groupe Facebook de plusieurs centaines de membres ainsi que par la messagerie électronique Messenger. Dans ces conditions, compte tenu du faible écart de voix entre les deux listes, limité à 31 suffrages sur 4 525 exprimés, les publications litigieuses, auxquelles leur caractère prétendument satirique comme la virulence des allégations rendaient toute réponse utile difficile, doivent être regardées comme ayant été susceptibles, dans les circonstances de l'espèce, d'avoir altéré la sincérité du scrutin, nonobstant la circonstance que M. F... se soit efforcé d'y apporter une réponse sur sa page Facebook et lors d'une brève interview sur une chaîne de la télévision locale quelques jours avant le second tour de scrutin.

5. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Carros.

Sur les conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. F... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. F..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

Sur les conclusions incidentes de M. F... sur le rejet du compte de campagne et l'inéligibilité de M. C... :

7. Ces conclusions, qui n'ont pas été présentées dans le délai d'appel et alors que le recours incident n'est pas ouvert en matière électorale, sont tardives et, dès lors, irrecevables.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions incidentes présentées par M. F... tendant au rejet du compte de campagne de la liste conduite par M. C... et à son inéligibilité pour une durée de trois ans, ainsi que celles qu'il a présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. E... C..., à M. D... F..., premier dénommé pour l'ensemble des autres défendeurs, et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 décembre 2021 où siégeaient : M. Fabien Raynaud, président de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 30 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Fabien Raynaud

La rapporteure :

Signé : Mme Carine Chevrier

La secrétaire :

Signé : Mme B... A...


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 451036
Date de la décision : 30/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2021, n° 451036
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Carine Chevrier
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 04/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:451036.20211230
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