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30/12/2021 | FRANCE | N°444500

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 30 décembre 2021, 444500


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n°444500, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 septembre et 16 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Coronavictimes et l'association Comité anti-amiante Jussieu demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros a

u titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n°446...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n°444500, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 septembre et 16 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Coronavictimes et l'association Comité anti-amiante Jussieu demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n°446453, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 13 novembre 2020 et le 7 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des victimes de l'amiante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 1er et 2 du décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 en tant que la désignation des maladies des tableaux n° 100 et 60 ne comprend que les affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-Cov2 ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute forme d'assistance ventilatoire ou ayant entraîné la mort et en tant que la liste limitative des travaux ne prend pas en compte l'ensemble des catégories de salariés confrontés de façon habituelle à du public ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 de ce même décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice.

....................................................................................

3° Sous le n°446455, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 novembre 2020 et 7 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale Sud santé sociaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 1er et 2 du décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 en tant que la désignation des maladies des tableaux n° 100 et 60 ne comprend que les affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-Cov2 ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute forme d'assistance ventilatoire ou ayant entraîné la mort et en tant que la liste limitative des travaux ne prend pas en compte l'ensemble des catégories de salariés confrontés de façon habituelle à du public ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 de ce même décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice.

....................................................................................

4° Sous le n° 446459, par une requête, enregistrée le 13 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union interfédérale des agents de la fonction publique Force ouvrière, M. M... H..., M. D... L..., M. N... I... et M. E... C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 1er et 2 du décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 en tant que la désignation des maladies des tableaux n° 100 et 60 ne comprend que les affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-Cov2 ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute forme d'assistance ventilatoire ou ayant entraîné la mort et en tant que la liste limitative des travaux ne prend pas en compte l'ensemble des catégories de salariés confrontés de façon habituelle à du public ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 de ce même décret ;

3°) en cas d'annulation totale du décret, de prévoir que la décision à venir ne prendra effet qu'à l'issue d'un délai de 6 mois au cours duquel il appartiendra au pouvoir règlementaire de mettre en œuvre une nouvelle procédure de consultation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice.

....................................................................................

5° Sous le n° 446462, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 13 novembre 2020 et les 29 avril et 7 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CFDT Santé-Sociaux, la Fédération CFDT Services, la Fédération CFDT Protection Sociale Travail Emploi (PSTE) et la Fédération CFDT Interco demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à chacune d'entre elles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l'association Coronavictimes, SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération autonome de la fonction publique hospitalière, à la SAS cabinet Boulloche, avocat de la Fédération CFDT Santé-Sociaux, de la Fédération CFDT Services, de la Fédération CFDT Protection Sociale Travail Emploi et de la Fédération CFDT Interco et SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Confédération française démocratique du travail ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 décembre 2021, présentée sous le n° 446462 par la Fédération CFDT Santé-Sociaux et autres ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 décembre 2021, présentée sous le n° 444500 pour l'association Coronavictimes ;

Considérant ce qui suit :

1. Par des requêtes qu'il y a lieu de joindre, plusieurs organisations demandent l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions du décret du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2.

Sur les interventions :

2. La Fédération autonome de la fonction publique hospitalière, la Confédération française démocratique du travail et l'Union des Fédérations de fonctionnaires et assimilés justifient chacune d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des requêtes. Leurs interventions sont donc recevables.

Sur le cadre juridique :

3. Aux termes de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale : " (...) Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. / Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime. / Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé. / Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1 (...) ". En vertu de l'article L. 461-2 du même code : " Des tableaux annexés aux décrets énumèrent les manifestations morbides d'intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d'une façon habituelle à l'action des agents nocifs mentionnés par lesdits tableaux, qui donnent, à titre indicatif, la liste des principaux travaux comportant la manipulation ou l'emploi de ces agents. Ces manifestations morbides sont présumées d'origine professionnelle. / Des tableaux spéciaux énumèrent les infections microbiennes mentionnées qui sont présumées avoir une origine professionnelle lorsque les victimes ont été occupées d'une façon habituelle aux travaux limitativement énumérés par ces tableaux (...) Les tableaux mentionnés aux alinéas précédents peuvent être révisés et complétés par des décrets, après avis du Conseil d'orientation des conditions de travail ". Le 3° de l'article L. 221-3-1 du même code prévoit que le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie est chargé, pour ce qui concerne la gestion de la caisse nationale et du réseau des caisses régionales, locales et de leur groupements, de prendre les mesures nécessaires à l'organisation et au pilotage du réseau des caisses du régime général et qu'il peut notamment confier à certains organismes, à l'échelon national, interrégional, régional ou départemental, la charge d'assumer certaines missions.

4. Le décret du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 a modifié, en application des dispositions citées au point 3, d'une part les tableaux des maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale, pour y insérer un tableau n° 100 intitulé " Affections respiratoires aiguës liées à une infection au SARS-COV2 " et, d'autre part, les tableaux de l'annexe II au livre VII du code rural et de la pêche maritime pour y insérer un tableau n° 60 ayant le même intitulé. Il prévoit également, par dérogation à l'article D. 461-26, aux six premiers alinéas de l'article D. 461-27 et à l'article D. 461-28 du code de la sécurité sociale, ainsi qu'aux articles D. 751-34, D. 751-35, D. 752-9 et D. 752-10 du code rural et de la pêche maritime, que le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie peut, en application du 3° de l'article L. 221-3-1 du code de la sécurité sociale, confier à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles l'instruction de l'ensemble des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle liées à une contamination au SARS-CoV2 et comprenant : " 1° Un médecin-conseil relevant du service du contrôle médical de la Caisse nationale de l'assurance maladie ou de la direction du contrôle médical et de l'organisation des soins de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole ou d'une des caisses locales, ou un médecin-conseil retraité ; / 2° Un professeur des universités-praticien hospitalier ou un praticien hospitalier particulièrement qualifié en matière de pathologie professionnelle, réanimation ou infectiologie, en activité ou retraité, ou un médecin du travail, en activité ou retraité, remplissant les conditions prévues à l'article L. 4623-1 du code du travail, nommé pour quatre ans et inscrit sur une liste établie par arrêté du directeur général de l'agence régionale de santé. (...) ".

Sur la légalité externe du décret attaqué :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte de nature réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement son exécution. L'exécution du décret du 14 septembre 2020 ne comporte l'intervention d'aucune mesure réglementaire ou individuelle que la ministre de la transformation et de la fonction publiques aurait été compétente pour signer ou contresigner. Dès lors, le décret attaqué n'avait pas, contrairement à ce qui est soutenu, à être revêtu du contreseing de cette ministre.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale : " (...) Des tableaux spéciaux énumèrent les infections microbiennes mentionnées qui sont présumées avoir une origine professionnelle lorsque les victimes ont été occupées d'une façon habituelle aux travaux limitativement énumérés par ces tableaux. / D'autres tableaux peuvent déterminer des affections présumées résulter d'une ambiance ou d'attitudes particulières nécessitées par l'exécution des travaux limitativement énumérés. / Les tableaux mentionnés aux alinéas précédents peuvent être révisés et complétés par des décrets, après avis du Conseil d'orientation des conditions de travail (...) ". Il ne ressort pas des pièces des dossiers que la commission spécialisée relative aux pathologies professionnelles du Conseil d'orientation des conditions de travail n'aurait pas disposé d'informations suffisantes pour émettre l'avis qu'elle a rendu, en application de ces dispositions, le 7 juillet 2020.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne la désignation de la maladie et la liste des travaux :

7. Il résulte des dispositions citées au point 3, d'une part, que les conditions qui définissent, en application du troisième alinéa de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, la manière dont sont contractées les maladies et qui sont susceptibles de figurer, à ce titre, dans les tableaux désignant les maladies présumées d'origine professionnelle, ne peuvent légalement porter que sur le délai maximum de constatation d'une maladie, la durée d'exposition ou la liste limitative des travaux à même de provoquer une maladie et, d'autre part, que ces conditions ne sauraient méconnaître le principe de présomption d'imputabilité posé par le deuxième alinéa du même article et par l'article L. 461-2 du même code. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire, auquel il incombe de désigner avec suffisamment de précisions ces maladies, définisse à cette fin, dans le respect du principe de présomption d'imputabilité, les éléments du diagnostic d'une pathologie d'origine professionnelle.

8. En premier lieu, les tableaux n° 100 et 60 introduits par le décret attaqué désignent comme maladies professionnelles les " Affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-CoV2, confirmée par examen biologique ou scanner ou, à défaut, par une histoire clinique documentée (compte rendu d'hospitalisation, documents médicaux) et ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute autre forme d'assistance ventilatoire, attestée par des comptes rendus médicaux, ou ayant entraîné le décès ". Il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'en retenant, pour désigner les maladies présumées d'origine professionnelle qu'il a définies, les seules affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-CoV2, et en les caractérisant par le recours qu'elles ont nécessité à une oxygénothérapie ou toute autre forme d'assistance ventilatoire, attestée par des comptes rendus médicaux, ou le décès qu'elles ont entraîné, le pouvoir réglementaire aurait inexactement apprécié les données scientifiques disponibles à la date à laquelle a été pris le décret attaqué ou exigé des éléments excédant ce qui est nécessaire à la caractérisation de telles affections. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la désignation des maladies à laquelle procède le décret attaqué, en ce qu'il retient les seules affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-CoV2 et en ce qu'il impose pour les caractériser qu'elles aient nécessité le recours à une oxygénothérapie ou toute autre forme d'assistance ventilatoire, attestée par des comptes rendus médicaux, ou qu'elles aient entraîné le décès, méconnaît l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale ou le principe de présomption d'imputabilité posé par le même article et par l'article L. 461-2 du même code.

9. En deuxième lieu, le tableau n° 100 indique que sont susceptibles de provoquer la maladie désignée causée par une infection au SARS-CoV2 : " Tous travaux accomplis en présentiel par le personnel de soins et assimilé, de laboratoire, de service, d'entretien, administratif ou de services sociaux, en milieu d'hospitalisation à domicile ou au sein des établissements et services suivants : établissements hospitaliers, centres ambulatoires dédiés covid-19, centres de santé, maisons de santé pluriprofessionnelles, établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, services d'aide et d'accompagnement à domicile intervenant auprès de personnes vulnérables, services de soins infirmiers à domicile, services polyvalents d'aide et de soins à domicile, centres de lutte antituberculeuse, foyers d'accueil médicalisés, maisons d'accueil spécialisé, structures d'hébergement pour enfants handicapés, appartements de coordination thérapeutique, lits d'accueil médicalisé, lits halte soins santé, centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie avec hébergement, services de santé au travail, centres médicaux du service de santé des armées, unités sanitaires en milieu pénitentiaire, services médico-psychologiques régionaux, pharmacies d'officine, pharmacies mutualistes ou des sociétés de secours minières / Activités de soins et de prévention auprès des élèves et étudiants des établissements d'enseignement / Activités de transport et d'accompagnement des malades, dans des véhicules affectés à cet usage ". Le tableau n° 60 indique que sont susceptibles de provoquer ces maladies : " Tous travaux accomplis en présentiel par le personnel administratif, de soins et assimilé ou d'entretien, au sein des établissements et services suivants dépendant d'organismes ou d'institutions relevant du régime de protection sociale agricole : - les services de santé au travail ; - les structures d'hébergement et de services pour personnes âgées dépendantes ; / - les structures d'hébergement pour adultes et enfants handicapés ; / - les services d'aide et d'accompagnement à domicile intervenant auprès de personnes vulnérables ".

10. Pour déterminer les travaux susceptibles de provoquer une maladie causée par une infection au SARS-CoV2, le pouvoir réglementaire a retenu les activités dont les conditions d'exercice impliquent un contact avec des personnes déjà infectées ou plus particulièrement exposées à la maladie. Ce faisant, il s'est référé à un critère objectif et pertinent et n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.

11. En troisième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

12. D'une part, le décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet de priver les victimes soumises aux dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale et ne remplissant pas les conditions prévues par les tableaux n° 100 et 60 d'obtenir la reconnaissance d'une maladie professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

13. D'autre part, si le pouvoir réglementaire a entendu désigner, sur la base des données épidémiologiques et des études scientifiques, les éléments de diagnostic permettant de caractériser les formes graves d'une affection au SARS-CoV2 et les travaux à même de provoquer cette affection, il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'il en résulte une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard des différences de situation entre les différents professionnels.

14. En quatrième lieu, il résulte des articles L. 3131-1 et L. 3131-10 du code de la santé publique que les professionnels de santé, y compris bénévoles, amenés à exercer leur activité auprès des patients ou des personnes exposées à une catastrophe, une urgence ou une menace sanitaire grave, dans des conditions d'exercice exceptionnelles décidées par le ministre chargé de la santé en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, bénéficient des dispositions de l'article L. 3133-6 du même code aux termes duquel : " Les articles 11 et 11 bis A de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires sont applicables aux réservistes pendant les périodes d'emploi ou de formation pour lesquelles ils ont été appelés. / Le réserviste victime de dommages subis pendant les périodes d'emploi ou de formation dans la réserve et, en cas de décès, ses ayants droit ont droit, à la charge de l'État, à la réparation intégrale du préjudice subi, sauf en cas de dommage imputable à un fait personnel détachable du service ".

15. Si les requérants soutiennent que l'absence de mention dans les tableaux n° 100 et n° 60 de nombreux symptômes ou séquelles pouvant résulter d'une infection au SARS-CoV2, à la seule exception des affections respiratoires causées par une telle infection et ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute autre forme d'assistance ventilatoire, priverait les professionnels mobilisés dans les conditions prévues au point précédent de leur droit d'obtenir la reconnaissance de leur maladie professionnelle, il résulte en tout état de cause de ce qui a été dit au point précédent que l'absence de présomption d'imputabilité ne peut être regardée comme privant d'effectivité le droit des réservistes à la réparation, par l'administration, de leurs accidents ou maladies imputables au service.

En ce qui concerne la désignation d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles :

16. En premier lieu, les dispositions de l'article 3 du décret attaqué ont pour objet de permettre au directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie d'organiser, de façon dérogatoire, l'examen des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle liées à une contamination au SARS-CoV2 en lui ouvrant la faculté de désigner un même comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles pour l'instruction de l'ensemble de ces demandes. Elles ont également pour objet de fixer, dans les conditions prévues par l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, la composition, le fonctionnement et le ressort territorial de cette caisse régionale désignée. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions auraient délégué au directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie le pouvoir de création d'un comité national de reconnaissance des maladies professionnelles, ni que la simple faculté de désignation ainsi prévue méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme, le principe de sécurité juridique, non plus, en tout état de cause, que le principe de confiance légitime. Ils ne sont pas davantage fondés à soutenir que la désignation d'un comité régional unique serait constitutive d'une erreur manifeste d'appréciation, notamment en ce qu'elle serait de nature à compromettre l'examen des demandes dans des délais adéquats.

17. En deuxième lieu, ces mêmes dispositions de l'article 3 du décret attaqué ont pour objet de modifier la composition du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles désigné par le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie pour l'instruction de l'ensemble de ces demandes de reconnaissance de maladie professionnelle liées à une contamination au SARS-CoV2. La circonstance que les médecins-inspecteurs du travail, qui ne conservent pas dans cette composition modifiée le siège dont ils disposent en principe en vertu du 2° de l'article D. 461-27 du code de la sécurité sociale, soient en mesure d'apporter une expertise utile pour l'examen des demandes de reconnaissance des maladies professionnelles n'entache pas les dispositions contestées, contrairement à ce que soutiennent les requérants, d'une erreur manifeste d'appréciation. Cette circonstance ne prive pas davantage les demandeurs d'une garantie et ne porte pas atteinte à l'égalité entre les demandeurs à une reconnaissance de leur maladie professionnelle.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être rejetées. Les conclusions présentées à ce même titre par la Fédération autonome de la fonction publique hospitalière, qui en sa qualité d'intervenante n'est pas partie à l'instance, ne peuvent également qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Articles 1er : Les interventions de la Fédération autonome de la fonction publique hospitalière, de la Confédération française démocratique du travail et de l'Union des Fédérations de fonctionnaires et assimilés sont admises.

Article 2 : Les requêtes de l'association Coronavictimes et autres, de l'Association nationale des victimes de l'amiante et autre, de la Fédération nationale Sud santé sociaux, de l'Union interfédérale des agents de la fonction publique Force ouvrière et autres et de la Fédération CFDT Santé-Sociaux et autres et les conclusions présentées par la Fédération autonome de la fonction publique hospitalière au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Coronavictimes, pour les deux requérantes sous le n° 444500, à l'Association nationale des victimes de l'amiante, à la Fédération nationale Sud santé sociaux, à l'Union interfédérale des agents de la fonction publique Force ouvrière, représentant unique désigné, pour l'ensemble des requérants sous le n° 446459, à la Fédération CFDT Santé-Sociaux, représentant unique désigné, pour l'ensemble des requérants sous le n° 446462, à la Fédération autonome de la fonction publique hospitalière, à la Confédération française démocratique du travail, à l'Union des Fédérations de fonctionnaires et assimilés et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de la santé et des solidarités.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; Mme A... Q..., Mme F... P..., présidentes de chambre ; M. B... O..., Mme J... K..., M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 30 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Agnès Pic

La secrétaire :

Signé : Mme R... G...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 444500
Date de la décision : 30/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2021, n° 444500
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Pic
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:444500.20211230
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