Vu les procédures suivantes :
Le comité social et économique central de la société d'agences et de diffusion, M. I... G... et M. P... K... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 juin 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral élaboré par la société MJA et la société R... Yang-Ting, agissant en qualité d'administrateurs judiciaires de la société d'agences et de diffusion, fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de cette société. Par un jugement n° 2011444/3-1 du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 20PA04025 du 15 février 2021, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel du comité social et économique central de la société d'agences et de diffusion, de M. G... et de M. K..., annulé le jugement du tribunal administratif de Paris et la décision du 2 juin 2020 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France.
1° Sous le n° 450333, par un pourvoi et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 mars, 5 mars et 31 mai 2021, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société MJA, prise en la personne de Mme J... T... et la société R... Yang-Ting, prise en la personne de Mme S... R..., en qualité de liquidateurs judiciaires de la société d'agences et de diffusion, demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les requêtes du comité social et économique central de la société d'agences et de diffusion, de M. G... et de M. K... ;
3°) de mettre à la charge du comité social et économique central de la société d'agences et de diffusion, de M. G... et de M. K... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 451713, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 avril et 10 juin 2021, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion demande au Conseil d'Etat d'annuler le même arrêt.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la société MJA et de la société R... Yang-Ting, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du comité social et économique central de la société d'agences et de diffusion, de M. I... G... et de M. P... K... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 15 mai 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire sans poursuite d'activité de la société d'agences et de diffusion (SAD) qui appartient au groupe Presstalis spécialisé dans la distribution de la presse et sa commercialisation, le groupe étant organisé en deux niveaux principaux, la société Presstalis d'une part, les sociétés SAD, Soprocom et Sobadi d'autre part. Par une décision du 2 juin 2020, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l'emploi élaboré par les administrateurs judiciaires de la SAD ainsi que les deux addenda qui le complètent. Saisi par le comité social et économique central de la SAD, M. G... et M. K..., le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 20 octobre 2020, rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision. Les sociétés MJA et R... Yang-Ting, liquidateurs judiciaires de la SAD, d'une part, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, d'autre part, se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 15 février 2021 de la cour administrative d'appel de Paris qui, sur appel du comité social et économique central de la SAD, de M. G... et de M. K..., a annulé le jugement du 20 octobre 2020 du tribunal administratif de Paris et la décision du 2 juin 2020. Il y a lieu de joindre ces pourvois pour y statuer par une seule décision.
2. Aux termes de l'article L. 1233-58 du code du travail : " I. En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, qui envisage des licenciements économiques, met en œuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4. (...) / II. Pour un licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés, l'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 est validé et le document mentionné à l'article L. 1233-24-4, élaboré par l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, est homologué dans les conditions fixées aux articles L. 1233-57-1 à L. 1233-57-3, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 1233-57-4 et à l'article L. 1233-57-7. / Par dérogation au 1° de l'article L. 1233-57-3, sans préjudice de la recherche, selon le cas, par l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des moyens du groupe auquel l'employeur appartient pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, l'autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l'emploi après s'être assurée du respect par celui-ci des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 au regard des moyens dont dispose l'entreprise. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. / Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement sur le territoire national des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile. / (...) ". A ceux de l'article L. 1233-62 du code du travail : " Le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit des mesures telles que : / 1° Des actions en vue du reclassement interne sur le territoire national, des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d'emplois ou équivalents à ceux qu'ils occupent ou, sous réserve de l'accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ; (...) / 3° Des actions favorisant le reclassement externe à l'entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d'emploi ; / 4° Des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes par les salariés ; / 5° Des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ; / (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond ainsi que des termes mêmes de la décision du 2 juin 2020, d'une part, que la demande d'homologation déposée le 27 mai 2020 sur le portail électronique prévu à cet effet par les liquidateurs judiciaires portait sur le document unilatéral dans sa version définitive ainsi que sur les addenda n° 1 et n° 2, d'autre part, que la décision du 2 juin 2020 relève que si le document unilatéral ne prévoyait aucune perspective de reclassement interne compte tenu de la cessation totale de l'activité de la SAD, les autres sociétés du groupe avaient été sollicitées pour l'identification de postes de reclassement au sein du groupe, que ce même document prévoyait des mesures propres à favoriser le reclassement interne des salariés par le recours à des mesures d'accompagnement spécifique au reclassement et d'aides à la mobilité fonctionnelle et qu'il comportait diverses mesures de nature à favoriser le reclassement externe des salariés, les aides à la formation étant majorées pour les salariés dont la réinsertion professionnelle pourrait être difficile. Dès lors, en jugeant, après avoir relevé qu'il ne ressortait ni des motifs de la décision d'homologation ni de l'ensemble des pièces du dossier que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France aurait homologué le document unilatéral qui lui était soumis s'il n'avait pas pris en compte les mesures complémentaires de l'addendum n° 2, que le contrôle de ce plan ne satisfaisait pas aux dispositions de l'article L. 1233-57-3 du code du travail dès lors que, pour apprécier le caractère suffisant des mesures du plan, il s'était principalement fondé sur les mesures contenues dans l'addendum n° 2 qui, si elles étaient précises, ne pouvaient pas être qualifiées de concrètes compte tenu du caractère hypothétique de leur mise en œuvre, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier.
4. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, l'arrêt attaqué doit être annulé.
5. Le délai de trois mois imparti à la cour administrative d'appel pour statuer par les dispositions de l'article L. 1235-7-1 du code du travail étant expiré, il y a lieu pour le Conseil d'Etat, en application des mêmes dispositions, de statuer immédiatement sur l'appel formé par le comité social et économique central de la SAD, de M. G... et de M. K... contre le jugement du 20 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision d'homologation du 2 juin 2020.
6. En premier lieu, d'une part, lorsqu'elle est saisie par un employeur d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail et fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité social et économique a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'homologation demandée que si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part, sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi. A ce titre, il appartient à l'administration de s'assurer que l'employeur a adressé au comité tous les éléments utiles pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation. Par ailleurs, en vertu de l'article L. 641-4 du code de commerce dans sa version applicable à l'espèce, l'avis du comité social et économique est rendu au plus tard douze jours après la décision prononçant la liquidation judiciaire.
7. Il ressort des pièces du dossier que, alors que le jugement du tribunal de commerce prononçant la liquidation judiciaire de la SAD est intervenu le 15 mai 2020, ont été envoyées dès le 19 mai les convocations en vue d'une réunion d'information et de consultation du comité social et économique central prévue pour le 25 mai. Le 20 mai 2020, les représentants du personnel ayant souhaité avoir recours à l'assistance d'un expert, le calendrier de procédure a été modifié pour permettre à ce comité de désigner un expert lors d'une réunion du 22 mai 2020, celui-ci ayant été mis à même, par les documents qui lui ont été communiqués, d'accomplir sa mission et de produire son rapport, lequel a été remis lors de la dernière réunion de consultation du comité qui s'est tenue le 27 mai 2020. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le comité n'a pas été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part, sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi.
8. Par ailleurs, le 20 mai 2020, le candidat à la reprise de la société Presstalis, laquelle faisait l'objet, par jugement du tribunal de commerce de Paris du 15 mai 2020, d'une procédure de redressement judiciaire en raison d'une situation de cessation de paiements, a évalué à une somme de 38 millions d'euros les mesures d'accompagnement aux plans de sauvegarde de cette société et de certaines de ses filiales dont la SAD. L'addendum n° 2 prévoyant ces mesures a été communiqué par les administrateurs judiciaires le 26 mai 2020, après que le coût complémentaire estimé de ces mesures leur avait été transmis, le délai pris pour cette communication ne révélant aucune manœuvre, étant relevé qu'il ressort des pièces du dossier que cet addendum ne comporte que des mesures d'accompagnement au reclassement interne des salariés allant au-delà des exigences légales et que les représentants du personnel ont refusé qu'il soit retiré de la consultation.
9. Il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision d'homologation est illégale, faute que le comité social et économique central eut été mis à même d'émettre ses avis en toute connaissance de cause conformément aux exigences mentionnées au point 6.
10. En second lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que, lorsque l'administration est saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il lui appartient, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier, dans le cas des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaires, d'une part, que l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur a recherché, pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, les moyens dont disposent l'unité économique et sociale et le groupe auquel l'entreprise appartient et, d'autre part, que le plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas insuffisant au regard des seuls moyens dont dispose l'entreprise.
11. Il ressort des pièces du dossier que la SAD, qui a été, ainsi qu'il a été dit, placée en liquidation judiciaire sans poursuite d'activité, avait à la date du jugement de liquidation, un passif s'élevant à 176,5 millions d'euros dont 15,6 millions d'euros exigibles, l'actif s'élevant à 40,6 millions d'euros dont 1,1 million d'euros disponibles. Le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit le recours au contrat de sécurisation professionnelle pour les salariés remplissant les conditions légales, ainsi que les aides du régime d'assurance de garantie des salaires au soutien notamment des mesures accessoires prévues au profit des salariés les plus âgés et des salariés handicapés ou parents isolés, des mesures de prévention des risques psychosociaux ayant par ailleurs été mises en œuvre. S'agissant de l'identification des postes de reclassement, le reclassement étant impossible au sein de la SAD, le plan fait état de la recherche par les mandataires judiciaires de postes au titre du reclassement au sein du groupe, des mesures visant par ailleurs à faciliter le reclassement externe. Ces mesures, alors même qu'elles se bornent pour l'essentiel à mettre en œuvre des dispositifs légaux ou financés par des fonds publics, pouvaient être légalement regardées par l'administration comme étant, prises dans leur ensemble, suffisantes au regard des moyens de la SAD et propres à satisfaire aux objectifs mentionnés par les articles du code du travail cités au point 2.
12. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait illégale au motif que le plan de sauvegarde de l'emploi serait insuffisant doit être écarté. Au surplus, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er juillet 2020 ayant arrêté le plan de cession d'une partie des actifs de la société Presstalis, société mère de la SAD, dans le cadre du redressement judiciaire la visant, la Coopérative de distribution des quotidiens (CDQ) a abondé le plan de sauvegarde de l'emploi de la SAD par le versement d'une somme de 18 9000 000 euros, abondement qui a eu notamment pour effet d'améliorer les mesures d'accompagnement au reclassement externe telles que les aides financières individuelles à la formation, les aides financières à la recherche d'emploi et à la mobilité géographique ainsi que les aides à la création d'entreprises.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le comité social et économique central de la SAD, M. G... et M. K... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de Paris, qui n'a pas directement examiné la conformité du plan de sauvegarde de l'emploi de la SAD aux dispositions du code du travail en lieu et place de l'administration et ne s'est donc pas mépris sur son office, a rejeté leurs demandes.
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les sociétés MJA et R... Yang-Ting au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des sociétés MJA et R... Yang-Ting et de l'Etat qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 9 juillet 2020 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : Les requêtes présentées par le comité social et économique central de la société d'agences et de diffusion, par M. I... G... et par M. P... K... devant la cour administrative d'appel de Paris sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société MJA et la société R... Yang-Ting, par le comité social et économique central de la société d'agences et de diffusion, par M. I... G... et par M. P... K... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société MJA et à la société R... Yang-Ting, en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société d'agences et de diffusion, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, au comité social et économique central de la société d'agences et de diffusion, à M. I... G... et à M. P... K....
Délibéré à l'issue de la séance du 13 décembre 2021 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du Contentieux, présidant ; Mme A... Q..., Mme D... O..., présidentes de chambre ; M. M... H..., Mme L... N..., Mme B... F..., M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat ; Mme Marie Grosset, maître des requêtes et Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 29 décembre 2021.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Brouard-Gallet
La secrétaire :
Signé : Mme C... E...