La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/12/2021 | FRANCE | N°456966

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 28 décembre 2021, 456966


Vu la procédure suivante :

Madame C... F... a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie et à l'Agence de la biomédecine de permettre l'exportation des gamètes de M. E... A..., décédé, vers un établissement de santé, afin de pratiquer des procréations médicalement assistées post-mortem.

Par une ordonnance n° 2103054 du 9 septembre 2021, statuant sur le fondement de l'article L. 522-3 du co

de de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif ...

Vu la procédure suivante :

Madame C... F... a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie et à l'Agence de la biomédecine de permettre l'exportation des gamètes de M. E... A..., décédé, vers un établissement de santé, afin de pratiquer des procréations médicalement assistées post-mortem.

Par une ordonnance n° 2103054 du 9 septembre 2021, statuant sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 septembre et 7 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant comme juge des référés, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine et du centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de Mme F... et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Agence de la biomédecine ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 521-2 du code de justice administrative prévoit que le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Selon l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter sans instruction ni audience une demande qui lui apparaît dépourvue d'urgence ou manifestement mal fondée.

2. Eu égard à son office, qui consiste à assurer la sauvegarde des libertés fondamentales, il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521 2 du code de justice administrative, de prendre, en cas d'urgence, toutes les mesures qui sont de nature à remédier aux effets résultant d'une atteinte grave et manifestement illégale portée, par une autorité administrative, à une liberté fondamentale, y compris lorsque cette atteinte résulte de l'application de dispositions législatives qui sont manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou dont la mise en œuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements. Toutefois, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement de ces dispositions doit toujours justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A... a procédé à un dépôt de gamètes dans le centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) du centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie. M. A... est décédé le 10 septembre 2019. A la suite de son décès, Mme F..., sa compagne depuis 2013, a demandé au CECOS que les gamètes de son compagnon soient transférés dans un établissement de santé situé aux Etats-Unis, aux fins d'une insémination post-mortem. Par une décision du 17 mars 2021, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a refusé de faire droit à cette demande. Mme F... a saisi de ce refus le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Ce juge, statuant sur le fondement de l'article L. 522-3 du même code, a rejeté sa demande tendant à ce qu'il enjoigne au CHU d'Amiens et à l'Agence de la biomédecine de permettre l'exportation des gamètes de M. A... vers un établissement étranger, au motif que la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'était pas, en l'espèce, satisfaite. Mme F... se pourvoit en cassation contre son ordonnance.

4. Aux termes de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique : " L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l'assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l'équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l'article L. 2141-10. / Cet accès ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l'orientation sexuelle des demandeurs. / Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons. / Lorsqu'il s'agit d'un couple, font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons : / 1° Le décès d'un des membres du couple ; ".

5. L'article L. 2141-11 de ce même code dispose que : " I.- Toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité ou dont la fertilité risque d'être prématurément altérée peut bénéficier du recueil ou du prélèvement et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation, en vue de la préservation ou de la restauration de sa fertilité ou en vue du rétablissement d'une fonction hormonale. (...) Le recueil, le prélèvement et la conservation mentionnés au premier alinéa sont subordonnés au consentement de l'intéressé (...) Les procédés biologiques utilisés pour la conservation des gamètes et des tissus germinaux sont inclus dans la liste prévue à l'article L. 2141-1 du présent code, dans les conditions déterminées au même article L. 2141-1. (...) III.- La personne majeure dont les gamètes ou les tissus germinaux sont conservés en application du présent article est consultée chaque année. Elle consent par écrit à la poursuite de cette conservation. / Si elle ne souhaite plus poursuivre cette conservation ou si elle souhaite préciser les conditions de conservation en cas de décès, elle consent par écrit : / 1° A ce que ses gamètes fassent l'objet d'un don en application du chapitre IV du titre IV du livre II de la première partie ; / 2° A ce que ses gamètes ou ses tissus germinaux fassent l'objet d'une recherche dans les conditions prévues aux articles L. 1243-3 et L. 1243-4 ; (...) IV.- En l'absence de réponse de la personne majeure durant dix années consécutives, il est mis fin à la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux. Le délai de dix années consécutives court à compter de la majorité de la personne. / Lorsque la personne atteint un âge ne justifiant plus l'intérêt de la conservation et en l'absence du consentement prévu aux 1° ou 2° du III, il est mis fin à cette conservation. Cette limite d'âge est fixée par un arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de l'Agence de la biomédecine. / En cas de décès de la personne et en l'absence du consentement prévu aux mêmes 1° ou 2°, il est mis fin à la conservation des gamètes ou des tissus germinaux ". Il résulte de ces dispositions qu'en principe, le dépôt et la conservation des gamètes ne peuvent être autorisés, en France, qu'en vue de la réalisation d'une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du code de la santé publique. Par ailleurs, en l'absence d'expression du consentement prévu au IV de cet article, les gamètes et tissus germinaux ont vocation à être détruits.

6. En outre, en vertu des dispositions de l'article L. 2141 11 1 de ce même code : " L'importation et l'exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain sont soumises à une autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine. Elles sont exclusivement destinées à permettre la poursuite d'un projet parental par la voie d'une assistance médicale à la procréation ou la restauration de la fertilité ou d'une fonction hormonale du demandeur, à l'exclusion de toute finalité commerciale. / Seul un établissement, un organisme, un groupement de coopération sanitaire ou un laboratoire titulaire de l'autorisation prévue à l'article L. 2142-1 pour exercer une activité biologique d'assistance médicale à la procréation peut obtenir l'autorisation prévue au présent article. / Seuls les gamètes et les tissus germinaux recueillis et destinés à être utilisés conformément aux normes de qualité et de sécurité en vigueur, ainsi qu'aux principes mentionnés aux articles L. 1244-3, L. 1244-4, L. 2141-2, L. 2141-3, L. 2141-11 et L. 2141-12 du présent code et aux articles 16 à 16-8 du code civil, peuvent faire l'objet d'une autorisation d'importation ou d'exportation. / Toute violation des prescriptions fixées par l'autorisation d'importation ou d'exportation de gamètes ou de tissus germinaux entraîne la suspension ou le retrait de cette autorisation par l'Agence de la biomédecine ".

7. Il découle de ce qui a été dit au point 2 que, lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que, sur le fondement de l'article L. 521 2 du code de justice administrative, les mesures nécessaires soient prises pour permettre l'exportation des gamètes d'une personne décédée vers un établissement étranger, il appartient au juge d'apprécier concrètement si les circonstances particulières de la demande justifient que le requérant bénéficie à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article.

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens que, pour justifier de l'urgence s'attachant à sa demande, Mme F... faisait valoir l'existence d'un risque imminent lié à la destruction des paillettes détenues par le CHU Amiens-Picardie. Elle n'apportait toutefois à l'appui de ses allégations aucun autre élément que le décès de M. A... survenu deux ans auparavant. Par ailleurs, si elle soutenait devant le juge des référés que la plupart des pays européens autorisant l'insémination à titre posthume circonscrivaient cette possibilité dans des délais restreints, elle ne pouvait utilement s'en prévaloir dès lors qu'elle demandait le transfert des gamètes de M. A... vers un établissement situé en Californie. Par suite, Mme F... n'est pas fondée à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens aurait entaché son ordonnance d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en jugeant que sa demande ne remplissait pas la condition d'urgence particulière prévue à l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

9. En second lieu, dès lors que le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a écarté sa demande pour défaut d'urgence, Mme F... ne saurait utilement soutenir que son ordonnance serait entachée d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier faute d'avoir recherché si l'interdiction de toute exportation de gamètes en vue d'une utilisation contraire aux règles du droit français portait une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par Mme F... soit mise à la charge de l'Agence de la biomédecine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par l'Agence de la biomédecine.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de Mme F... est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de l'Agence de la biomédecine tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C... F..., à l'Agence de la biomédecine, au centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2021 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot

La secrétaire :

Signé : Mme B... D...


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 28 déc. 2021, n° 456966
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Myriam Benlolo Carabot
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP GADIOU, CHEVALLIER

Origine de la décision
Formation : 10ème chambre
Date de la décision : 28/12/2021
Date de l'import : 18/01/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 456966
Numéro NOR : CETATEXT000044611397 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2021-12-28;456966 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award