Vu la procédure suivante :
M. H... E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Villejuif (Val-de-Marne).
Par un jugement n° 2005056 du 5 mars 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette protestation.
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril et 4 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces opérations électorales ;
3°) de mettre à la charge de M. I... G... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de M. E... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. G... ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 dans la commune de Villejuif (Val-de-Marne), les quarante-cinq sièges de conseillers municipaux et le siège de conseiller communautaire ont été pourvus. Trente-quatre sièges de conseillers municipaux et le siège de conseiller communautaire ont été attribués à des candidats de la liste " N... ensemble pour Villejuif écologiste citoyenne et solidaire " conduite par M. I... G..., qui a obtenu 6 196 voix, soit 51,89 % des suffrages exprimés. Les onze sièges restants de conseillers municipaux ont été attribués à des candidats de la liste " Villejuif rassemblée ! ", conduite par M. F... M..., maire sortant, qui a obtenu 5 744 voix, soit 48,11 % des suffrages exprimés. M. H... E..., colistier de la liste " Villejuif rassemblée ! ", fait appel du jugement du 5 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa protestation tendant à l'annulation de ces opérations électorales.
Sur la campagne électorale :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ".
3. Si M. E... soutient, d'une part, que Mme J..., candidate sur la liste de M. G... " N... ensemble pour Villejuif écologiste citoyenne et solidaire " pour le second tour, a diffusé, une semaine avant le second tour de scrutin, des tracts mentionnant l'existence de condamnations par la justice et de plusieurs enquêtes policières concernant M. M... et une allégation selon laquelle il aurait " clandestinement aggravé l'endettement de la ville de 10 millions d'euros ", et d'autre part, pour la première fois en appel, que M. G... en aurait fait de même, il ne résulte de l'instruction ni que ces tracts contenaient des éléments nouveaux de polémique électorale, ni que M. M... aurait été dans l'incapacité de répondre en temps utile à ces propos, dont l'ampleur de la diffusion n'est au demeurant pas établie. Si M. E... fait également valoir que M. G... a diffusé des tracts en faveur du rétablissement de la ligne de bus 131 quelques jours avant le second tour de scrutin, cette circonstance, à la supposer établie, n'a pas été, en l'espèce, de nature à altérer la sincérité du scrutin dès lors que ces tracts, qui portent sur un point présenté dans le programme électoral de M. G..., ne sauraient être regardés comme constituant un élément nouveau de polémique électorale et qu'en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que M. M... n'aurait pas eu la possibilité d'y répondre utilement. En outre, le moyen tiré de ce qu'un tract électoral a mis en cause la politique menée par le maire sortant, M. M..., en matière d'habitat quelques jours avant le second tour des élections municipales et méconnaîtrait ainsi les dispositions de l'article L. 48-2 du code électoral n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
4. En deuxième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral : " Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués (...) ".
5. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif, d'écarter le grief tiré de ce qu'un courrier du 12 juin 2020 par lequel M. G... et Mme C... D..., en tant que conseillers départementaux du canton de Villejuif, s'enquièrent de la réouverture d'un bureau de poste après la fin du premier confinement imposé par la crise sanitaire résultant de la Covid-19, constituerait une aide du conseil départemental du Val-de-Marne prohibée par ces dispositions.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 49 du code électoral : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de : / (...) 2° Diffuser ou faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que, par un message publié sur sa page du réseau social " facebook " le samedi 27 juin 2020 à 00h04, republié sur le même site internet sans modifications notables jusqu'à 11h49 le même jour, M. A... K... a appelé à voter en faveur de la candidature de M. G... et a critiqué l'action de M. M.... Toutefois, il résulte également de l'instruction que M. K... était colistier de M. G... au second tour de scrutin, de sorte que le soutien de M. K... au responsable de la liste sur laquelle il était candidat ne peut être regardé comme un élément nouveau dans la campagne électorale. En outre, à supposer même que les critiques dirigées envers la liste de M. M..., notamment en ce que M. K... accuse d'" islamophobie " les soutiens du maire sortant, soient regardées comme introduisant des éléments nouveaux de polémique électorale, il ne résulte pas de l'instruction que la diffusion de ce message aurait été significative auprès des électeurs de la commune, alors que le requérant invoque seulement, au soutien de son argumentation, le nombre d'abonnés au compte " facebook " de M. K... sans établir le nombre de ceux d'entre eux qui sont électeurs dans la commune, et que, eu égard à l'écart de voix entre les listes, cette diffusion n'a, en tout état de cause, pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin. Enfin, si le requérant soutient que la diffusion, par M. G..., de tracts relatifs au rétablissement de la ligne de bus 131 a méconnu l'article L. 49 du code électoral, il ne résulte pas de l'instruction que la date de diffusion de ces tracts était postérieure à la clôture de la campagne électorale.
8. En quatrième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 52-1 du code électoral : " Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite ". Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif, d'écarter le grief relatif à la publication sur le réseau social " facebook ", par M. G... et Mme D..., de messages concernant le soutien scolaire en période de confinement et un appel au bénévolat. Par ailleurs, si M. E... soutient pour la première fois en appel que la distribution de masques, denrées alimentaires ou ordinateurs portables par M. G... et Mme D... aurait donné lieu à une couverture médiatique dans le journal " Villejuif ensemble ", ce grief n'est en tout état de cause assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
Sur la régularité des opérations de vote :
9. Aux termes de l'article L. 98 du même code : " Lorsque, par attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes, on aura troublé les opérations d'un collège électoral, porté atteinte à l'exercice du droit électoral ou à la liberté du vote, les coupables seront punis d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 15 000 euros ". Aux termes de l'article R. 98 du code électoral : " Toutes discussions et toutes délibérations des électeurs sont interdites à l'intérieur des bureaux de vote ". S'il n'appartient pas au juge de l'élection de faire application de ces dispositions en ce qu'elles édictent des sanctions pénales, il lui revient, en revanche, de rechercher si des attroupements, des clameurs ou des démonstrations menaçantes, tels que définis par celles-ci, ont constitué des pressions de nature à altérer la sincérité du scrutin.
10. En cinquième lieu, s'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de la commission de contrôle ayant assisté aux opérations électorales dans la commune de Villejuif, qu'ont été constatées des tensions entre certains délégués de liste et des présidents de bureaux de vote ainsi qu'avec des représentants de la commission de contrôle, de même qu'une altercation à l'extérieur du bureau de vote n° 10 entre la présidente de cette commission et une personne en raison de la conduite de cette dernière sur la voie publique, il n'est pas établi que ces incidents isolés, pour regrettables qu'ils soient, aient été de nature à porter atteinte à la tenue des opérations de vote. S'il est fait état de ce qu'un dispositif précaire a été installé pour pallier le fonctionnement défaillant d'une urne dans un bureau de vote, il n'est pas soutenu que cette circonstance, à elle seule, ait été de nature à favoriser une fraude. Par ailleurs, si le rapport de la commission de contrôle fait état de ce que des personnes isolées ont appelé à voter en faveur de la liste conduite par M. G... à proximité de trois bureaux de vote et de ce que d'autres personnes extérieures à la commune ont fait irruption dans le bureau de vote n° 20 au moment du dépouillement, il n'est pas établi que ces agissements, pour regrettables qu'ils soient, aient donné lieu à des pressions, des menaces ou des marchandages auprès des électeurs ou aient faussé les opérations de dépouillement.
11. En sixième et dernier lieu, si M. E... invoque, en appel, une étude reposant sur une analyse probabiliste et mentionnant des résultats présentés comme anormaux au regard des précédents scrutins pour les bureaux de vote n° 10, 15 et 33, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que des évènements particuliers auraient pu favoriser un risque de fraude dans ces trois bureaux de vote ou auraient été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa protestation.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. G... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. H... E..., à M. I... G... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 novembre 2021 où siégeaient : Mme Carine Soulay, conseillère d'Etat, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 22 décembre 2021.
La présidente :
Signé : Mme Carine Soulay
Le rapporteur :
Signé : M. Sylvain Monteillet
Le secrétaire :
Signé : M. L... B...