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21/12/2021 | FRANCE | N°456926

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 21 décembre 2021, 456926


Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 22 septembre et 2 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement " demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir des décisions par lesquelles le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ont implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 22 févri

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Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 22 septembre et 2 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement " demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir des décisions par lesquelles le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ont implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances psychotropes, de l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants, des articles R. 5132-1 à R. 5132-96 du code de la santé publique et de l'annexe 51-1 du même code et, d'autre part, à ce qu'il enjoint au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé d'abroger ces dispositions et d'en édicter de nouvelles aux fins de prévoir une exception " permettant à chacun de pouvoir mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité ", de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique, notamment son article L. 5132-8 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'association " DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement " ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Le chapitre II du titre III du livre Ier de la cinquième partie du code de la santé publique réglemente les substances et préparations vénéneuses. L'article L. 5132-1 de ce code définit les substances vénéneuses comme les substances stupéfiantes, les substances psychotropes et les substances inscrites sur la liste I et la liste II définies à l'article L. 5132-6 du même code et précise les notions de " substances " et de " préparations ". L'article L. 5132-7 confie au directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé le pouvoir de classer les plantes, substances ou préparations vénéneuses comme stupéfiants ou comme psychotropes ou de les inscrire sur les listes I et II. Aux termes de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique : " La production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition et l'emploi de plantes, de substances ou de préparations classées comme vénéneuses sont soumises à des conditions définies par décrets en Conseil d'État. / Ces décrets peuvent prohiber toute opération relative à ces plantes et substances ; ils peuvent notamment, après avis des Académies nationales de médecine et de pharmacie, interdire la prescription et l'incorporation dans des préparations de certaines de ces plantes et substances ou des spécialités qui en contiennent. / Les conditions de prescription et de délivrance de telles préparations sont fixées après avis des conseils nationaux de l'ordre des médecins et de l'ordre des pharmaciens ". Ces dispositions sont assorties de sanctions pénales fixées aux articles L. 5432-1 à L. 5432-5 du même code, les substances classées comme stupéfiant étant en outre soumises à des dispositions pénales supplémentaires qui leur sont propres.

3. Sur le fondement de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique, un premier arrêté du 22 février 1990 a fixé la liste des substances psychotropes et un second arrêté du même jour a fixé la liste des substances classées comme stupéfiants. Les articles R. 5132-1 à R. 5132-96 du code de la santé publique constituent l'ensemble de la partie réglementaire de ce chapitre du code de la santé publique prise en application de l'article L. 5132-8 de ce code, à l'exception des dispositions de ce chapitre relatives à l'addictovigilance. En application de l'article R. 5132-40 du même code, l'annexe 51-1 du code de la santé publique dresse la liste des substances vénéneuses, réparties en quatre groupes, dont la prescription sous forme d'une préparation magistrale et l'incorporation de plusieurs d'entre elles dans une même préparation est interdite lorsqu'elles appartiennent à des groupes différents.

4. A l'appui de son recours tendant à l'annulation du refus du Premier ministre et du ministre des solidarités et de la santé d'abroger les deux arrêtés du 22 février 1990, les articles R. 5132-1 à R. 5132-96 du code de la santé publique et l'annexe 51-1 de ce code, l'association requérante demande au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique. Elle soutient que ces dispositions, en tant qu'elles autorisent le pouvoir réglementaire à prohiber toute opération relative aux plantes, substances ou préparations classées comme vénéneuses, sans réserver l'usage de certaines d'entre elles dans le cadre du " droit de mourir dans la dignité ", portent atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, au droit au respect de la vie privée, au " droit à l'autonomie personnelle " et au " droit de mourir dans la dignité " ainsi qu'au principe de fraternité et à la " liberté d'aider autrui dans un but humanitaire " découlant de ce principe et qu'en les édictant sans opérer une telle réserve, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elle-même ces droits et libertés.

5. En premier lieu, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances psychotropes et de l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants qui, comme il a été dit, ont été pris en application de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique. L'article L. 5132-8 du code de la santé publique n'est, dans cette mesure, pas applicable au litige.

6. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que les dispositions de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique participent du régime de police spéciale instauré par le législateur en vue de réglementer les opérations relatives aux substances présentant des risques directs ou indirects pour la santé publique. Elles ont, ainsi, de même que les dispositions réglementaires prises pour leur application dont l'association requérante conteste le refus d'abrogation, un tout autre objet que la reconnaissance ou l'exercice d'un " droit à mourir dans la dignité " tel que revendiqué par cette association. Si la requérante fait valoir l'incompétence négative qui entacherait les dispositions législatives contestées faute qu'elles comportent des règles relatives à l'exercice du droit qu'elle revendique, un tel grief ne peut être utilement présenté qu'à l'encontre de dispositions applicables au litige et à la condition de contester les insuffisances du dispositif qu'elles instaurent et non pour revendiquer la création d'un régime dédié. Ce grief est, par suite, inopérant.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'intérêt pour agir de l'association requérante et sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 5132-8 du code de la santé publique porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association " DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement ".

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association " DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement " et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; Mme A... L..., Mme C... K..., présidentes de chambre ; M. B... J..., Mme F... H..., M. G... E..., Mme I... N..., M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 21 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Agnès Pic

La secrétaire :

Signé : Mme M... D...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 456926
Date de la décision : 21/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 déc. 2021, n° 456926
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Pic
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:456926.20211221
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