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30/11/2021 | FRANCE | N°438500

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 30 novembre 2021, 438500


Vu la procédure suivante :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler le titre de recette du 18 mai 2010 par lequel le conseil général de Guyane l'a mise en demeure de reverser la somme de 10 114,18 euros correspondant à un trop-perçu de revenu minimum d'insertion, de constater la tardiveté fautive de cette mise en demeure et de condamner la collectivité territoriale de Guyane à lui verser cette somme en réparation des troubles dans ses conditions d'existence occasionnés par ce contentieux. Par un jugement n° 1701142 du 25 juillet 2019, le tribu

nal administratif de la Guyane a rejeté cette demande.

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Vu la procédure suivante :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler le titre de recette du 18 mai 2010 par lequel le conseil général de Guyane l'a mise en demeure de reverser la somme de 10 114,18 euros correspondant à un trop-perçu de revenu minimum d'insertion, de constater la tardiveté fautive de cette mise en demeure et de condamner la collectivité territoriale de Guyane à lui verser cette somme en réparation des troubles dans ses conditions d'existence occasionnés par ce contentieux. Par un jugement n° 1701142 du 25 juillet 2019, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté cette demande.

Par une ordonnance n° 20BX00192 du 3 février 2020, enregistrée le 10 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 14 janvier 2020 au greffe de cette cour, présenté par Mme C....

Par ce pourvoi et par un nouveau mémoire, enregistré le 8 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 25 juillet 2019 du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) de mettre à la charge de la collectivité territoriale de la Guyane la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'omissions dans ses déclarations de ressources, Mme C... a reçu le 12 février 2010 de l'agence départementale d'insertion de Guyane un courrier relatif à un trop-perçu de revenu minimum d'insertion pour la période du 1er juillet 2007 au 31 mai 2009 mentionnant la possibilité d'exercer un recours devant la commission départementale d'aide sociale, dans un délai de deux mois. Mme C... a saisi cette commission par un courrier du 18 mars 2010. Un titre exécutoire de recette a été émis, le 18 mai 2010, par le conseil général de Guyane, qui l'a mise en demeure de reverser la somme de 10 114,18 euros. Mme C... soutient que ce titre ne lui a jamais été notifié, la privant de la possibilité de le contester. Le 25 juillet 2014, Mme C... a reçu la notification d'une nouvelle mise en demeure de payer, datée du 18 juillet 2014. Le 20 août 2014, elle a sollicité une remise gracieuse auprès du président du conseil général, qui l'a rejetée le 13 octobre 2014 en l'informant de la possibilité de former un recours dans un délai de deux mois devant le tribunal administratif de la Guyane, ce qu'elle a fait le 16 décembre 2014. Par une ordonnance du 28 mai 2015, le président du tribunal administratif a renvoyé l'affaire à la commission départementale d'aide sociale de la Guyane. Par un courrier du 25 août 2017, Mme C... a été informée de la mise en recouvrement de l'indu litigieux par un avis à tiers détenteur. Par un courrier du 15 septembre 2017, elle a fait opposition en soulevant la prescription du titre, que le comptable public a contestée en invoquant des mises en demeure des 24 avril 2012 et 18 juillet 2014. Le 13 novembre 2017, elle a saisi le tribunal administratif de Guyane en sollicitant, d'une part, l'annulation du titre de recette de 2010 et, d'autre part, son indemnisation pour la même somme de 10 114,18 euros au titre de son préjudice dans les conditions d'existence. Par un jugement du 25 juillet 2019, ce tribunal a rejeté ces demandes au motif que les conclusions indemnitaires avaient été présentées sans liaison du contentieux et que les conclusions tendant à l'annulation du titre de recette du 18 mai 2010 étaient tardives. Mme C... se pourvoit en cassation contre ce jugement en tant qu'il rejette la demande d'annulation du titre de recette du 18 mai 2010.

2. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

3. Aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué ". S'il appartenait au tribunal administratif, dès lors qu'il estimait réunies les conditions d'application de la règle rappelée au point 2, d'en faire application, le cas échéant d'office, au litige dont il était saisi, il devait préalablement procéder à la communication aux parties de ce moyen d'ordre public en vue d'un débat contradictoire, pour leur permettre de présenter utilement leurs observations sur ce moyen.

4. Il ressort des pièces du dossier de la procédure suivie devant le tribunal administratif que l'information donnée par celui-ci à Mme C... était trop imprécise pour qu'elle puisse discuter utilement l'irrecevabilité susceptible d'être opposée à ses conclusions. Elle n'a, de ce fait, notamment pas été mise à même de faire valoir d'éventuelles circonstances particulières telles que mentionnées au point 2. Il en résulte que Mme C... est fondée à soutenir que le tribunal n'a pas respecté les exigences de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.

5. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le jugement doit être annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme C... tendant à l'annulation du titre de recette du 18 mai 2010.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Guyane une somme de 3 000 euros à verser à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 25 juillet 2019 du tribunal administratif de la Guyane est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de Mme C... tendant à l'annulation du titre de recettes du 18 mai 2010.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de la Guyane.

Article 3 : La collectivité territoriale de la Guyane versera une somme de 3 000 euros à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D... C... et la collectivité territoriale de la Guyane.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 novembre 2021 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 30 novembre 2021.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

La secrétaire :

Signé : Mme A... B...


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 438500
Date de la décision : 30/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 nov. 2021, n° 438500
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Vincent Villette
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:438500.20211130
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