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24/11/2021 | FRANCE | N°435698

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 24 novembre 2021, 435698


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 31 octobre 2019, 23 janvier 2020 et 19 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux et l'association Conférence des bâtonniers de France et d'Outre-Mer demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, le décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le code de l'organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de progra

mmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;

2°) de mettre à la charg...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 31 octobre 2019, 23 janvier 2020 et 19 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux et l'association Conférence des bâtonniers de France et d'Outre-Mer demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, le décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le code de l'organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

- le décret n° 2011-184 du 15 février 2011 ;

- l'arrêté du 7 juin 2011 relatif à la création d'un comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires ;

- l'arrêté du 8 juin 2019 portant nomination des représentants du personnel au comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat du Conseil national des barreaux et autre ;

Considérant ce qui suit :

1. Le Conseil national des barreaux et l'association Conférence des bâtonniers de France et d'Outre-Mer demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 août 2019 modifiant le code de l'organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Les conclusions de la requête doivent être regardées comme dirigées contre l'article 3 de ce décret, en tant qu'il crée, dans le code de l'organisation judiciaire, un article R. 211-4 permettant de spécialiser, au sein d'un département, un seul tribunal judiciaire pour juger certaines affaires civiles et pénales.

Sur la légalité externe :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qui est soutenu, le comité technique spécial placé auprès du directeur des services judiciaires, consulté sur le projet de décret, était composé conformément à l'article 2 de l'arrêté du 7 juin 2011 relatif à la création d'un comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires et à l'arrêté du 8 juin 2019 portant nomination des représentants du personnel au comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires.

3. En second lieu, l'article 50 du décret du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'Etat, dans sa rédaction alors en vigueur, prévoit que les membres d'un comité technique doivent recevoir communication " de toutes pièces et documents nécessaires à l'accomplissement de leurs fonctions au plus tard huit jours avant la date de la séance ". Aux termes de l'article 48 de ce même décret, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsqu'un projet de texte recueille un vote défavorable unanime, le projet fait l'objet d'un réexamen et une nouvelle délibération est organisée dans un délai qui ne peut être inférieur à huit jours et excéder trente jours. La nouvelle convocation est adressée dans un délai de huit jours aux membres du comité. (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que les membres du comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires ont reçu communication des pièces nécessaires dans le délai de huit jours précédant les réunions des 22 mai, 4 juin, 11 juin et 27 juin 2019. S'il apparait que les documents en vue de la séance du 8 juillet 2019 n'ont été communiqués que le 2 juillet, il ressort également des pièces du dossier que, les représentants du personnel présents ayant émis un avis défavorable au projet lors de la séance du 27 juin 2019, le comité technique spécial a été convoqué pour une nouvelle réunion le 8 juillet 2019 ayant le même ordre du jour et portant sur les mêmes textes, ce qui rendait, en tout état de cause, inutile une nouvelle communication des documents déjà précédemment portés à la connaissance de ses membres. Par suite, le moyen tiré de ce que les membres du comité n'auraient pas été destinataires en temps utile des documents nécessaires à la préparation de ces séances manque en fait.

Sur la légalité interne :

5. Aux termes de l'article L. 211-9-3 du code de l'organisation judiciaire, dans sa rédaction issue de l'article 95 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : " I. - Lorsqu'il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département, ils peuvent être spécialement désignés par décret pour connaître seuls, dans l'ensemble de ce département : / 1° De certaines des matières civiles dont la liste est déterminée par décret en Conseil d'Etat, en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières ; / 2° De certains délits et contraventions dont la liste est déterminée par décret en Conseil d'Etat, en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières. Cette liste ne peut comporter les délits mentionnés à l'article 398-1 du code de procédure pénale, à l'exception des délits prévus par le code du travail, le code de l'action sociale et des familles, le code de la sécurité sociale, la législation sociale des transports, le code de l'environnement, le code rural et de la pêche maritime, le code forestier, le code minier, le code de l'urbanisme, le code de la consommation, le code de la propriété intellectuelle, le code de la construction et de l'habitation et l'article L. 1337-4 du code de la santé publique. / Il peut être saisi des infractions connexes aux délits et contraventions mentionnés au 2° du présent I. (...) ".

6. Ainsi que l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, en retenant le critère relatif à la technicité, le législateur a entendu, au nom de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, favoriser, pour des contentieux techniques appelant des compétences particulières, la spécialisation au sein d'une même juridiction des magistrats chargés de les juger ; en retenant également le critère du volume des affaires concernées, le législateur a entendu, au nom du même principe, permettre que des contentieux représentant un faible volume d'activité par juridiction puissent être regroupés au sein d'une seule juridiction départementale. En vertu de ces dispositions, le pouvoir réglementaire est habilité à désigner un tribunal judiciaire seul compétent pour connaître, au sein d'un même département, de certaines matières civiles et pénales dès lors, notamment, que ces matières présentent une technicité appelant des compétences particulières de nature à justifier la spécialisation des magistrats qui les traitent et correspondent à un faible volume des affaires jugées par les tribunaux judiciaires.

7. En application des dispositions citées au point 5, l'article 3 du décret attaqué crée, dans le code de l'organisation judiciaire, un article R. 211-4 aux termes duquel : " I. - En matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l'article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l'ensemble du département ou, dans les conditions prévues au III de l'article L. 211-9-3, dans deux départements, de l'une ou plusieurs des compétences suivantes : / 1° Des actions relatives aux droits d'enregistrement et assimilés ; / 2° Des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce ; / 3° Des actions relatives à la cession ou au nantissement de créance professionnelle fondées sur les articles L. 313-23 à L. 313-29-2 du code monétaire et financier ; / 4° Des actions relatives au billet à ordre fondées sur les articles L. 512-1 à L. 512-8 du code de commerce ; / 5° Des actions relatives au préjudice écologique fondées sur les articles 1246 à 1252 du code civil ; / 6° Des actions fondées sur les dispositions du livre VI du code de commerce et des actions fondées sur les dispositions du chapitre premier du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime ; / 7° Des litiges relevant de l'exécution d'un contrat de transport de marchandises ; / 8° Des actions en responsabilité médicale ; / 9° Des demandes en réparation des dommages causés par un véhicule aérien, maritime ou fluvial ; / 10° Sauf stipulation contraire des parties et sous réserve de la compétence du tribunal judiciaire de Paris ou de son président en matière d'arbitrage international ainsi que de la compétence de la cour d'appel ou de son premier président en matière de voies de recours, des demandes fondées sur le Livre IV du code de procédure civile ; / 11° Des actions en paiement, en garantie et en responsabilité liées à une opération de construction immobilière ; / 12° Les actions en contestation des décisions des assemblées générales et celles relatives aux copropriétés en difficulté relevant de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. / Les tribunaux judiciaires spécialement désignés pour connaître des actions mentionnées au 6° le sont conformément à l'article L. 610-1 du code de commerce. / II. ' En matière pénale, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l'article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l'ensemble du département ou, dans les conditions prévues au III de l'article L. 211-9-3, dans deux départements d'une ou plusieurs des compétences suivantes : / 1° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code du travail ; / 2° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de l'action sociale et des familles ; / 3° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de la sécurité sociale ; / 4° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de l'environnement ; / 5° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code rural et de la pêche maritime ; / 6° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code forestier ; / 7° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code minier ; / 8° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de l'urbanisme ; / 9° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de la consommation ; / 10° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de la propriété intellectuelle ; / 11° Des délits prévus et réprimés par les articles 1741 et 1743 du code général des impôts ; / 12° Des délits prévus par l'article L. 1337-4 du code de la santé publique et les articles L. 111-6-1, L. 123-3, L. 511-6 et L. 521-4 du code de la construction et de l'habitation. ".

8. Il ressort des pièces du dossier qu'eu égard à la technicité des matières civiles et pénales énumérées à l'article R. 211-4 du code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction issue des dispositions de l'article 3 du décret attaqué et à leurs faibles volumes représentant respectivement moins de 10 % du contentieux des tribunaux judiciaires pour les affaires civiles et moins de 4 % pour les affaires pénales, le pouvoir réglementaire n'a commis ni erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation en prenant ces dispositions. .

9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du Conseil national des barreaux et de l'association Conférence des bâtonniers de France et d'Outre-Mer doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Conseil national des barreaux et de l'association Conférence des bâtonniers de France et d'Outre-Mer est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des barreaux, premier requérant dénommé, et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre des Outre-Mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 octobre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la Section du contentieux, présidant ; M. B... G..., M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; M. K... D..., Mme F... J..., M. E... H..., M. A... I..., Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillers d'Etat et M. Bruno Bachini, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 24 novembre 2021.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Bachini

La secrétaire :

Signé : Mme L... C...


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 435698
Date de la décision : 24/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 nov. 2021, n° 435698
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Bachini
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:435698.20211124
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