La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/11/2021 | FRANCE | N°447849

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 09 novembre 2021, 447849


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 décembre 2020, 26 mars et 19 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... C... et l'Association de chirurgie en soins externes [NJ1]demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) a rejeté leur demande d'abrogation de la décision du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie du 11 mars 2019 re

lative à la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 décembre 2020, 26 mars et 19 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... C... et l'Association de chirurgie en soins externes [NJ1]demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) a rejeté leur demande d'abrogation de la décision du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie du 11 mars 2019 relative à la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie en tant qu'elle modifie le sous-paragraphe " 02.04.04.01 - Extraction du cristallin " du livre II de cette liste ;

2°) de mettre à la charge de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale : " (...) La prise en charge ou le remboursement par l'assurance maladie de tout acte ou prestation réalisé par un professionnel de santé, dans le cadre d'un exercice libéral ou d'un exercice salarié auprès d'un autre professionnel de santé libéral, ou en centre de santé, en maison de santé ou dans un établissement ou un service médico-social, ainsi que (...) d'un exercice salarié dans un établissement de santé, à l'exception des prestations mentionnées à l'article L. 165-1, est subordonné à leur inscription sur une liste établie dans les conditions fixées au présent article. L'inscription sur la liste (...) peut être subordonnée au respect d'indications thérapeutiques ou diagnostiques, à l'état du patient ainsi qu'à des conditions particulières de prescription, d'utilisation ou de réalisation de l'acte ou de la prestation. (...) Les conditions d'inscription d'un acte ou d'une prestation, leur inscription et leur radiation sont décidées par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, après avis de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire et après avis, le cas échéant, de la Haute Autorité de santé lorsque la décision porte sur l'évaluation du service attendu ou du service rendu d'un acte ou d'une prestation. Les décisions de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie sont réputées approuvées sauf opposition motivée des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale (...) ".

2. Par une décision du 11 mars 2019 prise sur le fondement de ces dispositions et implicitement approuvée par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, le collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie a modifié le sous-paragraphe " Extraction du cristallin " du livre II de la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie pour, notamment, subordonner le remboursement de l'extraction extracapsulaire du cristallin par phakoémulsification, avec implantation de cristallin artificiel dans la chambre postérieure de l'œil, au respect d'un environnement conforme aux préconisations formulées par la Haute Autorité de santé dans son rapport de juillet 2010 consacré aux " conditions de réalisation de la chirurgie de la cataracte : environnement technique ". [NJ2]Par une lettre du 23 septembre 2020, M. C... et l'Association de chirurgie en soins externes ont demandé au directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie d'abroger cette décision en faisant valoir que le rapport sur les " Techniques d'anesthésie des actes chirurgicaux portant sur le cristallin " qui lui avait été remis par la Haute Autorité de santé le 14 mai 2020 et qui a été publié sur le site de cette agence le 4 juin 2020, constituait une circonstance nouvelle et démontrait que la présence d'un médecin anesthésiste pour les interventions de la cataracte n'était pas requise et que l'intervention pouvait être réalisée en dehors du bloc opératoire aseptique d'un établissement de santé. M. C... et l'Association de chirurgiens des soins externes demandent l'annulation de la décision implicite rejetant leur demande d'abrogation de la décision du 11 mars 2019.

3. En raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. Cette contestation peut prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé (...) ". En outre, l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de cet acte au regard des règles applicables et des circonstances qui prévalent à la date de sa décision.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale : " La Haute Autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale, est chargée de : / 1° Procéder à l'évaluation périodique du service attendu des produits, actes ou prestations de santé et du service qu'ils rendent, et contribuer par ses avis à l'élaboration des décisions relatives à l'inscription, au remboursement et à la prise en charge par l'assurance maladie des produits, actes ou prestations de santé (...). A cet effet, elle émet également un avis sur les conditions de prescription, de réalisation ou d'emploi des actes, produits ou prestations de santé ainsi que sur leur efficience (...) ".

5. Par les dispositions critiquées de la décision du 11 mars 2019, le collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie a subordonné la prise en charge de la chirurgie de la cataracte au respect d'un environnement conforme aux préconisations formulées par la Haute Autorité de santé dans un rapport d'évaluation rédigé à la demande du ministre des affaires sociales et de la santé pour connaître les incidences du recours à l'anesthésie topique sur la tarification de l'acte chirurgical et sur l'organisation des soins, et validé par la commission d'évaluation des actes professionnels de cette autorité en juillet 2010. Selon la synthèse de ce rapport, "la chirurgie de la cataracte doit s'effectuer au sein d'un bloc opératoire, seul environnement technique à l'heure actuelle qui garantisse un niveau d'asepsie adapté à cette chirurgie " et la Haute Autorité de santé " préconise de disposer au sein de cette structure d'un recours possible à un médecin anesthésiste, y compris lors d'une anesthésie locale ou topique". [NJ3]

6. Saisie par le directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie le 18 décembre 2018, la Haute Autorité de santé a adopté, le 14 mai 2020, un rapport qui conclut notamment : " Il apparaît donc essentiel, pour des raisons de gestion de risque, qu'au moins un anesthésiste-réanimateur soit présent sur site, au sein de l'établissement de santé, lorsqu'une intervention chirurgicale portant sur le cristallin est réalisée, quelle que soit la modalité anesthétique utilisée ". Il en ressort donc que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ce rapport, qui ne porte que sur les " Techniques d'anesthésie des actes chirurgicaux portant sur le cristallin ", ne modifie pas les préconisations élaborées sur ce point en juillet 2010 par la Haute Autorité de santé. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le refus d'abroger la décision du 11 mars 2019 qu'ils attaquent serait illégal au motif que les préconisations du rapport adopté par la Haute Autorité de santé le 14 mai 2020 rendraient obsolètes celles que la même autorité avait rendues dans son rapport de juillet 2010 et que l'Union nationale des caisses d'assurance maladie aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'abroger la décision du 11 mars 2019 par laquelle elle a subordonné le remboursement du traitement chirurgical de la cataracte au respect d'un environnement conforme aux préconisations formulées par la Haute Autorité de santé, consistant dans la réalisation de l'intervention dans un bloc opératoire aseptique, au sein d'une structure permettant de recourir, en cas de besoin, à un médecin anesthésiste.

[NJ4]

7. En deuxième lieu, l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale permet à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie de subordonner l'inscription d'un acte sur la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie à des conditions particulières de prescription, d'utilisation ou de réalisation de l'acte ou de la prestation. La réalisation d'un acte au sein d'un bloc opératoire, dans une structure permettant le recours à un médecin anesthésiste, relève de telles conditions particulières. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la disposition critiquée soumettrait illégalement la chirurgie de la cataracte réalisée en cabinet de ville à l'obtention d'une autorisation de l'agence régionale de santé au titre de l'article L. 6122-1 du code de la santé publique, qu'elle ne serait pour ce motif pas en mesure de se voir accorder.[NJ5]

8. En dernier lieu, l'intervention d'un médecin anesthésiste pour réaliser une anesthésie loco-régionale ou générale en cas de complications lors de l'opération poursuit un objectif de qualité et de sécurité des soins et vise, conformément à la préconisation du rapport de la Haute Autorité du santé adopté le 14 mai 2020, à éviter un risque de perte de chance pour le patient en cas de survenue de telles complications. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'intervention d'un médecin anesthésiste entraînerait des risques supplémentaires au regard de la santé publique au motif qu'une anesthésie topique ou locale ne nécessitant pas la présence d'un médecin anesthésiste est préconisée en première intention pour la chirurgie de la cataracte, en l'absence de complications.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, que M. C... et l'Association de chirurgie en soins externes ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision qu'ils attaquent.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... et l'Association de chirurgie en soins externes demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il y a lieu de mettre à la charge de M. C... et de l'Association de chirurgie en soins externes une somme totale de 3 000 euros à verser à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. C... et de l'Association de chirurgie en soins externes est rejetée.

Article 2 : M. C... et l'Association de chirurgie en soins externes verseront à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie une somme totale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D... C..., premier dénommé, pour les deux requérants, et à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 octobre 2021 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillère d'Etat-rapporteure et M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat.

Rendu le 9 novembre 2021.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

La rapporteure :

Signé : Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson

La secrétaire :

Signé : Mme A... B...


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 447849
Date de la décision : 09/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 nov. 2021, n° 447849
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:447849.20211109
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award