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07/10/2021 | FRANCE | N°435488

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 07 octobre 2021, 435488


Vu la procédure suivante :

Madame C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 5 octobre 2016 par laquelle le directeur de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) a annulé sa pension de réversion ainsi que celle du 13 décembre 2016 par laquelle le même directeur a rejeté son recours gracieux, et d'enjoindre au directeur de la CNRACL de rétablir cette pension avec effet au 1er août 2016 et, d'autre part, d'annuler les décisions des 2 janvier, 3 février, 31 mars et 19 mai 2017 du directeur

de la CNRACL lui enjoignant de reverser un trop-perçu de pension d...

Vu la procédure suivante :

Madame C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 5 octobre 2016 par laquelle le directeur de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) a annulé sa pension de réversion ainsi que celle du 13 décembre 2016 par laquelle le même directeur a rejeté son recours gracieux, et d'enjoindre au directeur de la CNRACL de rétablir cette pension avec effet au 1er août 2016 et, d'autre part, d'annuler les décisions des 2 janvier, 3 février, 31 mars et 19 mai 2017 du directeur de la CNRACL lui enjoignant de reverser un trop-perçu de pension de réversion à hauteur de 244 788,97 euros, ramené ensuite à 174 780,60 euros, et de prononcer la décharge de cette créance litigieuse. Par un jugement nos 1700763, 1708338 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 octobre 2019, 21 janvier 2020 et 3 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement attaqué ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des articles 37 et 75-I de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code civil ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;

- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme A... et à la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et de la Caisse des dépôts et consignations ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, à la suite du décès de son époux, M. B... D..., Mme A... a bénéficié d'une pension de réversion à compter du 1er mars 1985. En réponse à une demande de renseignement que lui a adressée la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), Mme A... a déclaré sur l'honneur, le 8 juillet 2016, que sa situation était " inchangée : séparée de corps depuis le 5 décembre 1995 ". A la suite de cette déclaration, la CNRACL, après avoir sollicité la mairie de Paris et la mairie E... afin d'obtenir les extraits des actes de mariage contractés par Mme A... respectivement les 20 janvier 1989 et 6 août 2014, a avisé cette dernière, le 5 octobre 2016, que le versement de sa pension était interrompu au motif que le conjoint survivant qui se remarie perd le bénéfice de sa pension de réversion et que les sommes versées pour la période du 20 janvier 1989 au 16 avril 2010, date du décès de son deuxième époux, et du 6 août 2014 au 31 juillet 2016, lui seraient réclamées ultérieurement. Après avoir rejeté, par courrier du 13 décembre 2016, le recours gracieux formé par Mme A... contre cette décision, le directeur de la CNRACL, lui a notifié, le 2 janvier 2017, sa décision de recouvrer une somme de 244 788, 97 euros au titre de cette période, et lui a adressé l'avis de versement correspondant le 3 février de la même année. Le 31 mars 2017, le directeur de la CNRACL, faisant partiellement droit à un nouveau recours gracieux formé par Mme A..., a ramené la somme à restituer à 174 780,60 euros correspondant aux arrérages de pension indûment versés pour la période du 19 juillet 2001 au 16 avril 2010 et du 6 août 2014 au 31 juillet 2016, et lui a adressé l'avis de versement afférent par courrier du 19 mai 2017 annulant la décision du 3 février. Par un jugement du 31 décembre 2018 contre lequel Mme A... se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Paris, après avoir constaté, dans son article 1er, qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions présentées initialement à l'appui de la requête n° 1708338 tendant à l'annulation de la décision du 3 février 2017, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'ensemble de ces décisions et à la décharge de la somme de 174 780,60 euros.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, pour demander l'annulation des décisions mentionnées au point 1, Mme A... a fait valoir dans un mémoire enregistré le 28 mai 2018 au greffe du tribunal administratif de Paris, que le décret du 9 septembre 1965 et celui du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales instituent entre les veuves divorcées ou ayant cessé de vivre en concubinage et les veuves séparées de corps une différence de traitement incompatible avec les stipulations combinées de l'article 14 et du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En rejetant la demande de Mme A... sans répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant, le tribunal administratif de Paris a insuffisamment motivé son jugement. Par suite, ainsi que le demande Mme A..., et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'article 2 de ce jugement doit être annulé.

3. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la décision du 2 janvier 2017 :

4. Il est constant que la décision du 10 avril 2017 a annulé celle du 2 janvier de la même année. Cette dernière décision a ainsi disparu de l'ordonnancement juridique avant l'enregistrement, le 15 mai 2017, de la requête n° 1708338. Par suite, les conclusions de la requête de Mme A... tendant à son annulation, sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions de la requête n° 1700763 et le surplus des conclusions de la requête n°1708338 :

5. Aux termes de l'article 43 du décret du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des tributaires de la caisse nationale de retraites des agents 'des collectivités locales, dans sa rédaction applicable issue du décret du 26 avril 1984 relatif au régime de retraite des titulaires de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales : " Le conjoint survivant ou l'ex-conjoint divorcé qui contracte un nouveau mariage ou vit en état de concubinage notoire perd son droit à pension (...) Le conjoint survivant ou l'ex-conjoint divorcé dont la nouvelle union est dissoute ou qui cesse de vivre en état de concubinage notoire peut, s'il le désire, recouvrer son droit à pension et demander qu'il soit mis fin à l'application qui a pu être faite des dispositions du deuxième alinéa du présent article.(...) ". Aux termes de l'article 299 du code civil : " La séparation de corps ne dissout pas le mariage mais elle met fin au devoir de cohabitation ". L'article 303 du code civil dispose que : " La séparation de corps laisse subsister le devoir de secours ; le jugement qui la prononce ou un jugement postérieur fixe la pension alimentaire qui est due à l'époux dans le besoin ".Il résulte de ces dispositions, claires, que la séparation de corps ne met pas fin au mariage et que, par suite, le titulaire d'une pension de réversion qui s'est remarié ne peut prétendre à nouveau au bénéfice de sa pension de réversion au seul motif qu'il est séparé de corps.

6. Il résulte également de ces dispositions que la séparation de corps, si elle met fin au devoir de cohabitation, ne met pas fin au devoir de secours. Il suit de là que la différence de traitement résultant, dans cette mesure, de ces dispositions trouve sa justification dans une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la pension de réversion. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret du 9 septembre 1965, comme d'ailleurs le décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, instituent entre les veuves divorcées ou ayant cessé de vivre en concubinage et les veuves séparées de corps une différence de traitement incompatible avec les stipulations combinées de l'article 14 et du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut qu'être écarté.

7. En revanche, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes du sixième alinéa de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents ". Aux termes de l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L.211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. " Enfin, aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; / (...) ".

8. La décision par laquelle l'autorité administrative retire la décision de versement d'une pension de réversion au conjoint survivant ou divorcé d'un fonctionnaire civil à compter de la date à laquelle il a contracté un nouveau mariage ou vit en état de concubinage notoire est au nombre de celles qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits. Un litige relatif à la pension de réversion de l'ayant droit d'un fonctionnaire ne pouvant être regardé comme un litige entre l'administration et l'un de ses agents, une telle décision doit, par suite, être motivée en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et être précédée, en application de l'article L. 121-1 du même code, d'une procédure contradictoire.

9. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas sérieusement contesté, que la décision du 5 octobre 2016 par laquelle le directeur de la CNRACL a mis fin à la pension de réversion dont bénéficiait Mme A... et l'a avisée que les sommes versées pour la période du 20 janvier 1989 au 16 avril 2010 et du 6 août 2014 au 31 juillet 2016 lui seraient réclamées n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de ses demandes, Mme A... est fondée à demander l'annulation de cette décision, et, par voie de conséquence, de celle du 13 décembre 2016 ainsi que de celles des 31 mars et 19 mai 2017 en tant qu'elles lui enjoignent de reverser un trop-perçu.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit à la demande de Mme A... tendant à ce qu'il soit enjoint au directeur de la CNARCL de rétablir la pension de réversion dont elle bénéficiait avec effet au 1er août 2016.

11. Mme A... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. La Caisse des dépôts et consignations devant être regardée, dans la présente instance, comme la partie perdante, il y a lieu de mettre à sa charge, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Lyon-Caen, Thiriez avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, le versement à cette SCP de la somme de 3 000 euros demandée à ce titre.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 2 du jugement du 31 décembre 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les décisions du directeur de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales du 5 octobre et 13 décembre 2016, ainsi que celles des 31 mars et 19 mai 2017 en tant qu'elles enjoignent à Mme A... de reverser un trop-perçu sont annulées.

Article 3 : Les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation de la décision du 2 janvier 2017 ainsi que ses conclusions à fin d'injonction sont rejetées.

Article 4 : La Caisse des dépôts et consignations versera à la SCP Lyon-Caen, Thiriez avocat de Mme A..., la somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme C... A... et à la Caisse des dépôts et consignations.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 septembre 2021 où siégeaient : M. Frédéric Aladjidi, président de chambre, présidant ; M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 7 octobre 2021.

Le président :

Signé : M. Frédéric Aladjidi

Le rapporteur :

Signé : M. Lionel Ferreira


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 435488
Date de la décision : 07/10/2021
Type d'affaire : Administrative

Publications
Proposition de citation : CE, 07 oct. 2021, n° 435488
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Lionel Ferreira
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP L. POULET-ODENT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:435488.20211007
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