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06/10/2021 | FRANCE | N°437622

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 06 octobre 2021, 437622


Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 janvier et 10 avril 2020 et le 6 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2019.0244/DC/SBPP du 6 novembre 2019 du collège de la Haute Autorité de santé portant adoption de la recommandation de bonne pratique intitulée " Prise en charge du premier épisode de la bronchiolite aiguë chez le nourrisson de mo

ins de 12 mois " ;

2°) d'enjoindre à la Haute Autorité de santé d'engager les...

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 janvier et 10 avril 2020 et le 6 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2019.0244/DC/SBPP du 6 novembre 2019 du collège de la Haute Autorité de santé portant adoption de la recommandation de bonne pratique intitulée " Prise en charge du premier épisode de la bronchiolite aiguë chez le nourrisson de moins de 12 mois " ;

2°) d'enjoindre à la Haute Autorité de santé d'engager les travaux d'évaluation nécessaires au réexamen de cette recommandation de bonne pratique ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la Fédération française des masseurs kinesitherapeutes rééducateurs ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale : " La Haute Autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique, est chargée de : (...) / 2° élaborer (...) les recommandations de bonne pratique, procéder à leur diffusion et contribuer à l'information des professionnels de santé et du public (...) " en matière d'actes, produits ou prestations de santé.

2. Par une décision du 6 novembre 2019, prise sur le fondement de ces dispositions, le collège de la Haute Autorité de santé a adopté une recommandation de bonne pratique intitulée " Prise en charge du premier épisode de la bronchiolite aiguë chez le nourrisson de moins de 12 mois " comportant un argumentaire scientifique, le texte des recommandations, ainsi que deux fiches outils associées, actualisant celle élaborée en 2010 par l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. La Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs doit être regardée comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision en tant qu'elle indique ne pas recommander, pour cette prise en charge, en l'absence de données, la kinésithérapie respiratoire de désencombrement bronchique en ambulatoire.

Sur la légalité externe :

3. Aux termes de l'article L. 1452-1 du code de la santé publique : " L'expertise sanitaire répond aux principes d'impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire ". En vertu de l'article L. 1452-2 du même code : " Une charte de l'expertise sanitaire, approuvée par décret en Conseil d'Etat, s'applique aux expertises réalisées dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire à la demande du ministre chargé de la santé ou à la demande des autorités et des organismes mentionnés au I de l'article L. 1451-1. Elle précise les modalités de choix des experts, le processus d'expertise et ses rapports avec le pouvoir de décision, la notion de lien d'intérêts, les cas de conflit d'intérêts, les modalités de gestion d'éventuels conflits et les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts ". En application de ces dispositions, la charte de l'expertise sanitaire a été approuvée par un décret du 21 mai 2013.

4. En premier lieu, d'une part, la circonstance que le Pr Marguet, dont il ressort des pièces du dossier qu'il a présidé le groupe de travail créé en vue de préparer la recommandation en litige, avait publié, avant d'être désigné en cette qualité, plusieurs articles scientifiques portant sur la bronchiolite aiguë du nourrisson ne s'opposait, par elle-même, ni à ce qu'il prenne part à ce groupe de travail, ni à ce qu'il le préside, dans le respect des principes mentionnés au point précédent et du principe d'impartialité qui s'impose à tous les organes administratifs.

5. D'autre part, en vertu de l'article L. 1452-3 et du premier alinéa du I de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, les membres des groupes de travail de la Haute Autorité de santé sont tenus d'établir une déclaration d'intérêts, rendue publique. Cette déclaration mentionne, en application du troisième alinéa de ce même I, " les liens d'intérêts de toute nature, directs ou par personne interposée, que le déclarant a, ou qu'il a eus pendant les cinq années précédant sa prise de fonctions, avec des entreprises, des établissements ou des organismes dont les activités, les techniques et les produits entrent dans le champ de compétence (...) de l'organe consultatif dont il est membre ainsi qu'avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans les mêmes secteurs ". Le cinquième alinéa de ce I prévoit que les membres des groupes de travail " ne peuvent prendre part aux travaux, aux délibérations et aux votes des instances au sein desquelles [ils] siègent qu'une fois la déclaration souscrite ou actualisée. [Ils] ne peuvent, sous les peines prévues à l'article 432-12 du code pénal, prendre part ni aux travaux, ni aux délibérations, ni aux votes de ces instances si [ils] ont un intérêt, direct ou indirect, à l'affaire examinée. " Le 4° du I de l'article R. 1451-2 du même code dispose que doivent notamment figurer dans cette déclaration " d) Les travaux scientifiques et études pour des organismes publics ou privés ; / e) La rédaction d'article et les interventions, rémunérées ou prises en charge, dans des congrès, des conférences, des colloques, des réunions publiques ou des formations organisées ou soutenues financièrement par des entreprises privées ". La charte de l'expertise sanitaire, mentionnée au point 2, précise que " la notion de lien d'intérêts recouvre les intérêts ou les activités, passés ou présents, d'ordre patrimonial, professionnel ou familial, de l'expert en relation avec l'objet de l'expertise qui lui est confiée ".

6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les publications du Pr Marguet sur la bronchiolite aiguë du nourrisson, dont la fédération requérante ne soutient d'ailleurs pas que leur teneur aurait été de nature à affecter l'impartialité de l'intéressé, auraient été réalisées pour des organismes publics ou privés ni qu'elles auraient été soutenues financièrement par des entreprises privées. La fédération requérante n'est, dès lors, pas fondée à soutenir qu'elles auraient dû figurer dans sa déclaration d'intérêts.

7. Enfin, il est loisible à la Haute autorité de santé de choisir la procédure d'évaluation qui lui semble la plus pertinente pour l'élaboration d'une recommandation de bonne pratique, dans le respect des règles et principes rappelés ci-dessus. Le guide méthodologique relatif à l'élaboration des recommandations de bonnes pratiques mis en ligne par la Haute Autorité de santé, qui n'instaure aucune règle, revêt, ainsi qu'il le précise lui-même, un caractère seulement informatif sur la méthode suivie lors de l'élaboration de telles recommandations. Par suite, la fédération requérante ne peut utilement soutenir que la délibération serait illégale au seul motif que le président du groupe de travail ou l'un des deux médecins chargés de projet n'aurait pas été désigné conformément aux mentions de ce guide.

8. En deuxième lieu, ni l'article L. 1114-1 du code de la santé publique, qui prévoit seulement que les associations agréées représentent les usagers du système de santé dans les instances hospitalières ou de santé publique, ni l'article L. 1452-1 du même code, ni aucun autre texte ou principe n'imposait que des représentants d'associations d'usagers ou de patients prennent part au groupe de travail ou au groupe de lecture chargé de formuler des remarques sur les versions préliminaires de cette recommandation. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que la recommandation attaquée serait illégale faute que le groupe de travail ou le groupe de lecture aient comporté de tels représentants, alors au demeurant qu'il ressort des pièces du dossier que la Haute Autorité de santé avait engagé les démarches nécessaires à cette fin, sans qu'elles aient pu aboutir.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que six des dix-sept professionnels de santé qui étaient membres du groupe de travail, dont deux des quatre masseurs-kinésithérapeutes, exerçaient au moins partiellement en ville et, d'autre part, que vingt des soixante-quatre relecteurs du projet de recommandation étaient des masseurs-kinésithérapeutes. Par suite, le moyen tiré de ce que la composition du groupe de travail aurait été manifestement déséquilibrée au détriment des masseurs-kinésithérapeutes et des praticiens de ville ne peut qu'être écarté.

10. En quatrième lieu, si la requérante soutient que treize votes ont été décomptés au sein du groupe de travail lorsqu'il s'est prononcé sur le recours à la kinésithérapie respiratoire de désencombrement bronchique en ambulatoire lors de la réunion du 7 juillet 2019 alors que seuls douze de ses membres étaient physiquement présents, il ressort des pièces du dossier que l'un des membres du groupe de travail a pris part au vote par audioconférence et qu'en tout état de cause, la proposition du groupe de travail a été adoptée par dix voix contre trois.

Sur la légalité interne :

11. Il résulte des dispositions de l'article L. 161-37 du code de la santé publique que les recommandations de bonne pratique élaborées par la Haute Autorité de santé ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en œuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction.

12. Il ressort de l'argumentaire scientifique qui sert de fondement à la recommandation de bonne pratique attaquée et qui recense 972 études, dont 340 ont été analysées, que ces dernières ne permettent pas de conclure à une amélioration avérée de l'équilibre bénéfice-risque, en l'état des connaissances scientifiques internationales, par le recours à la kinésithérapie respiratoire de désencombrement bronchique en cas de bronchiolite aiguë du nourrisson. En particulier, cinq des six recommandations de bonne pratique étrangères publiées depuis la précédente recommandation de bonne pratique établie par l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé en 2000 ne recommandent pas le recours à la kinésithérapie respiratoire de désencombrement bronchique en cas de bronchiolite aiguë du nourrisson. Dans ces conditions, alors qu'il n'est nullement établi que les données scientifiques recensées seraient incomplètes ou inexactes, que des données scientifiques plus récentes, qui ne sont pas produites, permettraient de conclure à un effet bénéfique de la kinésithérapie respiratoire dans la prise en charge des formes légères ou modérées de bronchiolite de l'enfant ou que la recommandation en cause serait susceptible de créer un engorgement des services d'urgence ou de contribuer au recours à des alternatives non éprouvées scientifiquement, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que la recommandation attaquée ne reposerait sur aucun élément scientifique intervenu depuis 2000 ni qu'elle serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle ne recommande pas la kinésithérapie respiratoire de désencombrement bronchique pratiquée en ambulatoire ou en ce qu'en l'absence d'étude, elle ne s'abstient pas de prendre position sur ce point.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs n'est pas fondée à demander l'annulation de la recommandation qu'elle attaque. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs et à la Haute Autorité de santé.

Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 437622
Date de la décision : 06/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 oct. 2021, n° 437622
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Vincent Villette
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:437622.20211006
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