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29/09/2021 | FRANCE | N°451189

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 29 septembre 2021, 451189


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires dans la commune de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), de rejeter le compte de campagne de M. C... D... et de prononcer l'inéligibilité de celui-ci pour une durée de trois ans et sa démission d'office.

Par un jugement n° 2004827 du 5 mars 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette protestation.

Par une requête, un mémoi

re en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 mars, 2 et 8 juillet 20...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires dans la commune de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), de rejeter le compte de campagne de M. C... D... et de prononcer l'inéligibilité de celui-ci pour une durée de trois ans et sa démission d'office.

Par un jugement n° 2004827 du 5 mars 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette protestation.

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 mars, 2 et 8 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces opérations électorales, de rejeter le compte de campagne de M. D..., de prononcer l'inéligibilité de celui-ci pour une durée de trois ans et sa démission d'office et de communiquer le dossier au procureur de la République compétent.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de M. D... ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 à Montereau-Fault-Yonne, commune de plus de 1 000 habitants, 25 sièges de conseillers municipaux et 16 sièges de conseillers communautaires ont été attribués à des candidats de la liste " Avec notre maire James D..., en avant Montereau " conduite par M. D..., qui a obtenu 2 901 voix, soit 53,55 % des suffrages exprimés, tandis que 8 sièges de conseillers municipaux et 5 sièges de conseillers communautaires ont été attribués à des candidats de la liste " Vivre au confluent ", conduite par M. A..., qui a obtenu 2 516 voix, soit 46,44 % des suffrages exprimés. M. A... relève appel du jugement du 5 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa protestation dirigée contre ces opérations électorales.

Sur les griefs tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L.52-8 du code électoral :

2. Aux termes de l'article L. 52-8 du code électoral : " (...) Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. ( ...) ".

3. Il résulte de l'instruction que la commune de Montereau-Fault-Yonne a organisé, à compter du mois de mai 2020, une opération intitulée " J'aime Montereau - J'achète à Montereau " destinée à soutenir les familles et à relancer l'activité économique locale dans les commerces de centre-ville, dans le contexte exceptionnel lié à la crise sanitaire et à la sortie du confinement. Cette opération a été gérée dans le cadre d'une régie municipale créée par une décision du 15 mai 2020, prise par le maire, M. D.... Elle consistait en la distribution aux familles de cinq bons d'achats, d'une valeur unitaire de 10 euros par enfant scolarisé dans la commune, destinés à être utilisés dans les commerces de celle-ci. La communication réalisée sur cette opération qui se bornait à en informer les habitants et à identifier les commerces participants ne peut être regardée comme présentant le caractère d'une propagande électorale. De même, il ne résulte pas de l'instruction que les conditions de distribution de ces bons ni que la mention de cette opération sur le site personnel de M. D... aient été constitutives de manœuvres à des fins électorales. Par suite, sans que puisse utilement être invoquée la régularité de la création de la régie d'avance elle-même, M. A... n'est pas fondé à soutenir que cette opération était constitutive d'un soutien de la commune à la campagne de M. D... en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 52-8 du code électoral.

4. Il résulte en revanche de l'instruction que l'opération intitulée " Vue et corrigée " décidée par M. D..., le 4 juin 2020 à seulement quelques jours du second tour du scrutin, consistant en un partenariat de la commune avec une association proposant aux habitants de plus de 60 ans de bénéficier d'une consultation ophtalmologique et d'une paire de lunettes adaptée à leur vue, et dont la promotion a été assurée par le bulletin municipal daté du 10 juin 2020 et par l'envoi, le 8 juin 2020, d'un courrier signé du maire aux bénéficiaires potentiels, doit être regardée comme une opération destinée à influencer le vote des électeurs. En outre, l'envoi à tous les locataires de l'office public de l'habitat du pays de Montereau, Confluence Habitat, par l'intermédiaire des gardiens d'immeuble, d'un courrier du 19 juin 2020, signé par M. D... en qualité de président de cet office, comportait des éléments de polémique électorale portant sur la gestion passée de M. A... et de certains de ses colistiers, dépassant la seule réponse à de fausses information diffusées par ceux-ci sur la gouvernance de l'office. Les moyens mobilisés pour l'édition et la diffusion de ces courriers doivent donc être regardés comme ayant été utilisés au profit de la liste conduite par M. D... en méconnaissance des dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral. Cependant, compte tenu de l'important écart de voix entre les deux listes, ces irrégularités, pour regrettables qu'elles soient, n'ont pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Sur le grief tiré d'agissements réprimés par l'article L.106 du code électoral :

5. Aux termes de l'article L.106 du code électoral : " Quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d'emplois publics ou privés ou d'autres avantages particuliers, faits en vue d'influencer le vote d'un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d'obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l'entremise d'un tiers (...) sera puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros. (...) ". S'il n'appartient pas au juge de l'élection de faire application de ces dispositions en ce qu'elles édictent des sanctions pénales, il lui revient, en revanche, de rechercher si des pressions telles que celles qui y sont définies ont été exercées sur les électeurs et ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

6. Si le requérant soutient que, par les opérations mentionnées aux points 3 et 4, M. D... se serait livré à des manœuvres visant à influencer le vote des électeurs, lesquelles auraient notamment été à l'origine de l'augmentation importante du nombre de procurations par rapport aux précédentes élections, il n'apporte aucun élément de nature à étayer cette allégation. En outre, ni un nombre élevé de votes par procuration dont il est constant que les démarches ont été simplifiées en vue de l'encourager dans le contexte de l'épidémie de covid-19, ni un accroissement de ce nombre ne sont, à eux seuls, de nature à faire présumer l'existence de manœuvres destinées à altérer la sincérité du scrutin. Ce grief ne peut, par suite, qu'être écarté.

Sur les conclusions tendant au rejet du compte de campagne de M. D... :

7. Si les dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral interdisent à toute personne morale autre qu'un parti politique de consentir des dons ou des avantages divers à un candidat, ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative n'impliquent le rejet du compte de campagne au seul motif que le candidat a bénéficié d'un avantage au sens de ces dispositions. Il y a lieu d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la nature de l'avantage, de son montant et des conditions dans lesquelles il a été consenti, si le bénéfice de cet avantage doit entraîner le rejet du compte.

8. En l'espèce, eu égard au montant limité des avantages relevés au point 4 et en raison de l'écart existant entre les dépenses du compte de campagne de M. D..., arrêtées par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques à 33 337 euros, et le plafond autorisé fixé à 48 876 euros, l'intégration de cette dépense supplémentaire ne saurait, en tout état de cause, conduire à un dépassement de ce plafond. Par suite, compte tenu du faible montant des dépenses supplémentaires assimilables à un don et des circonstances dans lesquelles celui-ci a été consenti, il n'y a pas lieu de prononcer le rejet du compte de M. D....

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 118-3, L.118-4 et L. 117-1 du code électoral :

9. Aux termes de l'article L.118-3 du code électoral dans sa rédaction issue de la loi du 2 décembre 2019 : " Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : / 1° Le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 ; / 2° Le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ; 3° Le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. (...) ". Aucune des conditions prévues par cet article n'étant remplie, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions.

10. Aux termes du premier alinéa de l'article L.118-4 du même code : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. ". Aux termes de l'article L. 117-1 du même code : " Lorsque la juridiction administrative a retenu, dans sa décision définitive, des faits de fraude électorale, elle communique le dossier au procureur de la République compétent. ". En l'absence de manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions des articles L. 118-4 et L. 117-1 du code électoral.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa protestation.

Sur les conclusions de M. D... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 451189
Date de la décision : 29/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 29 sep. 2021, n° 451189
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Lelièvre
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:451189.20210929
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