Vu la procédure suivante :
La société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN) a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 19 869 euros, hors taxes, avec intérêts au taux légal à compter du 26 juillet 2017 et capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices subis à l'occasion du blocage d'un accès à l'autoroute A 29 par des manifestants du 17 au 20 mai 2016. Par un jugement n° 1703060 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 19DA01189 du 22 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de la SAPN, annulé ce jugement et condamné l'Etat à verser à la société la somme de 19 869,55 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 26 juillet 2017 et de leur capitalisation.
Par un pourvoi, enregistré le 16 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé par la SAPN.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code pénal ;
- le code de la route ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Carbonnier, avocat de la société des autoroutes Paris-Normandie ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre du mouvement national de protestation contre le projet de loi " travail ", des manifestants ont bloqué, du 17 au 20 mai 2016, un carrefour giratoire situé à la hauteur de la sortie n° 5 de l'autoroute A 29, à proximité du Havre. A cette occasion, divers équipements appartenant à la société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN) ont fait l'objet de dégradations commises par des manifestants ou résultant d'incendies de palettes et de pneumatiques déclenchés par ceux-ci. Par un courrier du 20 juillet 2017, la société a demandé au préfet de la Seine-Maritime, sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure, à être indemnisée par l'Etat du préjudice subi du fait de ces dégradations. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet de la part du préfet. Par un jugement du 11 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de la société tendant à la condamnation de l'Etat à réparer son préjudice. Ce jugement a été annulé par la cour administrative d'appel de Douai par un arrêt du 22 décembre 2020 condamnant l'Etat à verser à la SAPN la somme de 19 869,55 euros, assortie des intérêts légaux. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure, dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et n'est pas contesté que les dégradations dont il est demandé réparation résultent d'actes commis à force ouverte ou par violence et sont constitutives de délits. En estimant, par une appréciation souveraine des faits, exempte de dénaturation, que si le blocage routier et ses conséquences ont pu présenter un caractère organisé et prémédité, les dégradations qui ont été commises ne l'ont pas été par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre ce délit, et en en déduisant que ces faits étaient de nature à engager la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
4. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société des autoroutes Paris-Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'intérieur est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société des autoroutes Paris-Normandie une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et à la société des autoroutes Paris-Normandie.