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22/07/2021 | FRANCE | N°440212

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 22 juillet 2021, 440212


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 22 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Innov'SA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 mars 2020 portant modification des modalités de prise en charge des véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu : ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 22 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Innov'SA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 mars 2020 portant modification des modalités de prise en charge des véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 87-389 du 15 juin 1987 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la société Innov'SA ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale : " Le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel (...) est subordonné à leur inscription sur une liste établie après avis d'une commission de la Haute Autorité de santé mentionnée à l'article L. 161-37. L'inscription est effectuée soit par la description générique de tout ou partie du produit concerné, soit sous forme de marque ou de nom commercial. L'inscription sur la liste peut elle-même être subordonnée au respect de spécifications techniques, d'indications thérapeutiques ou diagnostiques et de conditions particulières de prescription, d'utilisation et de distribution ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 165-1 du même code : " Les produits et prestations mentionnés à l'article L. 165-1 ne peuvent être remboursés par l'assurance maladie (...) que s'ils figurent sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé de la santé après avis de la commission spécialisée de la Haute Autorité de santé mentionnée à l'article L. 165-1 du présent code et dénommée " Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé " ". Par un arrêté du 10 mars 2020, dont la société Innov'SA demande l'annulation pour excès de pouvoir, les ministres des solidarités et de la santé et de l'action et des comptes publics ont modifié les modalités de prise en charge des véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale.

Sur la compétence des signataires de l'arrêté attaqué :

2. L'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement prévoit que : " À compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° (...) les directeurs d'administration centrale (...) / 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs, les chefs des services à compétence nationale (...) " et son article 3 prévoit que " Les personnes mentionnées aux 1° et 3° peuvent donner délégation pour signer tous actes relatifs aux affaires pour lesquelles elles ont elles-mêmes reçu délégation : 1° (...) aux fonctionnaires de catégorie A et aux agents contractuels chargés de fonctions de niveau équivalent, qui n'en disposent pas au titre de l'article 1er (...) ".

3. D'une part, il résulte de ces dispositions que M. D... C..., nommé à compter du 1er juillet 2019 sous-directeur du financement du système de soins à la direction de la sécurité sociale à l'administration centrale du ministère des solidarités et de la santé et du ministère de l'action et des comptes publics, était habilité à signer l'arrêté attaqué à la fois au nom du ministre des solidarités et de la santé et au nom du ministre de l'action et des comptes publics, en leur qualité de ministres chargés de la sécurité sociale. La société requérante ne peut utilement soutenir, pour contester la compétence de M. C... pour signer l'arrêté attaqué, que la sous-direction du financement du système de soins, faute d'avoir été instituée par décret, aurait été illégalement créée.

4. D'autre part, il résulte du 2° de l'article 1er de l'arrêté du directeur général de la santé du 11 février 2020 portant délégation de signature, pris sur le fondement de l'article 3 du décret du 27 juillet 2005, que M. B... A..., adjoint à la sous-directrice de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins à la direction générale de la santé à l'administration centrale du ministère des solidarités et de la santé, était habilité à signer l'arrêté attaqué au nom du ministre des solidarités et de la santé, en sa qualité de ministre chargé de la santé.

5. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'incompétence des signataires de l'arrêté attaqué doit être écarté.

Sur les avis de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé :

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 165-20 du code de la sécurité sociale : " La commission se réunit sur convocation de son président. / La commission élabore son règlement intérieur (...) ". L'article III.3 de ce règlement intérieur prévoit que : " La commission se réunit sur convocation de son président qui établit le calendrier et l'ordre du jour des séances. À cette fin, le secrétariat envoie aux membres de la commission une convocation par voie électronique au plus tard 5 jours calendaires avant la séance. Cette convocation est accompagnée : / de l'ordre du jour ; / des documents relatifs aux sujets inscrits à l'ordre du jour. (...) ". Il ressort des pièces du dossier que la commission s'est prononcée sur les modalités de prise en charge des véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées au cours de ses réunions des 5 novembre 2019 et 28 janvier 2020. D'une part, s'agissant de la réunion du 5 novembre 2019, la convocation a été adressée aux membres de la commission le 17 octobre 2019 et l'ordre du jour et les documents relatifs aux sujets inscrits à l'ordre du jour le 25 octobre 2019. D'autre part, s'agissant de la réunion du 28 janvier 2020, la convocation a été adressée aux membres de la commission le 15 janvier 2020 et l'ordre du jour et les documents relatifs aux sujets inscrits à l'ordre du jour le 21 janvier 2020. Il en résulte que le moyen tiré de ce que les délais de convocation n'auraient pas été respectés doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes du II de l'article R. 165-18 du code de la sécurité sociale : " Participent, en tant que de besoin, avec voix consultative, aux travaux de la commission : (...) B. Le directeur central du service de santé des armées, lorsque la commission examine l'inscription, le renouvellement ou la modification d'inscription des orthoprothèses sur mesure, des chaussures orthopédiques et des véhicules pour handicapés physiques (...) ". Il résulte de ces dispositions que la convocation du directeur central du service de santé des armées quand la commission examine l'inscription, le renouvellement d'inscription ou la modification d'inscription de certains produits dont les véhicules à propulsion passive constitue une simple faculté. Par suite, la société requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir qu'en l'absence de convocation du directeur central du service de santé des armées aux réunions des 5 novembre 2019 et 28 janvier 2020, la commission aurait été irrégulièrement composée.

8. En troisième lieu, le premier alinéa de l'article R. 165-19 du code de la sécurité sociale prévoit que : " Les délibérations de la commission ne sont valables que si au moins quatorze de ses membres ayant voix délibérative sont présents. " Il ressort du procès-verbal des séances du 5 novembre 2019 et du 28 janvier 2020 que vingt-deux membres de la commission ont participé au vote sur chacun des deux avis. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, le quorum requis était atteint.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 165-9 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date de l'acte attaqué : " Lorsque l'initiative de l'inscription ou de la modification des conditions d'inscription de produits ou de prestations est prise par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, les fabricants et les distributeurs de ces produits ou prestations en sont informés par une notification adressée à chacun d'eux ou par un avis publié au Journal officiel. Ils peuvent présenter des observations écrites ou demander à être entendus par la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé dans un délai de trente jours à compter de cette information. Dans les situations où l'avis de projet de modification des conditions d'inscription fait suite à un avis de cette commission datant de moins de dix-huit mois, le nouvel avis qu'elle rend à l'issue de la phase contradictoire doit être publié dans un délai de quatre mois à compter de la date de publication de l'avis de projet. (...) ". Aux termes de l'article R. 165-11 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'avis rendu par la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, en vue d'une inscription ou d'une modification des conditions d'inscription, comporte notamment : / 1° La description du produit ou de la prestation ; / 2° L'appréciation du bien-fondé, au regard du service attendu du produit ou de la prestation, de l'inscription sur la liste prévue à l'article L. 165-1. Cette évaluation conduit à considérer le service attendu comme suffisant ou insuffisant pour justifier l'inscription au remboursement. Elle est réalisée pour chaque indication thérapeutique, diagnostique ou de compensation du handicap en distinguant, le cas échéant, des groupes de population et précise les seules indications pour lesquelles la commission estime l'inscription fondée (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions, telles qu'applicables à la date de l'arrêté attaqué, que la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, lorsqu'elle est saisie sur le fondement de l'article R. 165-9 du code de la sécurité sociale en vue de l'inscription ou de la modification des conditions d'inscription de produits ou de prestations sur la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, doit rendre un avis comportant les mentions prévues par les dispositions de l'article R. 165-11. Toutefois, il ressort en l'espèce des " avis de projet " publiés au Journal officiel de la République française les 12 septembre 2019 et 11 décembre 2019 que les ministres se bornaient à envisager de préciser les spécifications techniques générales applicables aux poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif des personnes handicapées, sans porter inscription ou modification des conditions d'inscriptions de produits ou de prestations. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que les avis de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé du 19 novembre 2019 et du 11 février 2020 ne satisfaisaient pas aux exigences de l'article R. 165-11 du code de la sécurité sociale faute de se prononcer sur le bien-fondé de l'inscription des dispositifs médicaux en cause sur la liste prévue à l'article L. 165-1 au regard notamment de leur service attendu.

Sur les spécifications techniques applicables aux véhicules de transport passif de personnes handicapées pris en charge :

11. Par l'arrêté attaqué, les ministres ont modifié les spécifications techniques applicables aux poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif de personnes handicapées inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale. Cet arrêté prévoit en particulier que : " Ne peuvent pas faire l'objet d'une prise en charge au titre du présent chapitre, les véhicules comprenant une même structure rigide : / - dont le siège, le dossier, les accoudoirs ou maintiens latéraux sont non démontables en 4 parties (notamment avec fixations non réutilisables) ; / - ou dont le revêtement capitonné n'est pas propre à chacune des parties : siège, dossier, accoudoirs ou maintiens latéraux. " Ces modifications ont notamment pour objet d'exclure que les sièges coquilles, qui figurent au titre I de la liste, puissent faire l'objet d'une prise en charge sur le fondement du titre IV de la liste.

12. Il ressort des pièces du dossier que ces nouvelles spécifications se bornent à préciser les spécifications techniques antérieures, qui prévoyaient jusqu'alors que les véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées régis par le titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale " présentent un minimum d'encombrement et sont pliants ou aisément démontables par une personne de l'entourage ". Si, ce faisant, elles excluent la prise en charge à ce titre des " sièges coquilles ", il ressort des pièces du dossier que ceux-ci, relevant normalement du titre I de cette même liste, ont vocation à être prescrits dans une indication gériatrique aux personnes dans l'impossibilité de se maintenir en position assise sans un système de soutien et qu'ils présentent des risques de " grabatisation " pour les patients lorsqu'ils sont utilisés au-delà de cette indication. Leur usage par les personnes auxquelles sont prescrits des véhicules de transport passif doit dès lors être évité lorsqu'elles ne relèvent pas de cette indication.

13. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les ministres ont pu, sans entacher d'erreur manifeste leur arrêté du 10 mars 2020, préciser comme ils l'ont fait les spécifications générales applicables aux véhicules de transport passif de personnes handicapées relevant du titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale.

Sur la prise en charge des appareils de soutien partiel de la tête :

14. L'arrêté attaqué interdit que la prise en charge d'un véhicule de transport passif pour personne handicapée de seize ans et plus soit cumulée avec celle d'un appareil de soutien partiel de la tête. Il résulte de l'avis de la commission du 11 février 2020, que les ministres compétents ont décidé de suivre, que certaines situations imposent, y compris pour les personnes handicapées âgées de seize ans et plus, un dispositif de maintien de la tête, ce dernier conditionnant le service attendu du véhicule. Toutefois, si la commission en concluait que la présence d'un dispositif de maintien de la tête devait, dans ce cas, faire partie des caractéristiques propres du véhicule, il ressort des pièces du dossier que, si ces véhicules comportent habituellement un tel dispositif, les spécifications techniques des poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif des personnes handicapées inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ne l'imposent pas. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir qu'en s'abstenant de prévoir les modalités de prise en charge d'un dispositif de soutien de la tête pour les véhicules, poussettes et fauteuils à pousser destinés aux personnes handicapées âgées de seize ans et plus, les auteurs de l'arrêté attaqué ont commis une erreur manifeste d'appréciation et à demander, pour ce motif, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête se rapportant à ce chef de conclusions, l'annulation de la seule dernière phrase, divisible, de l'article 1er de l'arrêté qu'ils attaquent.

Sur les frais liés au litige :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la société Innov'SA, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La dernière phrase de l'article 1er de l'arrêté du 10 mars 2020 portant modification des modalités de prise en charge des véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale est annulée.

Article 2 : L'Etat versera à la société Innov'SA une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Innov'SA et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 440212
Date de la décision : 22/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2021, n° 440212
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:440212.20210722
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