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07/07/2021 | FRANCE | N°432933

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 07 juillet 2021, 432933


Vu la procédure suivante :

La commune d'Albitreccia (Corse-du-Sud) a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler pour excès de pouvoir les délibérations n° 15/235 AC, n° 15/236 AC et n° 15/237 AC du 2 octobre 2015 par lesquelles l'assemblée de Corse a approuvé le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, la liste des espaces remarquables ou caractéristiques du littoral ainsi que la carte des vocations des plages et séquences littorales qui détermine les espaces situés dans la bande littorale définie au III de l'article L. 146-4 du code de l'u

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Vu la procédure suivante :

La commune d'Albitreccia (Corse-du-Sud) a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler pour excès de pouvoir les délibérations n° 15/235 AC, n° 15/236 AC et n° 15/237 AC du 2 octobre 2015 par lesquelles l'assemblée de Corse a approuvé le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, la liste des espaces remarquables ou caractéristiques du littoral ainsi que la carte des vocations des plages et séquences littorales qui détermine les espaces situés dans la bande littorale définie au III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme. Par un jugement n° 1501115 du 17 mai 2018, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18MA03336 du 24 mai 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande de la commune d'Albitreccia en tant qu'elle concerne les cartes définissant les espaces stratégiques agricoles, et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 24 juillet et 24 octobre 2019 et 23 avril 2021, la commune d'Albitreccia demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la commune d'Albitreccia et à la SCP Spinosi, avocat de la collectivité territoriale de Corse ;

Considérant ce qui suit :

1. La commune d'Albitreccia (Corse-du-Sud) a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler pour excès de pouvoir les délibérations du 2 octobre 2015 par lesquelles l'assemblée de Corse a approuvé le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), la liste des espaces remarquables ou caractéristiques du littoral ainsi que la carte des vocations des plages et séquences littorales qui détermine les espaces situés dans la bande littorale définie au III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur. Par un jugement du 17 mai 2018, le tribunal administratif a rejeté sa demande. La commune d'Albitreccia se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 24 mai 2019 par lequel la cour administrative d'appel a, d'une part, jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur sa demande en tant qu'elle concerne les cartes définissant les espaces stratégiques agricoles, en raison de l'annulation de ces dernières par un jugement définitif du tribunal administratif de Bastia du 1er mars 2018, et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions.

2. Aux termes de l'article L. 4424-9 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable au litige : " I.- La collectivité territoriale de Corse élabore le plan d'aménagement et de développement durable de Corse. / Le plan définit une stratégie de développement durable du territoire en fixant les objectifs de la préservation de l'environnement de l'île et de son développement économique, social, culturel et touristique, qui garantit l'équilibre territorial et respecte les principes énoncés aux articles L. 110 et L. 121-1 du code de l'urbanisme. / Il fixe les orientations fondamentales en matière de protection et de mise en valeur du territoire, de développement agricole, rural et forestier, de pêche et d'aquaculture, d'habitat, de transports, d'intermodalité d'infrastructures et de réseaux de communication et de développement touristique. / Il définit les principes de l'aménagement de l'espace qui en résultent et il détermine notamment les espaces naturels, agricoles et forestiers ainsi que les sites et paysages à protéger ou à préserver, l'implantation des grandes infrastructures de transport et des grands équipements, la localisation préférentielle ou les principes de localisation des extensions urbaines, des activités industrielles, artisanales, commerciales, agricoles, forestières, touristiques, culturelles et sportives. / La destination générale des différentes parties du territoire de l'île fait l'objet d'une carte, dont l'échelle est déterminée par délibération de l'Assemblée de Corse dans le respect de la libre administration des communes et du principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre, et que précisent, le cas échéant, les documents cartographiques prévus à l'article L. 4424-10 et au II de l'article L. 4424-11. / Le plan d'aménagement et de développement durable comporte les informations prévues à l'article L. 121-11 du code de l'urbanisme. / Il prévoit des critères, indicateurs et modalités permettant à la collectivité territoriale de suivre l'application de ses dispositions et leurs incidences. (...) / III. Les schémas de cohérence territoriale et, en l'absence de schéma de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme, les schémas de secteur, les cartes communales ou les documents en tenant lieu doivent être compatibles avec le plan d'aménagement et de développement durable de Corse, notamment dans la délimitation à laquelle ils procèdent des zones situées sur leur territoire et dans l'affectation qu'ils décident de leur donner, compte tenu respectivement de la localisation indiquée par la carte de destination générale des différentes parties du territoire de l'île et de la vocation qui leur est assignée par le plan. ".

Sur la régularité de l'arrêt :

3. En premier lieu, la cour a pu, sans entacher son arrêt d'irrégularité, se borner à relever, dans son analyse des moyens soulevés par la requérante, que cette dernière contestait la régularité de la définition des espaces stratégiques agricoles, sans reprendre dans les détails l'argumentation qui lui était soumise.

4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ". Dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

6. Il ressort des pièces de la procédure devant la cour administrative d'appel que le mémoire en défense de la collectivité territoriale de Corse a été produit le 15 février 2019, après la clôture de l'instruction ; que la cour n'a pas communiqué ce mémoire à la commune d'Albitreccia ; enfin, qu'elle l'a visé et sommairement analysé dans son arrêt. Toutefois, il ressort des termes mêmes de son arrêt que, pour rejeter l'appel de la commune, la cour s'est fondée, d'une part, sur un moyen qu'elle a relevé d'office, tiré de ce que, par un jugement définitif, le tribunal administratif de Bastia avait déjà annulé partiellement l'une des délibérations attaquées par la commune, privant de ce fait d'objet une partie de ses conclusions, et, d'autre part, sur des éléments de fait et de droit qui avaient déjà été discutés devant les premiers juges, dont elle a repris le raisonnement. La cour ne s'est ainsi pas fondée sur des éléments de fait et de droit qui n'auraient été contenus que dans ce mémoire et que la commune n'aurait pas eu la possibilité de discuter. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait entaché son arrêt d'irrégularité, faute d'avoir communiqué le mémoire en défense de la collectivité territoriale de Corse à la commune et d'avoir rouvert l'instruction afin de permettre aux parties d'en discuter, doit être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué. (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que, le 23 avril 2019, la cour a communiqué aux parties un moyen d'ordre public tiré de ce que, par un jugement du 1er mars 2018 devenu définitif, le tribunal administratif de Bastia avait annulé la délibération de l'assemblée de Corse approuvant le PADDUC en tant que celle-ci arrête la carte des espaces stratégiques agricoles et de ce que les conclusions de la commune étaient, dans cette mesure, sans objet. Elle a accordé aux parties la possibilité de faire valoir leurs observations sur ce moyen jusqu'au 29 avril 2019, jour de l'audience. Il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ce délai n'aurait pas été suffisant pour permettre aux parties de présenter leurs observations sur ce moyen. Par suite, la commune n'est pas fondée à soutenir que l'arrêt qu'elle attaque serait irrégulier pour ce motif.

9. En quatrième lieu, d'une part, en écartant le moyen tiré du défaut d'information des conseillers territoriaux par une motivation identique à celle retenue par les premiers juges, la cour a nécessairement considéré que les arguments invoqués devant elle par la commune, tirés du défaut de caractère probant des pièces produites par la collectivité de Corse, n'étaient pas de nature à la conduire à porter une appréciation différente sur ce moyen. D'autre part, compte tenu de l'annulation prononcée par le jugement définitif du 1er mars 2018 du tribunal administratif de Bastia, la cour a pu écarter comme inopérants l'ensemble des moyens invoqués par cette dernière à l'encontre de la cartographie des espaces stratégiques agricoles. Par suite, la commune d'Albitreccia n'est pas fondée à soutenir que l'arrêt qu'elle attaque serait entaché d'insuffisance de motivation, faute d'avoir répondu à l'ensemble de ses moyens.

Sur le bien-fondé de l'arrêt :

10. En premier lieu, la cour, après avoir rappelé que, par un jugement définitif du 1er mars 2018, le tribunal administratif avait annulé la délibération n° 15/235 AC du 2 octobre 2015 en tant qu'elle arrêtait la carte des espaces stratégiques agricoles (ESA), a jugé qu'aucun document du PADDUC autre que cette carte ne permettait de délimiter ces espaces, dès lors que les critères figurant tant dans le règlement que dans les livrets, s'ils désignent les critères d'éligibilité aux ESA, ne permettent pas de déterminer ou d'identifier lesdits espaces avec certitude. En statuant ainsi, la cour a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation. En en déduisant que les moyens invoqués par la commune d'Albitreccia à l'encontre de la cartographie des ESA étaient inopérants, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de droit.

11. En second lieu, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation des pièces du dossier qui lui était soumis que la cour a estimé que la mention du " peuple corse " figurant à plusieurs reprises dans le PADDUC était dénuée de toute portée normative. Par suite, c'est sans erreur de droit qu'elle a jugé inopérant le moyen tiré de ce que le PADDUC méconnaitrait les dispositions de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 en raison de ces mentions.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Albitreccia n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Ses conclusions doivent, par suite, être rejetées, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Albitreccia la somme de 3 000 euros demandée par la collectivité territoriale de Corse au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la commune d'Albitreccia est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la collectivité territoriale de Corse sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune d'Albitreccia et à la collectivité territoriale de Corse.

Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 432933
Date de la décision : 07/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 jui. 2021, n° 432933
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP SPINOSI ; SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:432933.20210707
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