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02/07/2021 | FRANCE | N°423720

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 02 juillet 2021, 423720


Vu la procédure suivante :

Par une requête et quatre autres mémoires, enregistrés les 29 août et 10 octobre 2018 et les 2 juin, 1er juillet et 2 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la filière bois, la société Transest Bois, la société RJP Bois, la société Presco, la société Mangin Frères, la société Lopez Bois, la société Bois Bûche Normandie, la société Etablissement Daude Girard Bois et la société Les Bois de l'UE demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la résolution du conseil d'ad

ministration de l'Office national des forêts (ONF) n° 2018-08 du 28 juin 2018 modifiant...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et quatre autres mémoires, enregistrés les 29 août et 10 octobre 2018 et les 2 juin, 1er juillet et 2 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la filière bois, la société Transest Bois, la société RJP Bois, la société Presco, la société Mangin Frères, la société Lopez Bois, la société Bois Bûche Normandie, la société Etablissement Daude Girard Bois et la société Les Bois de l'UE demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la résolution du conseil d'administration de l'Office national des forêts (ONF) n° 2018-08 du 28 juin 2018 modifiant le formulaire d'engagement approuvé par la résolution du 12 octobre 2016 relative à l'accès aux ventes publiques de chêne par appel d'offres et par adjudication ;

2°) de mettre à la charge de l'ONF la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code forestier ;

- la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 ;

- le décret n° 2015-1129 du 11 septembre 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat du syndicat de la filière Bois et autres, au Cabinet Briard, avocat de l'Office national des forêts et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Fédération nationale du bois ;

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article L.121-2-1 du code forestier, issu de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt : " La politique conduite dans le but de promouvoir la qualité des produits forestiers et de garantir leur origine doit répondre de façon globale et équilibrée aux objectifs suivants : (...) / 2° Renforcer le développement de la filière de production, de récolte, de transformation et de commercialisation des produits forestiers et accroître l'adaptation des produits à la demande ; / 3° Fixer sur le territoire les capacités de transformation des produits forestiers et assurer le maintien de l'activité économique, notamment en zone rurale défavorisée ".

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 213-6 du code forestier : " Les coupes et produits des coupes dans les bois et forêts de l'Etat sont vendus par l'Office national des forêts soit par adjudication ou appel d'offres, soit de gré à gré, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article L. 214-6 du même code : " Les ventes des coupes de toutes natures dans les bois et forêts des collectivités et personnes morales mentionnées au 2° du I de l'article L. 211-1 sont faites à la diligence de l'Office national des forêts, dans les mêmes formes que pour les bois et forêts de l'Etat (...) ". Ces ventes sont régies par un règlement des ventes, prévu par l'article R. 213-25 du même code aux termes duquel : " Un règlement des ventes est adopté par le conseil d'administration de l'Office national des forêts sur proposition du directeur général. Il précise le déroulement des ventes selon la procédure choisie par le représentant habilité de l'Office (...) " et par le premier alinéa de l'article R. 213-28, qui dispose que : " Le droit de se porter acquéreur est ouvert à toute personne sous réserve que ses capacités financières soient jugées suffisantes par le bureau d'adjudication, par la commission d'appel d'offres ou par le représentant de l'Office habilité à signer le contrat de vente de gré à gré ". Enfin, le décret du 11 septembre 2015 sur les conditions pour se porter acquéreur des ventes des coupes de bois réalisées par l'Office national des forêts (ONF) a ajouté un second alinéa à l'article R. 213-28, aux termes duquel : " Le droit de se porter acquéreur peut être subordonné par le règlement des ventes à la présentation d'engagements permettant d'assurer la prise en compte effective des objectifs mentionnés à l'article L. 121-2-1 ". Ces dernières dispositions permettent ainsi au règlement des ventes de l'ONF d'imposer aux acheteurs des coupes et produits des coupes commercialisés par l'office, non seulement des conditions ou engagements fixés dans l'intérêt de la propre activité de cet établissement public, mais aussi, le cas échéant, des engagements répondant à un but d'intérêt général, relevant des objectifs mentionnés à l'article L. 121-2-1 du code forestier.

3. Sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article R. 213-28 du code forestier, le conseil d'administration de l'ONF a, par une résolution du 18 mars 2016, inséré dans les règlements des ventes de bois par adjudication et par appel d'offres des dispositions prévoyant que pour acquérir des lots à dominante de bois d'œuvre de chêne mis en vente par l'ONF, l'acheteur doit présenter des engagements permettant d'assurer la prise en compte effective des objectifs mentionnés à l'article L. 121-2-1 du code forestier. A cette fin, il peut soit disposer d'un label attestant de la transformation des bois d'œuvre de chêne au sein de l'Union européenne, dénommé " label transformation UE ", soit souscrire l'engagement d'alimenter la filière de transformation située dans l'Union européenne avec les bois d'œuvre de chêne issus des lots qu'il aura acquis. Le non-respect de cet engagement, dont le contrôle doit être assuré par un organisme indépendant, peut entraîner l'exclusion de l'acheteur des ventes de bois de chêne de l'ONF pour une durée allant jusqu'à cinq ans. Enfin, les lots mis en vente qui n'ont pas trouvé acheteur dans ces conditions sont remis en vente et peuvent alors être acquis sans qu'il soit nécessaire de présenter le " label transformation UE " ou de souscrire d'engagement.

4. Pour la mise en œuvre de ces dispositions, le conseil d'administration de l'ONF a, par une résolution du 12 octobre 2016, adopté un formulaire comportant sept engagements auxquels, s'il ne dispose pas du " label transformation UE ", tout acheteur doit souscrire pour être autorisé à accéder à une vente par adjudication ou par appel d'offres des lots de bois d'œuvre à dominante " essence chêne ".

5. Enfin, par une résolution du 28 juin 2018, le conseil d'administration de l'ONF a substitué à ce premier formulaire un nouveau formulaire, comportant douze engagements. Le syndicat de la filière bois et huit sociétés de cette filière demandent l'annulation de cette dernière résolution.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

6. Aux termes de l'article L. 221-1 du code forestier : " L'Office national des forêts est un établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l'Etat ". Lorsqu'un établissement public tient de la loi la qualité d'établissement public industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l'exception de ceux relatifs à celles de ses activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique.

7. La résolution litigieuse, qui modifie les règles figurant dans le formulaire d'engagement écrit prévu par les règlements des ventes de l'ONF, fixe, ainsi qu'il a été dit, les conditions auxquelles est subordonné l'accès aux ventes par adjudication et par appel d'offres de lots de bois d'œuvre de chêne commercialisés par l'office, dont le non-respect entraîne l'exclusion de l'acheteur de ces ventes pour une durée maximale de cinq ans. Elle se rattache ainsi au pouvoir réglementaire confié à l'ONF par le second alinéa de l'article R. 213-28 du code forestier. L'office n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la juridiction administrative ne serait pas compétente pour connaître des conclusions du syndicat de la filière bois et autres, lesquelles ressortissent, en vertu des dispositions du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, de la compétence de premier ressort du Conseil d'Etat.

Sur l'intervention de la Fédération nationale du bois :

8. La Fédération nationale du bois justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la résolution attaquée. Par suite, son intervention en défense est recevable.

Sur la légalité de l'acte attaqué :

9. Il ressort des pièces du dossier que le formulaire annexé à la délibération litigieuse prévoit, par l'engagement n° 5, que l'acheteur qui ne dispose pas du " label transformation UE " et entend accéder à une vente publique de bois d'œuvre de chêne s'engage " à transformer ou à faire transformer, sur le territoire de l'Union européenne, l'ensemble des bois d'œuvre de chêne constituant [son] approvisionnement ". En vertu de l'engagement n° 7 du même formulaire, l'acheteur qui ne transforme pas lui-même l'ensemble de ses approvisionnements en bois d'œuvre de chêne est tenu de ne les " vendre, échanger, céder, transférer, à titre gratuit ou onéreux, directement ou indirectement " qu'à des personnes disposant du label ou ayant souscrit l'engagement n° 5.

10. Comme l'admet d'ailleurs l'ONF en défense, ces dispositions imposent ainsi à toute personne qui entend accéder, en première présentation, à une de ses ventes de bois d'œuvre de chêne, de prendre l'engagement de transformer ou de faire transformer au sein de l'Union européenne, non seulement les lots de bois achetés dans le cadre de cette vente mais également l'ensemble de son approvisionnement en bois d'œuvre de chêne, quelle que soit son origine ou la date de son acquisition, ainsi que de soumettre au même engagement de transformation, c'est-à-dire pour l'ensemble de son approvisionnement en bois d'œuvre de chêne, quelle que soit son origine ou la date de son acquisition, toute autre personne à qui elle cèderait ou échangerait une partie de son approvisionnement, y compris celui qui n'est pas issu d'une vente de l'ONF.

11. Or si l'ONF est, ainsi qu'il est dit au point 2, habilité à subordonner le droit de se porter acquéreur des lots de bois qu'il met en vente à des engagements portant sur l'usage de ces lots et répondant aux objectifs mentionnés à l'article L. 121-2-1 du code forestier, cette habilitation ne saurait, compte tenu des exigences tenant au respect de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie, être entendue comme autorisant l'office à faire porter de tels engagements sur l'ensemble des activités d'un acquéreur, en lui imposant des contraintes qui, non seulement, portent sur le bois de chêne qu'il acquiert auprès de l'office mais qui affectent aussi l'ensemble de ses activités d'acquisition, de cession ou d'échange de bois de chêne et celles des entreprises avec lesquelles il entretient des liens commerciaux.

12. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir qu'en adoptant, par la résolution du 28 juin 2018, le formulaire litigieux, dont les engagements ne sont pas divisibles, le conseil d'administration de l'ONF a excédé les limites de la compétence réglementaire que lui confient les dispositions du second alinéa de l'article R. 213-18 du code forestier. Ils sont donc fondés à en demander l'annulation.

Sur la question de la limitation dans le temps des effets de l'annulation prononcée :

13. Il convient de surseoir à statuer sur la date d'effet de cette annulation, jusqu'à ce que les parties aient débattu de la question de savoir s'il y a lieu, en l'espèce, de limiter dans le temps les effets de l'annulation ainsi prononcée, ainsi d'ailleurs que l'ont sollicité, dans leurs observations orales, le Cabinet Briard, avocat de l'ONF, et la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Fédération nationale du bois.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONF la somme demandée par les requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par l'ONF.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale du bois est admise.

Article 2 : La résolution n° 2018-08 du conseil d'administration de l'Office national des forêts du 28 juin 2018 est annulée.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur la date d'effet de cette annulation, jusqu'à ce que les parties aient débattu de la question de savoir s'il y a lieu, en l'espèce, de limiter dans le temps les effets de l'annulation prononcée à l'article 2 de la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par l'Office national des forêts au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au syndicat de la filière bois, premier requérant dénommé, et à l'Office national des forêts.

Copie en sera adressée au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 423720
Date de la décision : 02/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 02 jui. 2021, n° 423720
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pearl Nguyên Duy
Rapporteur public ?: Mme Cécile Barrois de Sarigny
Avocat(s) : CABINET BRIARD ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 25/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:423720.20210702
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