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23/06/2021 | FRANCE | N°433605

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 23 juin 2021, 433605


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 14, 30 août et 1er octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... E... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 juillet 2019 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, l'a suspendu du droit d'exercer la médecine générale, hormis dans le domaine de la nutrition, pour une durée d'un an, et a subordonné la reprise de son activité au suivi d'une formati

on de remise à niveau dans le cadre du diplôme interuniversitaire de m...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 14, 30 août et 1er octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... E... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 juillet 2019 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, l'a suspendu du droit d'exercer la médecine générale, hormis dans le domaine de la nutrition, pour une durée d'un an, et a subordonné la reprise de son activité au suivi d'une formation de remise à niveau dans le cadre du diplôme interuniversitaire de médecine générale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... A..., auditrice,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de M. E... et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du conseil national de l'ordre des médecins ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique : " I. - En cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. / Le conseil régional ou interrégional est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'agence régionale de santé, soit par une délibération du conseil départemental ou du conseil national. Ces saisines ne sont pas susceptibles de recours. / II. - La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional ou interrégional dans les conditions suivantes : / 1° Pour les médecins, le rapport est établi par trois médecins qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts (...) / III. En cas de carence de l'intéressé lors de la désignation du premier expert ou de désaccord des deux experts lors de la désignation du troisième, la désignation est faite, à la demande du conseil régional ou interrégional, par ordonnance du président du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se trouve la résidence professionnelle de l'intéressé.(...)/ IV. - Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l'examen des connaissances théoriques et pratiques du praticien (...) Le rapport d'expertise (...) indique les insuffisances relevées au cours de l'expertise, leur dangerosité et préconise les moyens de les pallier par une formation théorique et, si nécessaire, pratique (...). / VI. - Si le conseil régional ou interrégional n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre. / VII. - La décision de suspension temporaire du droit d'exercer pour insuffisance professionnelle définit les obligations de formation du praticien (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier que le conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des médecins a été saisi par le conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins, sur le fondement des dispositions de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique citées au point 1 et relatives à l'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, du cas de M. E..., médecin spécialiste qualifié en médecine générale. Par une décision prise, en application du VI du même article, sur renvoi du conseil régional d'Ile-de-France, le Conseil national de l'ordre des médecins a, par la décision attaquée du 18 juillet 2019, suspendu M. E... du droit d'exercer la médecine générale, hormis dans le domaine de la nutrition, pour une durée d'un an, et subordonné la reprise de son activité au suivi d'une formation de remise à niveau dans le cadre du diplôme interuniversitaire de médecine générale.

Sur la légalité externe :

3. En premier lieu, lorsque le Conseil national de l'ordre des médecins examine, sur le fondement des dispositions de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique, l'aptitude d'un praticien à exercer ses fonctions, il prend une décision administrative et n'a le caractère ni d'une juridiction ni d'un tribunal au sens du 1er paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, M. E... ne saurait utilement soutenir que la décision attaquée est intervenue au terme d'une procédure ayant méconnu son droit à un procès équitable.

4. En deuxième lieu, si la décision mentionnée au point 3 doit être motivée et doit, par suite, indiquer les éléments de fait et de droit sur lesquels elle se fonde, elle n'est, en revanche, pas tenue de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par le praticien. En l'espèce, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins, qui s'est expressément appropriée certains constats et préconisations de l'expertise conduite en application des dispositions du IV de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique citées au point 1, sur les connaissances théoriques et pratiques de M. E..., a, contrairement à ce que soutient ce dernier, suffisamment exposé les motifs pour lesquels elle retenait que son insuffisance professionnelle était de nature à faire courir un danger à ses patients.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le président du conseil régional d'Ile-de-France a saisi le 8 juin 2015 aux fins de désignation d'un expert, en application des dispositions du III de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique, le président du tribunal de grande instance de Paris, et que celui-ci a désigné le docteur D... par ordonnance du 30 juin 2015. M. E... ne saurait utilement contester, devant le juge administratif, la régularité de la saisine du président du tribunal de grande instance.

6. En quatrième lieu, il ne ressort des pièces du dossier ni que M.D..., expert désigné par le président du tribunal de grande instance de Paris en application des dispositions du III de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique, ne serait pas qualifié en médecine générale, ni que la circonstance qu'il ait été amené à connaître de faits relatifs à l'associé de M. E..., à la supposer établie, serait de nature en elle-même à susciter un doute légitime sur son impartialité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du II de l'article R.4124-3-5 du code de la santé publique ne peut qu'être écarté.

7. En cinquième lieu, si le IV de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique prévoit que le rapport des experts doit être déposé dans le délai de six semaines à compter de la saisine de l'instance ordinale compétente, ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité. Il ressort des pièces du dossier que le conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des médecins a désigné le 3 juin 2015 comme expert le professeur Budowski, lequel n'a pu se rendre disponible pour assurer sa mission, et qu'en mai 2019 seulement le Conseil national de l'ordre des médecins, auquel l'affaire avait été transmise en application des dispositions du VI de l'article R. 4124-3-5, a désigné un nouvel expert en remplacement du professeur Bukowski, de sorte que l'expertise n'a pu avoir lieu que le 25 juin 2019. Pour regrettable que soit le délai qui s'est écoulé entre la saisine des instances ordinales et la réalisation de l'expertise, il ne ressort pas des pièces du dossier que des circonstances particulières entacheraient l'expertise d'irrégularité.

Sur la légalité interne :

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que M. E... avait depuis plusieurs années limité sa pratique de la médecine générale au domaine de la nutrition et ne possédait plus les connaissances théoriques et pratiques nécessaires à l'exercice de la médecine générale dans l'ensemble des dimensions de cette spécialité. En estimant que cette absence de pratique était constitutive d'une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la médecine générale par M. E... en dehors du domaine de la nutrition, et en prononçant à son encontre, par la décision attaquée, une mesure de suspension partielle de son activité pour une durée d'un an assortie de l'obligation de suivre une formation adaptée, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a fait une exacte application des dispositions de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique et n'a entaché sa décision d'aucune erreur d'appréciation.

9. En deuxième lieu, le détournement de procédure allégué n'est pas établi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative sont rejetées.

Article 3: La présente décision sera notifiée à M. B... E... et au Conseil national de l'ordre des médecins.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 433605
Date de la décision : 23/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jui. 2021, n° 433605
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Thalia Breton
Rapporteur public ?: M. Frédéric Dieu
Avocat(s) : SCP BOUTET-HOURDEAUX ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:433605.20210623
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