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18/06/2021 | FRANCE | N°433323

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 18 juin 2021, 433323


Vu la procédure suivante :

La société Sopra Steria Group a demandé au tribunal administratif de Montreuil, à titre principal, de prononcer la décharge et la restitution de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de ses exercices clos en 2010 et 2011 pour des montants respectifs de 659 055 euros et 613 630 euros ainsi que des pénalités correspondantes, et, à titre subsidiaire, de prononcer la réduction de son résultat imposable au titre de ces mêmes exercices, ainsi que la décharge et la restitution des cotisations supplémentaire

s d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes.

Par un jug...

Vu la procédure suivante :

La société Sopra Steria Group a demandé au tribunal administratif de Montreuil, à titre principal, de prononcer la décharge et la restitution de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de ses exercices clos en 2010 et 2011 pour des montants respectifs de 659 055 euros et 613 630 euros ainsi que des pénalités correspondantes, et, à titre subsidiaire, de prononcer la réduction de son résultat imposable au titre de ces mêmes exercices, ainsi que la décharge et la restitution des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1609506 du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Montreuil a, d'une part, réduit le résultat imposable de la société Sopra Steria Group du montant correspondant aux retenues à la source prélevées au Maroc au cours de ses exercices clos en 2010 et 2011 sur des rémunérations tirées de prestations de maintenance informatique, déchargé la société des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondant à ces réductions en base et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société.

Par un arrêt n° 18VE00312 du 4 juin 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, en premier lieu, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la société Sopra Steria Group à hauteur des montants dégrevés en cours d'instance, en deuxième lieu, annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il avait omis de statuer sur les conclusions de la société tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie à hauteur des crédits d'impôt dont elle réclamait le bénéfice en raison de retenues à la source prélevées au Maroc sur le paiement de prestations de construction et d'intégration de systèmes d'information, en troisième lieu, rejeté ces conclusions et, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la requête de la société Sopra Steria Group.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 août, 5 novembre 2019 et le 28 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sopra Steria Group demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention fiscale franco-marocaine signée le 29 mai 1970 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la Société Sopra Steria Group ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Sopra Steria Group, qui exerce une activité d'édition et de distribution de logiciels professionnels, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur ses exercices clos en 2010 et 2011, à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause l'imputation sur l'impôt sur les sociétés afférent à ces deux exercices de réductions d'impôt correspondant aux montants de retenues à la source prélevées par le Maroc sur des rémunérations perçues en contrepartie de la concession de licences de progiciels, de prestations de fabrication et d'intégration de programmes informatiques et de prestations de maintenance informatique. La société Sopra Steria Group se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 juin 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement du 14 décembre 2017 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il avait omis de statuer sur une partie de ses conclusions mais a rejeté ses demandes tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie à hauteur des réductions d'impôt remises en cause par l'administration.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 16 de la convention fiscale franco-marocaine du 29 mai 1970 : " (...) / 2. Les redevances non visées au paragraphe 1 provenant d'un Etat contractant et payées à une personne domiciliée dans l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. Toutefois, ces redevances peuvent être imposées dans l'Etat contractant d'où elles proviennent, si la législation de cet Etat le prévoit, dans les conditions et sous les limites ci-après : / a) Les redevances versées en contrepartie de l'usage ou du droit à l'usage de droits d'auteur sur des oeuvres littéraires, artistiques ou scientifiques (...) qui sont payées dans l'un des Etats contractants à une personne ayant son domicile fiscal dans l'autre Etat contractant, peuvent être imposées dans le premier Etat, mais l'impôt ainsi établi ne peut excéder 5 pour cent du montant brut des redevances ; / b) Les redevances provenant de la concession de licences d'exploitation de brevets (...) formules ou procédés secrets, provenant de sources situées sur le territoire de l'un des Etats contractants et payées à une personne domiciliée sur le territoire de l'autre Etat peuvent être imposées dans le premier Etat, mais l'impôt ainsi établi ne peut excéder 10 pour cent du montant brut des redevances ; / c) Sont traitées comme les redevances visées à l'alinéa b ci-dessus (...) les rémunérations analogues pour la fourniture d'informations concernant des expériences d'ordre industriel, commercial ou scientifique ainsi que les rémunérations pour des études techniques ou économiques. (...) ". Selon l'article 25 de ladite convention : " (...) / 2. En ce qui concerne les revenus visés aux articles 13, 14 et 16 ci-dessus, l'Etat contractant sur le territoire duquel le bénéficiaire a son domicilie fiscal peut, en conformité avec les dispositions de sa législation interne, les comprendre dans les bases des impôts visés à l'article 8 pour leur montant brut ; mais il accorde sur le montant des impôts afférents à ces revenus, et dans la limite de ce montant, une réduction correspondant au montant des impôts prélevés par l'autre Etat sur ces mêmes revenus. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier des documents produits par la société Sopra Steria Group, que celle-ci concède à ses clients un droit d'utilisation des progiciels professionnels qu'elle conçoit et leur propose par ailleurs d'en assurer l'intégration et la maintenance. Il ressort également des documents produits par la société Sopra Steria Group devant les juges du fond que cette société ne concède à ses clients aucun autre droit de propriété intellectuelle attaché à sa qualité d'auteur des logiciels, ni ne leur transfère des connaissances techniques en dehors de la documentation portant sur l'utilisation des produits qu'elle fournit et de l'accompagnement qu'elle assure pour favoriser cette utilisation. Dès lors, la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en retenant que les prestations d'intégration et de maintenance informatique assurées par la société Sopra Steria Group n'étaient pas accompagnées du transfert de procédés secrets ni du transfert d'un savoir-faire.

4. Il résulte des éléments soumis à la cour que celle-ci a également porté sur les faits de l'espèce une appréciation exempte de dénaturation en relevant que les prestations d'intégration et de maintenance assurées par la société n'avaient pas pour objet la fourniture d'études techniques ou économiques au sens des stipulations précitées de la convention franco-marocaine.

5. La cour n'a pas non plus dénaturé les pièces qui lui étaient présentées en retenant que l'objet des prestations de fabrication et d'intégration de systèmes puis d'assistance technique fournies dans le cadre de l'activité de maintenance et celui de la concession du droit d'usage opéré par les contrats de licence sont distincts, ni en relevant que les clients de la société Sopra Steria Group ne sont pas tenus de recourir aux prestations d'intégration et de maintenance et que ces différents types de prestations font l'objet d'une facturation séparée. Dans ces conditions, en jugeant au vu de ces éléments que les rémunérations perçues en contrepartie des prestations d'intégration, de maintenance et celles reçues en contrepartie des licences de logiciels devaient être distinguées pour l'application des stipulations conventionnelles rappelées au point 2 ci-dessus, alors même que les licences d'utilisation consenties par la société Sopra Steria Group sont, d'un point de vue technique et économique, étroitement liées aux prestations d'intégration et de maintenance qui les accompagnent, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit.

6. Enfin, en déduisant de ces considérations que les rémunérations versées à la société Sopra Steria Group en contrepartie de ses prestations de fabrication, d'intégration et de maintenance informatique ne relevaient pas de la catégorie des redevances au sens des stipulations de la convention fiscale franco-marocaine ouvrant droit à une réduction d'impôt en cas de retenue à la source prélevée sur ces revenus, la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas entaché son arrêt d'erreur de qualification juridique des faits.

7. En second lieu, il résulte des stipulations précitées du 2. de l'article 25 de la convention fiscale franco-marocaine que le bénéfice de la réduction accordée sur le montant de l'impôt perçu en France sur des redevances de source marocaine versées en contrepartie d'une concession d'usage de logiciel est subordonné au prélèvement effectif, sur ces mêmes revenus, d'un impôt marocain. Ainsi, dès lors qu'elle avait relevé, au terme d'une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que les attestations dont se prévalait la société Sopra Steria Group ne permettaient pas d'établir avec une précision suffisante que des retenues à la source avaient été appliquées, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'administration fiscale avait pu valablement exiger la production par la société d'une attestation des services fiscaux marocains certifiant de l'acquittement de ces retenues à la source, alors même que ni la convention fiscale franco-marocaine ni la loi n'imposent expressément de fournir un tel justificatif. La cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur point, n'a pas non plus commis d'erreur de droit en considérant que l'imposition effective au Maroc des redevances perçues en contrepartie des concessions de licences de logiciel demeurait dans le champ du litige qui lui était soumis, dès lors que le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 14 décembre 2017 et la décision de dégrèvement du 23 mars 2018 ne portent que sur la prise compte, dans le résultat imposable de la société, des retenues à la sources prélevées au Maroc sur les rémunérations retirées de ses prestations de maintenance.

8. Il résulte de ce qui précède que la société Sopra Steria Group n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Sopra Steria Group est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Sopra Steria Group et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 433323
Date de la décision : 18/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - TEXTES FISCAUX - CONVENTIONS INTERNATIONALES - CONVENTIONS FRANCO-MAROCAINE - RÉDUCTION D'IMPÔT ATTACHÉE À LA RETENUE À LA SOURCE ACQUITTÉE SUR DES REDEVANCES [RJ1] - CONDITION DE PAIEMENT EFFECTIF DE L'IMPÔT MAROCAIN - MODALITÉS DE PREUVE - FACULTÉ POUR L'ADMINISTRATION D'EXIGER UNE ATTESTATION DES SERVICES FISCAUX MAROCAINS - EXISTENCE - LORSQUE LES ÉLÉMENTS PRODUITS PAR LE CONTRIBUABLE SONT INSUFFISANTS.

19-01-01-05 Il résulte du 2 de l'article 25 de la convention fiscale franco-marocaine du 29 mai 1970 que le bénéfice de la réduction accordée sur le montant de l'impôt perçu en France sur des redevances de source marocaine versées en contrepartie d'une concession d'usage de logiciel est subordonné au prélèvement effectif, sur ces mêmes revenus, d'un impôt marocain.... ,,Dès lors que les attestations dont se prévaut le contribuable ne permettent pas d'établir avec une précision suffisante que des retenues à la source ont été appliquées, l'administration fiscale peut valablement exiger la production par la société d'une attestation des services fiscaux marocains certifiant de l'acquittement de ces retenues à la source, alors même que ni la convention fiscale franco-marocaine ni la loi n'imposent expressément de fournir un tel justificatif.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - CALCUL DE L'IMPÔT - CONVENTIONS FRANCO-MAROCAINE - RÉDUCTION D'IMPÔT ATTACHÉE À LA RETENUE À LA SOURCE ACQUITTÉE SUR DES REDEVANCES [RJ1] - CONDITION DE PAIEMENT EFFECTIF DE L'IMPÔT MAROCAIN - MODALITÉS DE PREUVE - FACULTÉ POUR L'ADMINISTRATION D'EXIGER UNE ATTESTATION DES SERVICES FISCAUX MAROCAINS - EXISTENCE - LORSQUE LES ÉLÉMENTS PRODUITS PAR LE CONTRIBUABLE SONT INSUFFISANTS.

19-04-02-01-08-01 Il résulte du 2 de l'article 25 de la convention fiscale franco-marocaine du 29 mai 1970 que le bénéfice de la réduction accordée sur le montant de l'impôt perçu en France sur des redevances de source marocaine versées en contrepartie d'une concession d'usage de logiciel est subordonné au prélèvement effectif, sur ces mêmes revenus, d'un impôt marocain.... ,,Dès lors que les attestations dont se prévaut le contribuable ne permettent pas d'établir avec une précision suffisante que des retenues à la source ont été appliquées, l'administration fiscale peut valablement exiger la production par la société d'une attestation des services fiscaux marocains certifiant de l'acquittement de ces retenues à la source, alors même que ni la convention fiscale franco-marocaine ni la loi n'imposent expressément de fournir un tel justificatif.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant de la notion de redevances au sens de cette convention, CE, décision du même jour, Société Sopra Steria Group, n° 433315, à mentionner aux Tables.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2021, n° 433323
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:433323.20210618
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