Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 décembre 2019, 9 mars 2020, 15 janvier et 28 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Teofarma demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 octobre 2019 par laquelle le Comité économique des produits de santé a refusé de faire droit à sa demande de modification du prix de la spécialité " Larmes artificielles Martinet 1,4 % (chlorure de sodium), collyre, 10 ml en flacon compte-gouttes " ;
2°) d'enjoindre au Comité économique des produits de santé d'accepter sa demande de modification du prix de la spécialité en litige ou, subsidiairement, de se prononcer à nouveau sur sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la société Teofarma ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que la société Teofarma a sollicité du Comité économique des produits de santé la hausse du prix de la spécialité qu'elle exploite, dénommée " Larmes artificielles Martinet 1,4 % (chlorure de sodium), collyre, 10 ml en flacon compte-gouttes ". Par une décision du 30 octobre 2019, dont la société requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir, le Comité économique des produits de santé a refusé de faire droit à cette demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale : " I. - Le prix de vente au public de chacun des médicaments mentionnés au premier alinéa de l'article L. 162-17 [c'est-à-dire ceux inscrits sur la liste des médicaments remboursables] est fixé par convention entre l'entreprise exploitant le médicament et le Comité économique des produits de santé conformément à l'article L. 162-17-4 ou, à défaut, par décision du comité, sauf opposition conjointe des ministres concernés qui arrêtent dans ce cas le prix dans un délai de quinze jours après la décision du comité. La fixation de ce prix tient compte principalement de l'amélioration du service médical rendu apportée par le médicament, le cas échéant des résultats de l'évaluation médico-économique, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés ainsi que des conditions prévisibles et réelles d'utilisation du médicament (...) ". L'article L. 162-17-4 du même code dispose que : " En application des orientations qu'il reçoit annuellement des ministres compétents, le Comité économique des produits de santé peut conclure avec des entreprises ou groupes d'entreprises des conventions d'une durée maximum de quatre années relatives à un ou à des médicaments visés (...) aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 162-17. (...) Ces conventions, dont le cadre peut être précisé par un accord conclu avec un ou plusieurs syndicats représentatifs des entreprises concernées, déterminent les relations entre le comité et chaque entreprise, et notamment : / 1° Le prix mentionné à l'article L. 162-16-5 de ces médicaments (...) et, le cas échéant, l'évolution de ces prix, notamment en fonction des volumes de vente (...) ". L'article 16 de l'accord-cadre conclu en application de ces dispositions le 31 décembre 2015 entre le Comité économique des produits de santé et le syndicat Les entreprises du médicament, prorogé par un avenant du 7 décembre 2018, envisage l'hypothèse dans laquelle " pour une spécialité répondant à un besoin thérapeutique qui n'est couvert par aucune autre spécialité moins coûteuse, l'entreprise qui l'exploite demande une hausse du prix justifiée par les conditions financières d'exploitation de cette spécialité ", en précisant qu'il est alors tenu compte du coût des obligations liées aux normes environnementales ou à la lutte contre la contrefaçon. Lorsqu'il apprécie le coût d'une telle spécialité, le Comité économique des produits de santé doit prendre en considération les dépenses que le laboratoire doit nécessairement exposer pour la mise sur le marché de la spécialité.
3. Sous réserve des cas dans lesquels l'évolution du prix de vente au public de la spécialité remboursable a été prévue par convention avec l'entreprise exploitant le médicament, il appartient au Comité économique des produits de santé, saisi d'une demande en ce sens de l'entreprise, d'apprécier s'il y a lieu de procéder à la modification de prix sollicitée au regard notamment des critères indiqués à l'article L. 162-16-4. A cette fin, il lui incombe notamment de déterminer dans chaque cas, sur la base de critères objectifs et vérifiables, la méthode de comparaison des prix des médicaments à même visée thérapeutique la plus adaptée aux caractéristiques des spécialités en cause, en tenant compte des conditions réelles et prévisibles d'utilisation de cellesci.
4. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie : " (...) les dispositions suivantes s'appliquent lorsqu'une augmentation du prix d'un médicament n'est autorisée qu'après l'obtention d'une autorisation préalable des autorités compétentes : / (...) 2. Lorsque les autorités compétentes décident de ne pas autoriser, en totalité ou en partie, l'augmentation de prix demandée, la décision comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables (...) ". Pour assurer la transposition de ces dispositions, l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale prévoit que les décisions portant refus de modification du prix d'un médicament sont communiquées à l'entreprise avec la mention de leurs motifs.
5. En l'espèce, il résulte des termes du courrier du 30 octobre 2019 portant la décision attaquée à la connaissance de la société requérante que le Comité économique des produits de santé a refusé de faire droit à sa demande d'augmentation du prix de la spécialité qu'elle commercialise au motif que cette augmentation n'apparaissait pas justifiée au regard des dispositions du code de la sécurité sociale, notamment de celles de l'article L. 162-16-4, qu'il cite. Ce courrier indique que le prix actuel de cette spécialité apparaît conforme aux critères de fixation du prix des médicaments remboursables mentionnés à cet article en précisant à ce titre, d'une part, que le prix constaté des médicaments à même visée thérapeutique ne permet pas de le faire bénéficier d'une hausse de prix dès lors qu'il ne peut être regardé comme le comparateur le moins cher et, d'autre part, que les autres critères légaux, qu'il rappelle, ne font pas apparaître de changement qui justifierait une hausse du prix de la spécialité. Il ajoute que la spécialité ne répond pas aux conditions de hausse de prix définies à l'article 16 alinéa 2 de l'accord-cadre conclu entre le Comité économique des produits de santé et le syndicat Les entreprises du médicament relatif à l'hypothèse dans laquelle une entreprise qui exploite une spécialité répondant à un besoin thérapeutique qui n'est couvert par aucune autre spécialité moins coûteuse demande une hausse du prix justifiée par les conditions financières d'exploitation de cette spécialité.
6. Le comité a ainsi mentionné la base légale de sa décision, en précisant les critères, fixés par la loi et l'accord-cadre, qu'il a pris en compte. Il a fait apparaître, contrairement à ce qui est soutenu, la raison pour laquelle les difficultés économiques liées à l'exploitation de la spécialité en cause invoquées ne pouvaient justifier la hausse de prix sollicitée, faute de satisfaire à la condition posée à ce titre par l'accord-cadre. Ces critères sont objectifs et vérifiables au sens des dispositions de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie. En revanche, le comité ne peut être regardé comme ayant en l'espèce énoncé avec une précision suffisante les éléments de fait retenus pour justifier sa décision en se bornant à faire état du prix inférieur des spécialités à base de ciclosporine, mentionnées comme étant à même visée thérapeutique, alors qu'il ne ressort d'aucune des pièces versées au dossier, notamment pas de l'avis émis par la commission de la transparence le 30 novembre 2016 lors du renouvellement de l'inscription de la spécialité " Larmes artificielles Martinet " sur la liste des médicaments remboursables, que ces spécialités aient pu être envisagées comme un comparateur pertinent et alors que la société Teofarma s'était en revanche prévalue du prix plus élevé d'une spécialité à base comme la sienne de chlorure de sodium, qu'elle estimait relever de la même classe thérapeutique. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que, dans ces circonstances, la décision du Comité économique des produits de santé ne peut être regardée comme comportant l'exposé de ses motifs conformément aux exigences rappelées au point 4 et à en demander pour ce motif l'annulation, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. L'exécution de la présente décision implique nécessairement que le Comité économique des produits de santé se prononce à nouveau sur la demande de la société Teofarma tendant à la hausse du prix de la spécialité " Larmes artificielles Martinet ". Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au Comité économique des produits de santé d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par la société requérante.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la société Teofarma au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision du Comité économique des produits de santé du 30 octobre 2019 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au Comité économique des produits de santé de se prononcer à nouveau sur la demande de la société Teofarma tendant à la hausse du prix de la spécialité " Larmes artificielles Martinet 1,4 % (chlorure de sodium), collyre, 10 ml en flacon compte-gouttes " dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à la société Teofarma une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Teofarma est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Teofarma et au Comité économique des produits de santé.
Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.