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14/06/2021 | FRANCE | N°432988

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 14 juin 2021, 432988


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 432988, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 juillet et 28 octobre 2019 et le 9 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2019-514 du 24 mai 2019 fixant les seuils de désignation des commissaires aux comptes et les délais pour élaborer les normes d'exercice professionnel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 00

0 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

2° Sous l...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 432988, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 juillet et 28 octobre 2019 et le 9 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2019-514 du 24 mai 2019 fixant les seuils de désignation des commissaires aux comptes et les délais pour élaborer les normes d'exercice professionnel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

2° Sous le n° 433011, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 juillet et 23 octobre 2019 et 26 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le 5° de l'article 1er du décret n° 2019-514 du 24 mai 2019 fixant les seuils de désignation des commissaires aux comptes et les délais pour élaborer les normes d'exercice professionnel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 ;

- la décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme B... A..., conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris étant dirigées contre le même décret, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. L'article 20 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises a modifié plusieurs dispositions du code de commerce pour prévoir que sont tenues de désigner au moins un commissaire aux comptes les sociétés commerciales, quelle que soit leur forme sociale, qui dépassent, à la clôture d'un exercice social, les seuils fixés par décret pour deux des trois critères suivants : le total de leur bilan, le montant de leur chiffre d'affaires hors taxes ou le nombre moyen de leurs salariés au cours de l'exercice. En outre, l'article L. 823-2-2 du code de commerce, créé par ce même article 20, prévoit à ses premier et troisième alinéas que sont également soumises à l'obligation de désigner un commissaire aux comptes, dès lors qu'elles dépassent deux des trois critères de seuils fixés par décret, d'une part, " les personnes et entités qui contrôlent une ou plusieurs sociétés au sens de l'article L. 233-3 ", les critères de seuils étant alors appréciés au niveau de " l'ensemble qu'elles forment avec les sociétés qu'elles contrôlent ", et, d'autre part, les sociétés qui sont contrôlées directement ou indirectement par ces mêmes personnes et entités. Il résulte du décret attaqué du 24 mai 2019, pris pour l'application de ces dispositions, d'une part, que le niveau des seuils pour les sociétés commerciales et les sociétés " têtes de groupe " relevant du premier alinéa de l'article L. 823-2-2 du code de commerce est fixé par référence à l'article D. 221-5 du code de commerce, qui prévoit que " le total du bilan est fixé à 4 000 000 euros, le montant hors taxe du chiffre d'affaires à 8 000 000 euros et le nombre moyen de salariés à cinquante ", et, d'autre part, que le niveau des seuils pour les sociétés contrôlées est fixé par le nouvel article D. 823-1-1, introduit dans le code de commerce par l'article 1er de ce décret et aux termes duquel " Pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 823-2-2 relatif à la désignation d'un commissaire aux comptes, le total du bilan est fixé à 2 000 000 euros, le montant du chiffre d'affaires hors taxes à 4 000 000 euros et le nombre moyen de salariés employés au cours de l'exercice à vingt-cinq ".

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire applicable aux dispositions attaquées n'imposait la consultation préalable d'organismes représentant les commissaires aux comptes. Il en résulte que la compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué a été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute de concertation préalable avec les représentants de la profession.

4. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article 20 de la loi du 22 mai 2019 que le législateur a expressément renvoyé au pouvoir réglementaire la détermination de la valeur des seuils au-delà desquels les sociétés sont soumises à l'obligation de désigner un commissaire aux comptes. Le moyen tiré de ce que le décret aurait, en fixant ces seuils, empiété sur la compétence du législateur ne peut donc qu'être écarté.

5. En troisième lieu, l'exécution du décret attaqué n'implique la prise d'aucune mesure qui relèverait de la compétence du ministre chargé de l'économie. Ce décret n'est dès lors pas irrégulier faute d'avoir été contresigné par ce ministre.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

6. En premier lieu, si les seuils fixés par le décret attaqué, en application de l'article 20 de la loi du 22 mai 2019, correspondent aux seuils mentionnés par les points 2 et 5 de l'article 3 de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises, pour définir les petites entreprises et les petits groupes, dont les Etats membres ne sont pas tenus, en application de l'article 34 de la même directive, d'exiger que leurs états financiers soient certifiés par un ou plusieurs contrôleurs légaux des comptes ou cabinets d'audit habilités, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'auteur du décret attaqué se serait cru tenu, pour se conformer aux dispositions de la directive, de dispenser les entreprises et groupes de sociétés qui n'ont pas dépassé ces seuils de l'obligation de désigner un commissaire aux comptes.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article D. 823-1 du code de commerce issu du décret attaqué : " Les seuils mentionnés au premier alinéa de l'article L. 823-2-2 relatif à la désignation d'un commissaire aux comptes sont ceux définis à l'article D. 221-5. / Le total cumulé du bilan, le montant cumulé hors taxe du chiffre d'affaires et le nombre moyen cumulé de salariés sont déterminés en additionnant le total du bilan, le montant hors taxe du chiffre d'affaires et le nombre moyen de salariés définis conformément aux quatrième, cinquième et sixième alinéas de l'article D. 123-200, des entités comprises dans l'ensemble mentionné au premier alinéa de l'article L. 823-2-2. / La personne ou l'entité n'est plus tenue de désigner un commissaire aux comptes dès lors que l'ensemble qu'elle forme avec les sociétés qu'elle contrôle n'a pas dépassé les chiffres cumulés fixés pour deux de ces trois critères pendant les deux exercices précédant l'expiration du mandat du commissaire aux comptes ". Les requérantes soutiennent que les dispositions attaquées instituent une différence de traitement entre les groupes français et les groupes de nationalité étrangère, et qu'elles portent atteinte à la liberté d'entreprendre en ne clarifiant pas la portée de la loi s'agissant des sociétés détenues par des groupes étrangers. Mais, d'une part, l'ensemble des sociétés implantées en France, qu'elles soient filiales d'un groupe français ou étranger, sont soumises aux mêmes seuils quant à l'obligation de désigner un commissaire aux comptes, et, d'autre part, la différence de traitement des sociétés de tête de ces groupes, lorsqu'elles sont enregistrées dans un Etat étranger doté d'une réglementation différente, résulte nécessairement de cette différence de situation. Par suite, il ne saurait être soutenu que les dispositions attaquées ont, par elles-mêmes, pour effet de traiter de façon différente, sans justification tenant à leur objet et proportionnée à celui-ci, les sociétés françaises et étrangères, ni qu'elles comporteraient ainsi des lacunes préjudiciables à la liberté d'entreprendre.

8. En troisième lieu, il est soutenu que les seuils fixés auront des conséquences disproportionnées dans la mesure où ils auront pour effet de sortir du champ du contrôle et de la certification obligatoire des comptes des entreprises représentant une partie significative de l'économie française, réalisant un chiffre d'affaires cumulé estimé à 350 milliards d'euros, dans le seul but de permettre à des entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 3 et 8 millions d'euros de réaliser une économie estimée à 3 600 à 5 500 euros par an en moyenne. Il ressort cependant des pièces du dossier, notamment de la fiche d'impact du décret attaqué, que, selon le rapport relatif à la certification légale des comptes des petites entreprises françaises de l'inspection générale des finances remis à la garde des sceaux et au ministre de l'économie en mars 2018, l'audit légal, qui s'élève en moyenne à 5 500 euros pour les petites entreprises, selon la définition qu'en donne la directive mentionnée ci-dessus, représente une charge proportionnellement plus élevée pour elles que pour les plus grandes entreprises, et que la part des entreprises soumises à l'audit légal demeure plus élevée en France que dans d'autres pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou l'Espagne. Par suite, au regard de l'objectif du législateur d'un juste équilibre entre la fiabilisation des comptes et l'allègement des charges pesant sur les petites entreprises, il ne ressort pas des pièces du dossier que les seuils fixés par le décret attaqué seraient entachés d'erreur manifeste d'appréciation.

9. En quatrième lieu, si la compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris soutient que le décret attaqué porte atteinte aux principes de la libre concurrence et de la libre prestation de services, elle n'assortit ces moyens d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

10. En dernier lieu, il est soutenu que le décret attaqué porte également atteinte au principe de sécurité juridique, faute d'avoir prévu des mesures transitoires. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'absence de dispositions transitoires dans le décret attaqué soit de nature à porter atteinte à la sécurité juridique des relations entre les entreprises concernées, de leurs actionnaires, leurs fournisseurs ou leurs clients. La législation relative aux obligations de désignation d'un commissaire aux comptes n'ayant fait naître aucune situation légalement acquise, sa modification par les dispositions de l'article 20 de la loi du 22 mai 2019, qui ne concerne pas les mandats en cours, ne méconnaît pas les exigences de la garantie des droits, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019. Par suite, le moyen doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret attaqué. Leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, à la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et à la ministre des outre-mer.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 432988
Date de la décision : 14/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 jui. 2021, n° 432988
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Moreau
Rapporteur public ?: M. Olivier Fuchs
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:432988.20210614
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