Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la délibération du 9 juin 2015 par laquelle la communauté d'agglomération Cap Calaisis a supprimé son emploi de chargé de mission et de la condamner à lui verser la somme de 452 207,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à raison de l'illégalité de cette décision, de l'irrégularité de sa situation administrative et de faits de harcèlement moral. Par un jugement n° 1510104 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la délibération attaquée et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. B....
Par un arrêt n° 18DA02608 du 12 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Douai, sur appel de M. B..., a annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires et, après évocation, a rejeté ces mêmes conclusions.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 22 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt dans la mesure où il a rejeté ses conclusions ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Ranquet, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. B... et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la communauté d'agglomération du Calaisis ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 22 avril 2013, le président de la communauté d'agglomération Cap Calaisis, à la suite d'observations du contrôle de légalité, a retiré son arrêté du 12 octobre 2012 renouvelant le détachement de M. A... B..., ingénieur territorial en chef, dans l'emploi de directeur général adjoint des services de la communauté. Le 3 décembre 2014, ce dernier a été affecté à un emploi de chargé de mission " fibre optique très haut débit ". Par une délibération du 9 juin 2015, le conseil communautaire a supprimé cet emploi. M. B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler cette délibération et de condamner la communauté d'agglomération Cap Calaisis, aux droits de laquelle vient la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, à lui verser la somme de 452 207,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à raison de l'illégalité de cette décision, de l'irrégularité de sa situation administrative et de faits de harcèlement moral. Par un jugement du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la délibération attaquée et a rejeté les conclusions indemnitaires de M. B.... Ce dernier se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 12 décembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, après avoir annulé ce jugement dans la mesure où il lui faisait grief et statuant par évocation, a rejeté à son tour ses conclusions indemnitaires.
Sur les préjudices qui résulteraient de la délibération supprimant l'emploi de chargé de mission
2. La délibération du 9 juin 2015 a été annulée par le tribunal administratif de Lille, dont le jugement du 23 octobre 2018 est devenu définitif sur ce point, au motif que l'avis préalable du comité technique a été rendu dans des conditions irrégulières. Pour rejeter la demande de M. B... tendant à la réparation des conséquences dommageables de l'illégalité de cette délibération, la cour administrative d'appel a jugé que celle-ci n'était à l'origine d'aucun préjudice, dès lors que la délibération n'était illégale pour aucun autre motif que le vice de procédure et que dans ces conditions, le conseil communautaire aurait pu légalement prendre la même décision au terme d'une procédure régulière.
3. En premier lieu, les moyens de M. B... tirés de ce que la cour aurait commis des erreurs de droit et dénaturé les pièces du dossier en ne jugeant pas la délibération illégale faute de consultation préalable de la commission administrative paritaire et d'information suffisante du conseil communautaire ne sont pas de nature, à les supposer fondés, à remettre en cause l'appréciation selon laquelle la délibération n'est entachée que d'un vice de procédure. Ils sont par suite, en tout état de cause, inopérants à l'encontre du rejet des conclusions indemnitaires.
4. En deuxième lieu, c'est sans méconnaître les dispositions de l'article 97 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ni se contredire que la cour a jugé que si ces dispositions font obligation à la collectivité publique de rechercher des possibilités de reclassement dès qu'un emploi est susceptible d'être supprimé, la légalité de la décision portant suppression de l'emploi ne dépend pas du respect de cette obligation.
5. En dernier lieu, une collectivité territoriale peut légalement, quel que soit l'état de ses finances, procéder à une suppression d'emploi par mesure d'économie. La cour a relevé qu'il ressortait des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de la séance du conseil communautaire du 9 juin 2015 et d'un rapport de la chambre régionale des comptes, que la suppression d'emploi litigieuse procédait de la nécessité de maîtriser l'augmentation de la masse salariale ainsi que du choix, au regard des contraintes budgétaires, de confier les missions en cause à d'autres agents déjà en poste, et qu'en conséquence il n'était pas établi que la délibération contestée serait entachée d'un détournement de pouvoir et de procédure. Elle a également écarté, comme n'étant pas assorti d'éléments permettant d'en apprécier le bien-fondé, le moyen de M. B... invoquant une erreur d'appréciation sur ce point. En statuant ainsi, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
Sur le harcèlement moral et la situation administrative irrégulière
6. Si M. B... soutenait avoir été victime de harcèlement moral dès lors qu'il aurait été affecté à un emploi destiné à être supprimé à brève échéance et qu'il aurait fait l'objet de propos de responsables de la communauté portant atteinte à son honneur et à son avenir professionnels, la cour administrative d'appel de Douai n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant que ces allégations n'étaient pas suffisamment étayées pour permettre de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Elle n'a pas davantage dénaturé les pièces du dossier en ne regardant pas comme de nature à faire présumer cette existence, la circonstance que M. B... a été maintenu dans une situation administrative irrégulière du 22 avril 2013 au 1er décembre 2014, période pendant laquelle il exerçait les fonctions de directeur général adjoint sans être détaché dans l'emploi correspondant, mais en continuant de bénéficier de l'intégralité de la rémunération à laquelle il aurait eu droit à ce titre. Enfin, c'est sans donner aux faits de l'espèce une qualification inexacte que la cour n'a retenu comme étant de nature à caractériser des agissements de harcèlement moral, ni les conditions du retrait de l'arrêté renouvelant le détachement de M. B..., dès lors que ce retrait était motivé par les observations du contrôle de légalité sur la régularité du renouvellement, ni la suppression de l'emploi de chargé de mission, dès lors que celle-ci était justifiée par des considérations d'intérêt général ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ni la perte de primes subie par M. B... quand il a été maintenu en surnombre après cette suppression, dès lors que la communauté était légalement tenue de mettre fin au versement des primes en cause, comme l'a jugé la même cour dans son arrêt n° 18DA02607 du même jour devenu définitif.
7. En revanche, M. B... faisait valoir, dans le mémoire qu'il a présenté en réplique devant la cour administrative d'appel, qu'en le maintenant dans les fonctions de directeur général adjoint pendant près de dix-huit mois sans statuer sur la demande qu'il avait formée afin d'être à nouveau détaché dans cet emploi après le retrait de son renouvellement, la communauté d'agglomération avait manqué à l'obligation qu'elle avait de le placer dans une situation régulière et que cette faute était à l'origine d'un préjudice moral tenant à l'incertitude dans laquelle il est resté pendant une durée excessive. Ce chef de préjudice, qui se rattache à un fait générateur invoqué par M. B... dans sa réclamation préalable et reste dans la limite des prétentions indemnitaires chiffrées en première instance, est distinct de ceux sur lesquels la cour s'est prononcée. Par suite, en ne communiquant pas le mémoire en réplique et en ne répondant pas au moyen nouveau, qui n'était pas inopérant, soulevé par M. B..., elle a statué irrégulièrement.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'après évocation, il omet de se prononcer sur le préjudice moral résultant de la situation administrative irrégulière dans laquelle il a été maintenu.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la mesure de la cassation prononcée.
10. Il résulte de l'instruction qu'après le retrait, par arrêté du 22 avril 2013, de l'arrêté du 12 octobre 2012 du président de la communauté renouvelant le détachement de M. B... dans l'emploi de directeur général adjoint des services, au motif que les formalités de publicité préalable de vacance de l'emploi n'avaient pas été respectées, l'emploi a fait l'objet d'un avis de vacance auquel l'intéressé a donné suite en s'y portant candidat au mois de juin 2013, mais que ce dernier a continué d'exercer les fonctions correspondantes, sans qu'aucune décision ne soit prise sur cette candidature, jusqu'à ce qu'il soit informé, au plus tôt en septembre 2014, de l'intention de la communauté d'agglomération de ne pas le reconduire dans cet emploi. Si pendant cette période, la rémunération qui lui était servie avant l'expiration de son détachement lui a été maintenue, la communauté d'agglomération employant M. B... a commis, en laissant se prolonger l'incertitude sur sa situation administrative pendant une durée anormale, une faute à l'origine d'un préjudice moral, dont il sera fait une juste appréciation en condamnant la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers à verser à M. B... la somme de 3 000 euros.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme demandée au même titre par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 12 décembre 2019 est annulé en tant qu'après évocation, il a omis de se prononcer sur le préjudice moral résultant de la situation administrative irrégulière dans laquelle M. B... a été maintenu.
Article 2 : La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers est condamnée à verser à M. B... une somme de 3 000 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi et de la requête d'appel de M. B... est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.