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27/05/2021 | FRANCE | N°431998

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 27 mai 2021, 431998


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et cinq nouveaux mémoires, enregistrés les 25 juin 2019, 9 février, 24 février et 4 mars 2020, 27 janvier et 2 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B... D... demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics sur sa demande tendant à l'abrogation des dispositions du point 2.6 de l'instruction de la secrétaire

générale des ministères économiques et financiers du 19 décembre 2017 relative...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et cinq nouveaux mémoires, enregistrés les 25 juin 2019, 9 février, 24 février et 4 mars 2020, 27 janvier et 2 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B... D... demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics sur sa demande tendant à l'abrogation des dispositions du point 2.6 de l'instruction de la secrétaire générale des ministères économiques et financiers du 19 décembre 2017 relative au recrutement et à l'emploi d'agents contractuels dans les ministères économiques et financiers ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'action et des comptes publics d'abroger les dispositions attaquées dans un délai d'un mois et de lui communiquer la preuve de la pleine exécution de l'injonction sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

3°) de condamner l'État à l'indemniser du préjudice résultant de la fixation de sa rémunération à un niveau insuffisant, y compris la reconstitution des droits sociaux afférents et les intérêts de droit ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'action et des comptes publics de fixer sa rémunération à l'indice majoré 976, pour le cas où la décision du Conseil d'État interviendrait avant le terme de son second contrat ;

5°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros, assortie des intérêts, en réparation de son préjudice moral;

6°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 mai 2021, présentée par M D....

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... A..., auditrice,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Viaud, Krivine, avocat de M. D... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., recruté en qualité d'agent contractuel pour exercer les fonctions de chargé d'études juridiques au sein de la direction générale de l'administration et de la fonction publique, a demandé au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'action et des comptes publics d'abroger les dispositions du point 2.6 de l'instruction de la secrétaire générale des ministères économiques et financiers du 19 décembre 2017 relative au recrutement et à l'emploi d'agents contractuels dans les ministères économiques et financiers. Estimant que le niveau de sa rémunération, fixé par application des dispositions du point 2.6 de cette instruction, était insuffisant, il a par ailleurs saisi le ministre de l'action et des comptes publics d'une réclamation indemnitaire. Ses demandes ayant été rejetées, M. D... demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses conclusions, d'annuler pour excès de pouvoir la décision rejetant sa demande tendant à l'abrogation partielle de la circulaire du 19 décembre 2017 et de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice résultant du niveau insuffisant de sa rémunération ainsi que d'un préjudice moral.

Sur les conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir :

2. En premier lieu, les conclusions de M. D... tendent à l'annulation, non pas, comme le soutiennent les ministres défendeurs, des dispositions mêmes du point 2.6 de l'instruction du 19 décembre 2017, mais de leur décision implicite rejetant sa demande tendant à l'abrogation de ces dispositions, laquelle est née deux mois après la réception par l'administration, le 25 février 2019, de la demande de M. D.... Dès lors, la requête de M. D..., enregistrée le 25 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, n'est pas tardive.

3. L'autorité administrative compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date.

4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Pour les besoins de continuité du service, des agents contractuels peuvent être recrutés pour faire face à une vacance temporaire d'emploi dans l'attente du recrutement d'un fonctionnaire. (...) ". Et aux termes du premier alinéa de l'article 1-3 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État pris pour l'application des articles 7 et 7 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le montant de la rémunération est fixé par l'autorité administrative, en prenant en compte, notamment, les fonctions occupées, la qualification requise pour leur exercice, la qualification détenue par l'agent ainsi que son expérience.". Ces dernières dispositions s'appliquent à l'ensemble des agents contractuels relevant de ce décret, quel que soit le fondement du recrutement. Il résulte de leurs termes mêmes que la rémunération des agents contractuels doit être déterminée par l'autorité administrative dans tous les cas en prenant en compte, notamment, les fonctions occupées par l'agent contractuel, la qualification requise pour leur exercice, la qualification détenue par l'agent et son expérience.

5. Le chapitre 2 de l'instruction du 19 décembre 2017 comporte des dispositions relatives à la fixation de la rémunération des agents contractuels des ministères économiques et financiers. Son point 2.2 renvoie, pour la détermination de la rémunération lors du recrutement, à une grille indiciaire fixée par l'annexe 2, sauf en ce qui concerne les agents relevant des paragraphes 2.4 et 2.6. Son point 2.3 dispose que le montant de la rémunération est fixé en prenant en compte, notamment, " - les fonctions occupées, la qualification requise pour leur exercice ; les diplômes et qualifications détenus par l'agent et reconnus comme équivalents, par référence à la classification des diplômes présentée à l'annexe 3, dès lors qu'ils sont en rapport avec les fonctions exercées ; l'expérience professionnelle acquise ", et précise les modalités de prise en compte de l'expérience professionnelle. Son point 2.4 prévoit qu'une majoration peut être accordée lorsque le recrutement nécessite un profil de haut niveau et une compétence spécifique ou à pourvoir un emploi situé outre-mer. Son point 2.5 prévoit que la rémunération des agents contractuels de catégorie A est composée d'une part fixe, et le cas échéant d'une part variable versée annuellement. Enfin, son point 2.6 fixe des dispositions particulières pour la détermination de la rémunération des agents contractuels recrutés sur le fondement de l'article 6 quinquies de la loi du 11 janvier 1984 pour faire face à une vacance temporaire d'emploi. Il prévoit que par dérogation aux autres dispositions du point 2, la rémunération de ces agents est exclusivement déterminée en fonction de la catégorie de l'emploi sur lequel ils sont recrutés, et que c'est seulement " à titre dérogatoire et si la technicité attendue le justifie " que l'application des autres dispositions du point 2 pourra être envisagée dans le cadre d'une " étude de rémunération ". Le niveau de la rémunération est ainsi fixé à l'indice majoré 527 pour les emplois de catégorie A, à l'indice 417 pour les emplois de catégorie B et à l'indice 321 pour les emplois de catégorie C.

6. En prévoyant que la rémunération des agents contractuels recrutés par les ministères économiques et financiers pour vacance temporaire d'emploi est en principe uniquement déterminée en fonction de la catégorie d'emploi occupée par l'agent, sans prendre en compte les fonctions occupées, la qualification requise pour leur exercice, la qualification détenue par l'agent et son expérience, les dispositions litigieuses méconnaissent les dispositions précitées de l'article 1-3 du décret du 17 janvier 1986 et sont entachées d'illégalité. Par suite, le refus de les abroger est lui-même illégal et M. D... est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen qu'il soulève, à demander l'annulation de la décision refusant de procéder à cette abrogation.

Sur les conclusions indemnitaires :

7. Il résulte de l'instruction que M. D... a été recruté par contrat pour exercer les fonctions de chargé d'études juridiques, relevant de la catégorie A, au sein de la direction générale de l'administration et de la fonction publique, du 1er juin 2018 au 30 novembre 2018 puis du 14 janvier 2019 au 31 août 2019. Sa rémunération a été fixée, pour chacune de ces périodes, à l'indice majoré 527, par application des dispositions du point 2.6 de l'instruction du 19 décembre 2017. M. D... soutient que sa rémunération aurait dû être fixée, pour son premier contrat, à l'indice majoré 912, et pour son second contrat, à l'indice majoré 976, compte tenu de ses activités professionnelles antérieures, de son diplôme et de sa manière de servir dans son précédent emploi.

8. D'une part, si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, elle ne saurait donner lieu à réparation si la même décision aurait pu légalement être prise. En l'espèce, il résulte de l'instruction que si M. D... est titulaire d'un doctorat en droit et avait précédemment occupé des fonctions de catégorie A, il ne justifiait que de six mois d'expérience professionnelle en tant que chargé d'études juridiques préalablement à la conclusion de son premier contrat. Par suite, l'administration aurait pu légalement fixer sa rémunération à l'indice 527. Il en résulte que le préjudice que M. D... allègue avoir subi du fait de la fixation de sa rémunération en application du point 2.6 de l'instruction en litige ne peut être regardé comme la conséquence de l'illégalité dont ses dispositions sont entachées et qu'il n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat à ce titre. D'autre part, le préjudice moral allégué tenant à l'illégalité des dispositions du point 2.6 de l'instruction du 19 décembre 2017 ne peut être tenu pour établi.

9. Il résulte de ce qui est dit au point 8 que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics, les conclusions indemnitaires de M. D... doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Et aux termes de l'article 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".

11. L'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ont refusé d'abroger les dispositions du point 2.6 de l'instruction du 17 décembre 2019 implique nécessairement l'abrogation de ces dispositions réglementaires. Il y a lieu pour le Conseil d'État d'ordonner cette mesure assortie d'un délai d'exécution d'un mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte.

12. En second lieu, le second contrat de M. D... étant arrivé à terme à la date de la présente décision, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'action et des comptes publics de fixer sa rémunération à l'indice 976 sont devenues sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.

Sur les frais de l'instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du ministre de l'économie, des finances et de la relance le versement d'une somme de 1 560 euros à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La décision implicite par laquelle le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ont refusé d'abroger les dispositions du point 2.6 de l'instruction du 17 décembre 2019 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la ministre de la transformation et de la fonction publiques de procéder, conformément aux motifs de la présente décision, à l'abrogation de ces dispositions dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : Le ministre de l'économie, des finances et de la relance versera à M. D... une somme de 1 560 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... D..., au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Copie en sera adressée à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 431998
Date de la décision : 27/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mai. 2021, n° 431998
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Thalia Breton
Rapporteur public ?: M. Frédéric Dieu
Avocat(s) : SCP KRIVINE, VIAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:431998.20210527
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