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17/05/2021 | FRANCE | N°448329

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 17 mai 2021, 448329


Vu la procédure suivante :

M. H... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux de la commune de Pont-Audemer (Eure).

Par un jugement n° 2001044 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa protestation.

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 janvier et 4 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jug

ement ;

2°) d'annuler les opérations électorales ;

3°) de mettre solidairement à la ch...

Vu la procédure suivante :

M. H... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux de la commune de Pont-Audemer (Eure).

Par un jugement n° 2001044 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa protestation.

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 janvier et 4 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les opérations électorales ;

3°) de mettre solidairement à la charge des défendeurs la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. C... ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 à Pont Audemer, commune de plus de 9 000 habitants, les 35 sièges de conseillers municipaux et 19 sièges de conseillers communautaires ont été pourvus. 29 sièges de conseillers municipaux et 16 sièges de conseillers communautaires ont été attribués à des candidats de la liste " Vivre ensemble Pont-Audemer " conduite par M. D..., qui a obtenu 59,94 % des suffrages exprimés, 4 sièges de conseillers municipaux et 2 sièges de conseillers communautaires ont été attribués à des candidats de la liste " Pont-Audemer, un avenir autrement ", conduite par Mme A..., qui a obtenu 20,84 % des suffrages exprimés et 2 sièges de conseillers municipaux et un siège de conseiller communautaire ont été attribués à des candidats de la liste " Vous rendre Pont-Audemer ", conduite par M. F..., qui a obtenu 15,36 % des suffrages exprimés. M. C..., dont la liste a fait l'objet d'un refus d'enregistrement de sa candidature, fait appel du jugement du 1er décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa protestation tendant à l'annulation de ces opérations électorales.

Sur le refus d'enregistrement de la liste présentée par M. C... :

2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 228 du code électoral : " Nul ne peut être élu conseiller municipal s'il n'est âgé de dix-huit ans révolus. / Sont éligibles au conseil municipal tous les électeurs de la commune et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes ou justifiant qu'ils devaient y être inscrits au 1er janvier de l'année de l'élection ". Aux termes de l'article L. 265 du même code : " La déclaration de candidature résulte du dépôt à la préfecture ou à la sous-préfecture d'une liste (...). Il en est délivré récépissé. / Elle est faite collectivement pour chaque liste par la personne ayant la qualité de responsable de liste. (...) / Le dépôt de la liste doit être assorti, pour le premier tour, de l'ensemble des mandats des candidats qui y figurent ainsi que des documents officiels qui justifient qu'ils satisfont aux conditions posées par les deux premiers alinéas de l'article L. 228. / (...) Récépissé ne peut être délivré que si les conditions énumérées au présent article sont remplies et si les documents officiels visés au cinquième alinéa établissent que les candidats satisfont aux conditions d'éligibilité posées par les deux premiers alinéas de l'article L. 228. (...) ". L'article R. 128 du même code dispose : " A la déclaration de candidature en vue du premier tour, il est joint, pour chaque candidat visé à l'article L. 265 : / 1° Si le candidat est électeur dans la commune où il se présente, une attestation d'inscription sur la liste électorale de cette commune (...) ; / 2° Si le candidat est électeur dans une autre commune que celle où il se présente, une attestation d'inscription sur la liste électorale de cette commune (...) / Dans les cas prévus au 2° et au 3° ci-dessus, le candidat doit en outre fournir : / a) Soit un avis d'imposition ou un extrait de rôle qui établissent que l'intéressé est inscrit au rôle des contributions directes de la commune où il se présente au 1er janvier de l'année de l'élection ; / b) Soit une copie d'un acte notarié établissant que l'intéressé est devenu dans l'année précédant celle de l'élection propriétaire ou locataire d'un immeuble dans cette commune, ou d'un acte sous seing privé enregistré au cours de la même année établissant qu'il est devenu locataire d'un immeuble dans cette commune ; / c) Soit une attestation du directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques établissant que l'intéressé, au vu notamment des rôles de l'année précédant celle de l'élection et des éléments que celui-ci produit, et sous réserve d'une modification de sa situation dont l'autorité compétente n'aurait pas eu connaissance, justifie qu'il devait être inscrit au rôle des contributions directes dans la commune où il se présente à la date du 1er janvier de l'année de l'élection. (...) ". Aux terme de l'article L. 267 de ce même code : " Les déclarations de candidatures doivent être déposées au plus tard : / - pour le premier tour, le troisième jeudi qui précède le jour du scrutin, à dix-huit heures ; / (...) ".

3. L'existence du recours spécial prévu par les deux derniers alinéas de l'article L. 265 du code électoral contre la décision préfectorale refusant la délivrance d'un récépissé de déclaration de candidature d'une liste ne fait pas obstacle à ce qu'un grief tiré de l'irrégularité de ce refus soit soulevé à l'occasion d'une protestation dirigée contre les opérations électorales, alors même que ce recours spécial a été effectivement exercé et rejeté, quel que soit le motif de ce rejet.

4. Il résulte de l'instruction que le préfet de l'Eure a refusé, le 27 février 2020, de délivrer à M. C..., en vue du premier tour des élections municipales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 à Pont-Audemer, le récépissé de déclaration de candidature de la liste dont il était responsable, au motif que le dépôt de cette liste n'était pas accompagné, pour plusieurs des candidats y figurant, de documents de nature à justifier leur inscription au rôle des contributions directes de la commune au 1er janvier 2020. Le tribunal administratif de Rouen a rejeté, par un jugement du 2 mars 2020, le recours formé par M. C... contre cette décision. Si certains de ces documents, notamment des attestations du directeur des services fiscaux concernant la situation de certains de ces candidats, ont été produits devant le tribunal administratif à l'occasion de ce recours et dans le cadre de la présente instance, la production, postérieurement à l'expiration du délai prévu par l'article L. 267 du code électoral pour les déclarations de candidatures, de ces documents nécessaires à la délivrance du récépissé en vertu des dispositions combinées des articles L. 265 et R. 128 du code électoral, était en tout état de cause tardive. Le préfet de l'Eure était ainsi tenu de refuser de délivrer à M. C... le récépissé prévu par l'article L. 265 du code électoral. Par suite, le grief tiré de ce que le préfet aurait à tort refusé de délivrer le récépissé en cause doit être écarté.

Sur les effets de la crise sanitaire sur la sincérité du scrutin :

5. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Dans ce contexte, le Premier ministre a adressé à l'ensemble des maires le 7 mars 2020 une lettre présentant les mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections municipales et communautaires prévues les 15 et 22 mars 2020. Ces mesures ont été précisées par une circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 relative à l'organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d'épidémie de coronavirus covid-19, formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, et par une instruction de ce ministre, du même jour, destinée à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration. Après consultation par le Gouvernement du conseil scientifique mis en place pour lui donner les informations scientifiques utiles à l'adoption des mesures nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, les 12 et 14 mars 2020, le premier tour des élections municipales a eu lieu comme prévu le 15 mars 2020. A l'issue du scrutin, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 communes ou secteurs. Le taux d'abstention a atteint 55,34 % des inscrits, contre 36,45 % au premier tour des élections municipales de 2014.

6. Au vu de la situation sanitaire, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a reporté le second tour des élections, initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020 et prévu que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges et ne font ainsi pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.

7. Aux termes de l'article L. 262 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour. (...) ". Aux termes de l'article L. 273-8 du code électoral : " Les sièges de conseiller communautaire sont répartis entre les listes par application aux suffrages exprimés lors de cette élection des règles prévues à l'article L. 262. (...) ".

8. Ni par ces dispositions ni par celles de la loi du 23 mars 2020 le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal et au conseil communautaire à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.

9. En l'espèce, M. C... fait seulement valoir que le taux d'abstention s'est élevé à 62,93 % dans la commune, soit un pourcentage très supérieur aux précédentes élections, sans invoquer aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constatée ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa protestation.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. D... et autres qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. H... C..., à M. E... D..., à Mme G... A..., à M. B... F... au ministre de l'intérieur et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 448329
Date de la décision : 17/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 mai. 2021, n° 448329
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:448329.20210517
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