Vu la procédure suivante :
M. AI... AC..., M. A... W..., M. J... H..., M. AG... S..., M. Q... Y..., M. I... Z..., M. U... AA..., M. R... AF..., M. D... N... et M. A...-AL... V... ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de l'élection des conseillers municipaux de la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer et de prononcer l'inéligibilité des candidats élus.
Par un jugement n° 2001368 du 21 septembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur protestation.
Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 20 octobre, 22 décembre 2020 et 11 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. AC... et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer l'inéligibilité des candidats élus ;
3°) de mettre à la charge de M. K..., de M. AE..., de M. E..., de M. AD..., de M. O..., de Mme T..., de M. AJ..., de M. F..., de M. X..., de Mme G..., épouse AE..., de Mme P..., de Mme AK... épouse C..., de Mme L..., de Mme AB..., et de Mme M..., épouse AH..., la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la décision n° 2020-849 du Conseil constitutionnel du 17 juin 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Juliana Nahra, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. O..., M. K..., M. AE..., M. E..., M. AD..., Mme B..., M. AJ..., M. F...-AM..., M. X..., Mme G..., Mme P..., Mme C..., Mme L..., Mme AB... et Mme AH... ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue du premier tour des élections municipales, qui s'est déroulé le 15 mars 2020 dans la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer (Var), les 15 membres de la liste " Continuons ensemble ", menée par M. O..., maire sortant, ont obtenu la majorité absolue des suffrages, fixée à 345 voix, avec un nombre de voix compris entre 349 et 385 voix, tandis que ceux de la liste " Le village réuni ", menée par M. Z..., n'ont pas été élus. M. AC... et autres relèvent appel du jugement du 21 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur protestation tendant à l'annulation des opérations électorales et à ce que soit prononcée l'inéligibilité des candidats élus.
Sur les conclusions à fins d'annulation des opérations électorales :
En ce qui concerne les moyens relatifs à l'établissement des listes électorales :
2. Aux termes de l'article L. 11 du code électoral : " Sont inscrits sur la liste électorale, sur leur demande : 1° Tous les électeurs qui ont leur domicile réel dans la commune ou y habitent depuis six mois au moins et leurs enfants de moins de 26 ans ; 2° Ceux qui figurent pour la deuxième fois sans interruption, l'année de la demande d'inscription, au rôle d'une des contributions directes communales et, s'ils ne résident pas dans la commune, ont déclaré vouloir y exercer leurs droits électoraux. Tout électeur ou toute électrice peut être inscrit sur la même liste que son conjoint au titre de la présente disposition ; 2° bis Ceux qui, sans figurer au rôle d'une des contributions directes communales, ont, pour la deuxième fois sans interruption l'année de la demande d'inscription, la qualité de gérant ou d'associé majoritaire ou unique d'une société figurant au rôle, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat ; 3° Ceux qui sont assujettis à une résidence obligatoire dans la commune en qualité de fonctionnaires. (...) ". Aux termes de l'article L.O. 227-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne résidant en France, autres que les citoyens français, peuvent participer à l'élection des conseillers municipaux dans les mêmes conditions que les électeurs français, sous réserve des dispositions de la présente section. Les personnes mentionnées au premier alinéa sont considérées comme résidant en France si elles y ont leur domicile réel ou si leur résidence y a un caractère continu ". S'il n'appartient pas au juge de l'élection d'apprécier si un électeur inscrit sur les listes électorales remplit effectivement la condition de domicile exigée par l'article L. 11 du code électoral, il lui incombe en revanche de rechercher si des manoeuvres dans l'établissement de la liste électorale ont altéré la sincérité du scrutin.
3. En premier lieu, les appelants soutiennent que 17 électeurs de nationalité française ont été inscrits irrégulièrement sur les listes électorales de la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer, en violation des dispositions de l'article L. 11 du code électoral. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, en tout état de cause, que ces inscriptions seraient constitutives d'une manoeuvre.
4. En deuxième lieu, les appelants soutiennent que 22 ressortissants de l'Union européenne ont été inscrits à tort sur les listes électorales complémentaires. Toutefois, il résulte de l'instruction, d'une part, que par un jugement devenu définitif du 5 mars 2020, le tribunal de proximité de Fréjus a rejeté la demande de radiation de ces ressortissants et, d'autre part, qu'aucune incitation de ces derniers à s'inscrire sur ces listes susceptibles d'être regardée comme une manoeuvre de la part des membres de la liste élue n'est établie. L'existence d'une manoeuvre n'est pas davantage établie par la circonstance que la part de ressortissants européens inscrits sur les listes électorales de la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer représente 6,97 % des inscrits contre 3 % en moyenne dans le golfe de Saint-Tropez, ou par l'établissement de procurations par certains de ces ressortissants.
5. En troisième lieu, si les appelants soutiennent que des habitants de la commune ont fait l'objet, à tort, d'une procédure de radiation, d'une part il résulte de l'instruction que la seule procédure de radiation dont ils se prévalent n'a pas abouti, d'autre part, en tout état de cause, il n'appartient pas au juge de l'élection d'apprécier la régularité des radiations des listes électorales, en l'absence de manoeuvre, qui ne ressort pas, en l'espèce, de l'instruction.
6. En dernier lieu, la circonstance que 131 inscriptions d'électeurs sur la liste générale sont intervenues entre le 1er janvier et le 7 février 2020, dont 42 entre le 2 et le 7 février et que certains électeurs dont l'inscription est contestée ont voté par procuration n'est pas de nature, par elle-même, à démontrer l'existence de manoeuvres de nature à altérer la sincérité du scrutin.
En ce qui concerne les moyens relatifs aux irrégularités ayant affecté le déroulement de la campagne électorale :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 52-8 du code électoral : " (...) Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ". Aux termes de l'article L. 52-1 du même code : " (...) A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre ".
8. D'une part, il résulte de l'instruction que les festivités célébrant le soixante-dixième anniversaire de la commune, qui se sont déroulées du 11 au 13 octobre 2019, ont été organisées par le comité officiel des fêtes au moyen d'une subvention importante de la commune et que leur coût net a représenté le triple des dépenses du soixantième anniversaire et le double du budget du comité des fêtes des années précédentes, les prestations proposées aux invités, offertes en grande majorité gratuitement par la commune, ayant consisté en un apéritif, une exposition, une soirée dansante, une journée des associations, l'inauguration d'une avenue et d'une fresque, une visite découverte " belles demeures " et un déjeuner festif dans les jardins de la mairie. Toutefois, si cette célébration a revêtu une envergure particulière, il ne résulte pas de l'instruction que ces festivités, tenues cinq mois avant les élections et annoncées au public en termes neutres, ont été l'occasion de promouvoir des réalisations ou la gestion de la commune, ni que des propos à caractère électoral auraient été tenus par l'équipe municipale sortante à l'occasion de ces manifestations. En conséquence, ces festivités ne sauraient être regardées comme une campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion de la commune, et les dépenses exposées à cet effet ne sauraient être regardées comme constituant une participation de la commune à la campagne électorale du maire sortant.
9. D'autre part, il résulte de l'instruction que ce sont les membres de la liste " Continuons ensemble " qui ont acquis auprès de la commune six bouteilles de la cuvée du 70ème anniversaire de la commune, au prix unitaire de 9 euros, et commandé des autocollants, d'une valeur unitaire de 25 centimes d'euros, afin de les distribuer aux participants d'un " moment festif ", organisé par cette liste le 13 mars 2020, de 18 heures à 20 heures, à destination d'un nombre restreint de proches et de soutiens des colistiers. Dans ces conditions, cette distribution ne saurait être regardée comme constitutive d'un financement de la campagne électorale d'un candidat par une personne morale, ni comme une irrégularité constitutive d'une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin. De même, il résulte de l'instruction que la salle utilisée à l'occasion de ce " moment festif " n'a pas, contrairement à ce que soutiennent les protestataires, été mise gratuitement à disposition des organisateurs, puisqu'elle a été louée au prix de 75 euros auprès de la SARL du Soleil, et que le local de campagne de la liste élue a été loué auprès de la SCI Cote des Maures au prix de 1 150 euros pour l'ensemble de la période du 15 janvier au 22 mars 2020. Ainsi, la mise à disposition de ces locaux, à un tarif ne constituant pas une libéralité, ne peut être regardée comme constituant la participation d'une personne morale au financement de la campagne d'un candidat.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ". Aux termes de l'article L. 49 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ".
11. Il résulte de l'instruction que le 14 mars 2020, veille du scrutin, une candidate de la liste " Continuons ensemble " a adressé un courriel à un couple d'électeurs comportant une lettre ouverte par laquelle les candidats de la liste répondaient à des propos tenus par la tête de liste adverse lors d'une réunion tenue le 28 février 2020. Toutefois, il n'est pas établi que ce courriel et la pièce jointe qu'il contenait, qui consistaient au demeurant en une réponse aux points évoqués lors de la réunion de la liste adverse et n'apportaient ainsi pas d'élément nouveau de polémique électorale, aient été diffusés à d'autres électeurs que les deux destinataires du courriel produit. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que cette communication ait eu une quelconque incidence sur la sincérité du scrutin.
12. En troisième lieu, d'une part, il résulte de l'instruction que par une communication effectuée sur le site internet de la commune et sa page Facebook, cette dernière a informé la population qu'elle avait fait appel d'un jugement qui lui était défavorable et a communiqué le mémoire en défense produit, en son nom, par son conseil. Cette communication, qui est rédigée sur un ton neutre et qui est dépourvue de toute mention relative à la campagne électorale, ne peut être regardée comme constitutive d'une intervention de l'autorité municipale dans la campagne électorale tendant à favoriser un candidat ou une liste de candidats. D'autre part, si les appelants font valoir qu'une lettre mettant en cause leur liste et portant l'en-tête de la commune a été adressée à l'ensemble des habitants, il résulte toutefois de l'instruction que par ce communiqué, daté du 9 décembre 2019, et émanant du conseil municipal, ce dernier s'est borné à répondre de façon ouverte à une lettre, elle aussi ouverte, adressée le 4 décembre 2019 " aux conseillers municipaux " par M. Z..., tête de la liste " Le village réuni ", sans que cette réponse puisse être regardée comme l'utilisation de moyens de la mairie à des fins de propagande électorale.
13. En dernier lieu, si les appelants font valoir que des membres de la liste adverse auraient utilisé un fichier, détenu par la commune, recensant les courriels des habitants afin de leur adresser, sans leur consentement, des documents de propagande électorale, les attestations de deux électeurs qu'ils produisent ne suffisent pas à établir le bien-fondé de leur grief, ni que les adresses de courriel auraient été obtenues irrégulièrement à partir d'un fichier municipal.
En ce qui concerne les conditions de déroulement de la campagne et des opérations électorales :
14. Si les appelants font valoir que le contexte sanitaire sur le territoire français a empêché des électeurs de se rendre aux urnes et a entaché d'insincérité le scrutin, ils ne font valoir aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constaté le 15 mars 2020, au demeurant, avec 25,79 % des inscrits, à peine supérieur à celui de 21,01% constaté lors des précédentes élections municipales, ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. AC... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande d'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux de la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 118-4 du code électoral :
16. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 118-4 du code électoral : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manoeuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin (...) ". Ainsi qu'il a été dit, il ne résulte pas de l'instruction que soient établies des manoeuvres frauduleuses imputables au maire sortant ou aux candidats de la liste qu'il conduisait. Dès lors, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à ce que les candidats élus de la liste " Continuons ensemble " soient déclarés inéligibles.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. O... et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. AC... et autres sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. AC... et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. O... et autres sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. AC..., premier requérant dénommé, à M. A... O..., premier défendeur dénommé, et au ministre de l'intérieur.