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05/03/2021 | FRANCE | N°445772

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 05 mars 2021, 445772


Vu la procédure suivante :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaire dans la commune de Croissy-Beaubourg (Seine-et-Marne).

Par un jugement n° 2002775 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Melun a annulé ces opérations électorales ainsi que l'élection de M. C... B... au conseil communautaire de la communauté d'agglomération de Paris - Vallée de la Marne.

Par une requête et un mémoire en répliq

ue, enregistrés les 28 octobre et 18 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du...

Vu la procédure suivante :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaire dans la commune de Croissy-Beaubourg (Seine-et-Marne).

Par un jugement n° 2002775 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Melun a annulé ces opérations électorales ainsi que l'élection de M. C... B... au conseil communautaire de la communauté d'agglomération de Paris - Vallée de la Marne.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 octobre et 18 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune de Croissy-Beaubourg (Seine-et-Marne), commune de plus de 1 000 habitants, les dix-neuf sièges de conseillers municipaux et le siège de conseiller communautaire ont été pourvus. Quinze des sièges de conseillers municipaux et le siège de conseiller communautaire ont été attribués à des candidats de la liste " Avec Michel B..., pour notre village authentique " conduite par M. B..., maire sortant, qui a obtenu 51,32 % des suffrages exprimés, tandis que les quatre autres sièges de conseillers municipaux ont été attribués à des candidats de la liste " Ensemble pour Croissy-Beaubourg ", conduite par M. A..., qui a obtenu 48,67 % des suffrages exprimés. M. B... fait appel du jugement du 29 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé ces opérations électorales.

2. Aux termes de l'article L. 52-1 du code électoral : " (...) A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus (...) ". Aux termes de l'article L. 52-8 du code électoral : " (...) Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués (...) ".

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la traditionnelle cérémonie des voeux, qui a eu lieu le 15 janvier 2020, se tenait pour la deuxième année consécutive dans la nouvelle salle de spectacle de Croissy-Beaubourg, inaugurée en janvier 2019, que des artistes avaient déjà été invités à se produire lors de précédentes cérémonies des voeux et que le coût de cette cérémonie pour la commune a été comparable à celui de l'année précédente et, eu égard à l'augmentation des capacités de la salle, à celui des années antérieures. Par suite, cette cérémonie ne peut être regardée comme ayant revêtu une ampleur particulière, tant par les moyens déployés par la commune que par la présence d'artistes invités. Il résulte également de l'instruction que lors de leurs différentes prises de parole dans le cadre de cette manifestation, les intervenants, dont le maire sortant, M. B..., se sont bornés à exposer les réalisations de l'équipe municipale au cours de l'année précédente ou les enjeux futurs, sans les valoriser dans des termes relevant de la propagande électorale. Cette cérémonie ne peut dès lors, en tout état de cause, être regardée comme ayant constitué une campagne de promotion publicitaire prohibée par les dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral et de nature à rompre l'égalité des moyens de propagande entre les candidats.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le courrier daté du 19 février 2020 adressé aux seuls habitants d'une résidence de Croissy Beaubourg était relatif aux problèmes de stationnement autour de cette résidence, sur lesquels leur avis était sollicité, et ne comportait pas d'éléments de polémique électorale. Ce courrier signé par M. B..., en sa qualité de maire, et par son adjoint en charge des services techniques ne constitue donc pas, dans les circonstances de l'espèce, une manoeuvre susceptible d'avoir exercé une influence sur le résultat du scrutin.

5. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les photographies utilisées par la commune et reprises par M. B... pour illustrer ses documents de campagne aient été soumises à des droits de reproduction dont la commune aurait supporté la charge. Il n'est pas établi non plus qu'au-delà d'échanges ponctuels avec ses colistiers, M B... ait utilisé le téléphone mis à sa disposition en qualité de maire pour mener sa campagne. M. B... ne peut dès lors être regardé comme ayant bénéficié, à ce titre, de la part de la commune de Croissy-Beaubourg et pour le financement de sa campagne électorale, d'un don ou d'un avantage prohibé par les dispositions précitées de l'article L. 52-8 du code électoral.

6. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun s'est fondé sur ces motifs pour annuler les opérations électorales organisées pour le premier tour des élections municipales et communautaires de la commune de Croissy-Beaubourg.

7. Il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres griefs soulevés par M. A... dans sa protestation devant le tribunal.

Sur l'utilisation des moyens de la commune :

8. Il n'est pas établi que le maire ait utilisé le cadre de cérémonies organisées par la commune, telles que le repas des personnes âgées au mois de décembre 2019, pour exposer son programme électoral ou développer une polémique électorale, ni qu'il ait pu bénéficier, pour mener sa campagne, de l'utilisation de locaux de la commune de nature à constituer un avantage.

9. Il ne résulte pas non plus de l'instruction que le compte de la commune sur le réseau social Facebook puisse être regardé comme ayant été utilisé pour soutenir la liste conduite par M. B..., ni que la dénomination du compte " Twitter " de la liste de M. B... aurait été de nature à induire les électeurs en erreur.

Sur le déroulement de la campagne électorale :

10. Aux termes de l'article L. 51 du code électoral, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. / Dans chacun de ces emplacements, une surface égale est attribuée à chaque candidat, chaque binôme de candidats ou à chaque liste de candidats (...) ". Il n'est pas contesté que la commune a attribué à chaque liste des emplacements d'une surface identique pour l'apposition des affiches électorales, dans le respect des dispositions du code électoral. La circonstance que deux panneaux aient été mis à la disposition de chaque liste dans chacun des emplacements ne saurait être regardée comme une irrégularité.

11. Il ne résulte pas de l'instruction que les propos tenus par M. B... ou ses colistiers dans une vidéo, dans des messages ou des documents diffusés ou mis en ligne sur des réseaux sociaux aient dépassé le cadre de la polémique électorale et soient de nature à être regardés comme constitutifs d'une manoeuvre.

12. Contrairement à ce que soutient M. A..., les dispositions des articles L. 2121-25 et R. 2121-11 du code général des collectivités territoriales n'imposaient pas de retranscrire dans le compte rendu de la séance du conseil municipal de Croissy-Beaubourg du 25 février 2020, affiché et mis en ligne sur le site internet de la commune, l'intégralité des interventions lors de cette séance. Par suite et en tout état de cause, une telle circonstance ne saurait constituer une irrégularité.

13. Aux termes de l'article L. 49 du code électoral dans sa rédaction alors applicable : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. / A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ". S'il résulte de l'instruction que des messages de soutien ont été postés par une internaute sur la page Facebook de la liste de M. B..., dans la nuit du 13 au 14 mars, en méconnaissance de ces dispositions, cette irrégularité, dont l'ampleur est au demeurant restée limitée, n'a, eu égard au contenu de ces messages qui n'apportait aucun élément nouveau au débat électoral, pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Sur le déroulement du scrutin :

14. Si M. A... soutient que le maire sortant a poursuivi sa campagne électorale dans les bureaux de vote le jour du scrutin, les attestations qu'il produit ou mentionne à l'appui de cette allégation, qui se bornent à faire état de la présence de M. B... et de discussions qu'il aurait eues avec des électeurs, sans autre précision, ne suffisent pas à établir la réalité de cette allégation.

15. Aucun élément n'est apporté à l'appui du grief tiré de ce que les conditions d'accueil des électeurs dans les bureaux de vote de la commune, qui n'auraient pas été conformes aux préconisations de la circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, auraient été de nature à dissuader les électeurs de venir voter. Il résulte au demeurant de l'instruction que dans la commune de Croissy-Beaubourg, le taux de participation a été de 61,99 %, taux supérieur de 6,17 % à celui des élections de 2014 et très largement supérieur au taux national observé lors des élections de 2020, qui a été de 44,66 %. Ce grief ne peut, par suite, qu'être écarté.

16. Il n'appartient pas au juge de l'élection d'apprécier si un électeur inscrit sur les listes électorales remplit effectivement la condition de domicile exigée par l'article L. 11 du code électoral, mais seulement de rechercher si des manoeuvres dans l'établissement de la liste électorale ont altéré la sincérité du scrutin. La seule circonstance que deux électeurs n'aient pas été radiés des listes électorales, pour autant qu'elle soit avérée, ne peut à elle seule être regardée comme constitutive d'une manoeuvre dans l'établissement des listes électorales de nature à altérer la sincérité du scrutin.

17. Aux termes de l'article R. 66-2 du code électoral, dans sa rédaction alors applicable : " Sont nuls et n'entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement : (...) / 2° Les bulletins établis au nom d'un candidat, d'un binôme de candidats ou d'une liste dont la candidature n'a pas été enregistrée ; / 3° Sous réserve de l'article R. 30-1 les bulletins comportant un ou plusieurs noms autres que celui du ou des candidats ou de leurs remplaçants éventuels ; (...) ". Il résulte de l'instruction que, dans la retranscription faite par les services de la préfecture des déclarations de candidature, le nom d'un candidat a été mal orthographié. Cette erreur, dont il n'est pas établi, ni même allégué qu'elle affecterait d'autres documents que ceux issus de la ressaisie des listes de candidatures réalisée par les services de la préfecture, ne peut être regardée comme ayant été de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin et n'était pas de nature à conduire à déclarer nuls les bulletins de la liste concernée.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé les opérations électorales qui se sont tenues le 15 mars 2020 pour le premier tour des élections municipales et communautaires de la commune de Croissy-Beaubourg.

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du 29 septembre 2020 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : Les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaire de la commune de Croissy-Beaubourg sont validées.

Article 3 : La protestation de M. A... devant le tribunal administratif de Melun et ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. C... B..., à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 445772
Date de la décision : 05/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mar. 2021, n° 445772
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:445772.20210305
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