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28/01/2021 | FRANCE | N°436166

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 28 janvier 2021, 436166


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 436166, par une requête, enregistrée le 22 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 octobre 2019 relatif aux redevances aéroportuaires et modifiant le code de l'aviation civile ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre dans un délai de six mois à compter de la décision d'annulation et en ce qui concerne les aéroports entrant dans le champ d'application

de la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 des dispositions règlementaires, compa...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 436166, par une requête, enregistrée le 22 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 octobre 2019 relatif aux redevances aéroportuaires et modifiant le code de l'aviation civile ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre dans un délai de six mois à compter de la décision d'annulation et en ce qui concerne les aéroports entrant dans le champ d'application de la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 des dispositions règlementaires, compatibles avec celle-ci, prévoyant la consultation des usagers des aéroports sur les décisions ayant pour objet de délimiter le périmètre régulé et la fixation des règles d'allocation des actifs, produits et charges à ce périmètre, l'intervention d'une autorité de supervision indépendante sur les mêmes décisions, la fixation d'un délai de quatre mois, susceptible de prolongation, pour l'examen par cette autorité de toute question relative aux redevances et la possibilité pour cette autorité d'intervenir à l'égard des décisions tarifaires pour chaque période tarifaire ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au Premier ministre d'adopter dans un délai de six mois, un nouveau décret compatible avec la directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 436517, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 décembre 2019, 5 mars et 20 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre syndicale du transport aérien (CSTA) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 octobre 2019 relatif aux redevances aéroportuaires et modifiant le code de l'aviation civile ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 438178, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 février et 14 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ryanair demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 octobre 2019 relatif aux redevances aéroportuaires et modifiant le code de l'aviation civile ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre dans un délai de six mois à compter de la décision d'annulation et en ce qui concerne les aéroports entrant dans le champ d'application de la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 des dispositions règlementaires, compatibles avec celle-ci, prévoyant la consultation des usagers des aéroports sur les décisions ayant pour objet de délimiter le périmètre régulé et la fixation des règles d'allocation des actifs, produits et charges à ce périmètre, l'intervention d'une autorité de supervision indépendante sur les mêmes décisions, l'intervention pleine et entière d'une autorité de supervision indépendante pour l'homologation annuelle des redevances et la possibilité pour cette autorité d'intervenir annuellement à l'égard des décisions tarifaires pour chaque période tarifaire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le n° 439999, par une requête, enregistrée le 7 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 février 2020 du secrétaire d'Etat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports, relatif aux redevances pour services rendus sur les aérodromes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 ;

- le code de l'aviation civile ;

- le code des transports ;

- la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 ;

- l'ordonnance n° 2019-761 du 24 juillet 2019 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabio Gennari, auditeur,

- les conclusions de Mme A... B..., rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la chambre syndicale du transport aérien, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société Ryanair et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la ministre de la transition écologique ;

Considérant ce qui suit :

1. Le décret du 3 octobre 2019 relatif aux redevances aéroportuaires a modifié le code de l'aviation civile afin notamment de définir les mesures nécessaires à l'application de l'ordonnance du 24 juillet 2019 relative au régulateur des redevances aéroportuaires, qui a confié à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), renommée Autorité de régulation des transports (ART), les missions précédemment assurées par l'Autorité de supervision indépendante. Le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) sous le n° 436166, la Chambre syndicale du transport aérien (CSTA) sous le n°436517 et la société Ryanair sous le n° 438178 demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret et à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre de prendre les mesures qu'implique nécessairement cette annulation.

2. Par un arrêté du 3 février 2020, le secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports a modifié le I et le III de l'article 1er de l'arrêté du 16 septembre 2005 relatif aux redevances pour services rendus sur les aérodromes, concernant les règles de fixation des tarifs des redevances pour Aéroports de Paris et les aérodromes de Nice-Côte d'Azur et de Cannes-Mandelieu. Le SCARA demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté sous le n° 439999.

3. Ces différentes requêtes présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le cadre juridique applicable aux litiges :

4. D'une part, selon l'article 6 de la directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires, applicable aux aéroports dont le trafic annuel dépasse cinq millions de mouvements de passagers, une procédure de consultation des usagers par l'entité gestionnaire de l'aéroport doit être organisée en ce qui concerne " l'application du système de redevances ", " [leur] niveau " et, s'il y a lieu, " la qualité du service fourni ". En outre, " dans la mesure du possible, les modifications apportées au système ou au niveau des redevances " doivent faire l'objet d'un accord entre l'entité gestionnaire et les usagers, avec, en cas de désaccord, l'intervention d'une autorité de supervision indépendante. Enfin, le paragraphe 5 de l'article 6 de la directive 2009/12/CE, qui mentionne les aéroports pour lesquels " il existe, dans le droit national, une procédure obligatoire en vertu de laquelle les redevances aéroportuaires ou leur niveau maximal sont déterminés ou approuvés par l'autorité de supervision indépendante ", précise que " Les procédures, conditions et critères appliqués aux fins du présent paragraphe par l'État membre sont pertinents, objectifs, non discriminatoires et transparents ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 6325-1 du code des transports : " Les services publics aéroportuaires rendus sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique donnent lieu à la perception de redevances pour services rendus fixées conformément au deuxième alinéa de l'article L. 410-2 du code de commerce. / Le montant des redevances tient compte de la rémunération des capitaux investis sur un périmètre d'activités précisé par voie réglementaire pour chaque aérodrome, appréciée au regard du coût moyen pondéré du capital estimé à partir du modèle d'évaluation des actifs financiers, des données financières de marché disponibles et des paramètres pris en compte pour les entreprises exerçant des activités comparables. (...) Le produit global de ces redevances ne peut excéder le coût des services rendus sur l'aérodrome ou sur le système d'aérodromes desservant la même ville ou agglomération urbaine concerné (...) ".

6. Selon l'article L. 6325-2 du même code, " Pour Aéroports de Paris et pour les autres exploitants d'aérodromes civils relevant de la compétence de l'Etat, des contrats pluriannuels d'une durée maximale de cinq ans conclus avec l'Etat déterminent les conditions de l'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires, qui tiennent compte, notamment, des prévisions de coûts, de recettes, d'investissements ainsi que d'objectifs de qualité des services publics rendus par l'exploitant d'aérodrome. (...) / En l'absence d'un contrat pluriannuel déterminant les conditions de l'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires, ces tarifs sont déterminés sur une base annuelle dans des conditions fixées par voie réglementaire. / Pour déterminer les conditions de l'évolution des tarifs, le respect des principes mentionnés aux deuxième et avant-dernier alinéas de l'article L. 6325-1 est apprécié de manière prévisionnelle sur la période couverte par ces contrats. Au cours de l'exécution de ces contrats, dès lors que les tarifs des redevances aéroportuaires évoluent conformément aux conditions qui y sont prévues, ces principes sont réputés respectés et le niveau du coût moyen pondéré du capital, y compris en l'absence de stipulation expresse, ne peut, pendant la période couverte par le contrat, être remis en cause ". Selon l'article R. 224-1 du code de l'aviation civile, " les services publics aéroportuaires donnant lieu à la perception de redevances en application de l'article L. 6325-1 du code des transports sont les services rendus aux exploitants d'aéronefs et à leurs prestataires de service à l'occasion de l'usage de terrains, d'infrastructures, d'installations, de locaux et d'équipements aéroportuaires fournis par l'exploitant d'aérodrome, dans la mesure où cet usage est directement nécessaire, sur l'aérodrome, à l'exploitation des aéronefs ou à celle d'un service de transport aérien ".

7. Enfin, il résulte des articles R. 224-4, R. 224-7 et R. 224-8 code de l'aviation civile que, pour les aérodromes dont le trafic annuel de la dernière année calendaire achevée dépasse cinq millions de passagers ou faisant partie d'un groupe comportant un tel aérodrome, d'une part les contrats de régulation prévus à l'article L. 6325-2 du code des transports sont conclus après consultation des usagers et sur avis conforme d'une autorité de supervision indépendante, d'autre part les tarifs des redevances sont homologués par cette autorité, après consultation des usagers sur les nouvelles conditions tarifaires.

Sur la légalité du décret du 3 octobre 2019 :

8. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée.

En ce qui concerne la légalité interne :

Quant aux dispositions du 2° de l'article 5 relatives au calcul des redevances :

9. Dans sa rédaction antérieure au décret attaqué, l'article R. 224-3-1 du code de l'aviation civile disposait : " Les tarifs des redevances sont fixés en tenant compte des prévisions d'évolution du trafic de passagers et de marchandises sur l'aérodrome ou les aérodromes considérés ainsi que des éléments suivants : - les objectifs d'évolution des charges, tenant compte notamment de l'évolution de la qualité des services fournis aux usagers et de celle de la productivité de l'exploitant ; / - les prévisions d'évolution des recettes ; / - les programmes d'investissements et leur financement. / Il peut être aussi tenu compte des profits dégagés par des activités de l'exploitant autres que les services mentionnés à l'article R. 224-1. / L'exploitant d'aérodrome reçoit, compte tenu de ces éléments, une juste rémunération des capitaux investis, appréciée au regard du coût moyen pondéré de son capital calculé sur le périmètre d'activités mentionné à l'alinéa suivant. / Un arrêté du ministre chargé de l'aviation civile précise les conditions d'application du présent article, notamment pour la définition du périmètre des activités et services pris en compte. " Le 2° de l'article 5 du décret attaqué a substitué au dernier alinéa de cet article les dispositions suivantes : " Pour les aérodromes mentionnés à l'article L. 6323-2 du code des transports et pour chaque aérodrome appartenant à l'Etat, le ministre chargé de l'aviation civile fixe par arrêté le périmètre des activités pris en compte, ainsi que, le cas échéant, les modalités de prise en compte des profits dégagés par des activités de l'exploitant extérieures à ce périmètre. / Pour les autres aérodromes, le signataire de la convention prévue à l'article L. 6321-3 du code des transports fixe le périmètre des activités pris en compte, ainsi que, le cas échéant, les modalités de prise en compte des profits dégagés par des activités de l'exploitant extérieures à ce périmètre. / Le ministre chargé de l'aviation civile précise par arrêté les autres conditions d'application du présent article. Cet arrêté précise notamment, pour les aérodromes mentionnés à l'article L. 6323-2 du code des transports et pour les aérodromes appartenant à l'Etat, les modalités selon lesquelles le ministre chargé de l'aviation civile approuve les règles d'allocation des actifs, des produits et des charges au périmètre mentionné ci-dessus. "

10. En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la possibilité donnée au ministre chargé de l'aviation civile d'inclure ou non dans le " périmètre régulé " les activités de l'exploitant autres que les services mentionnés à l'article R. 224-1 code de l'aviation civile ne saurait être regardée, par elle-même, comme contraire aux objectifs de la directive 2009/12/CE qui laisse à chaque Etat membre le soin de définir un cadre national de régulation des redevances aéroportuaires. Ainsi que l'indique, au demeurant, le deuxième considérant de la directive, cette dernière prévoit comme une simple possibilité pour les Etats membres " de déterminer si et dans quelle mesure les revenus provenant des activités commerciales d'un aéroport peuvent être pris en compte pour fixer les redevances aéroportuaires ". Il était ainsi loisible au pouvoir réglementaire de confier au ministre chargé de l'aviation civile le pouvoir de déterminer, dans le cas où toutes les activités de l'aérodrome ne sont pas incluses dans le " périmètre régulé ", si et dans quelle mesure les profits tirés par l'exploitant d'aérodrome par des activités extérieures à ce périmètre peuvent être pris en compte pour le calcul des redevances.

11. En deuxième lieu, en prévoyant que " les procédures, conditions et critères " prévus à son cinquième paragraphe sont pertinents, objectifs, non discriminatoires et transparents, l'article 6 de la directive 2009/12/CE sur les redevances aéroportuaires a entendu garantir la capacité de l'autorité de régulation, au stade de l'approbation des tarifs, ainsi qu'il est prévu par les dispositions mentionnées au point 7, à apprécier, en toute indépendance, si la tarification en cause permet à l'exploitant d'aérodrome de couvrir ses coûts et de recevoir une juste rémunération des capitaux investis sur le périmètre d'activités régulé, sans excéder le coût des services rendus. En confiant au ministre chargé de l'aviation civile un pouvoir de définition des règles d'allocation des actifs, des produits et des charges au " périmètre régulé ", les dispositions règlementaires contestées restreignent dans une mesure contraire aux objectifs de la directive la capacité de l'autorité de régulation à apprécier, de manière indépendante, la pertinence du niveau des redevances en cause. Les requérants sont, par suite, fondés à demander l'annulation de la dernière phrase du dernier alinéa de l'article R. 224-3-1 du code de l'aviation civile issue du 2° de l'article 5 du décret attaqué.

Quant aux dispositions de l'article 8 relatives au délai imparti à l'autorité de régulation des transports pour se prononcer :

12. Selon le paragraphe 7 de l'article 11 de la directive 2009/12/CE : " Lorsqu'elle examine la justification d'une modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires conformément à l'article 6, l'autorité de supervision indépendante a accès aux informations nécessaires émanant des parties concernées et est tenue de consulter ces parties pour prendre sa décision. Sans préjudice de l'article 6, paragraphe 4, elle prend une décision définitive dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, au plus tard quatre mois après avoir été saisie de la question. Ce délai peut être prolongé de deux mois dans des cas exceptionnels et dûment justifiés (...) ".

13. Ces dispositions de la directive, qui fixent un délai maximum d'examen de la justification d'une modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires, ne font pas obstacle à ce que les tarifs des redevances et leurs modulations soient réputés homologués par l'autorité administrative et deviennent exécutoires à moins qu'elle n'y fasse opposition dans un délai d'un mois suivant la réception de la notification, ainsi que le prévoient les dispositions contestées. Les moyens tirés de ce que les délais d'examen impartis au régulateur pour prendre ses décisions seraient contraires aux dispositions de la directive 2009/12/CE doivent, par suite, être écartés sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée sur ce point par la ministre de la transition écologique.

Quant aux dispositions des 2° et 3° de l'article 8 relatives à l'appréciation de l'évolution des tarifs :

14. En premier lieu, en précisant que l'appréciation du caractère modéré de l'évolution des tarifs des redevances doit s'apprécier " par rapport aux tarifs en vigueur ", le décret attaqué, qui, au demeurant, ne modifie pas l'état du droit antérieur sur ce point, ne saurait faire obstacle à ce que le ministre chargé de l'aviation civile vérifie, pour les aérodromes qui ressortent de sa compétence et en l'absence de contrat de régulation économique, que le montant des redevances n'excède pas le coût des services rendus. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 6325-1 du code des transports doit être écarté.

15. En deuxième lieu, s'il est soutenu que, lorsqu'un contrat de régulation économique est conclu, l'obligation faite au ministre chargé de l'homologation des tarifs de s'assurer du " respect des conditions de l'évolution des tarifs prévues par le contrat ", et non plus du " respect du contrat ", conduirait à homologuer des tarifs qui méconnaissent les règles générales applicables aux redevances aéroportuaires issues de la directive 2009/12/CE, un tel moyen ne peut utilement être soutenu, dès lors que les dispositions réglementaires attaquées, qui définissent les pouvoirs du ministre et non de l'autorité de supervision indépendante, n'ont pas été prises pour l'application des dispositions de l'article L. 6325-2 du code des transports citées au point 6, lesquelles ont eu pour objet de transposer la directive, et que celle-ci n'en constitue pas la base légale. Les moyens dirigés contre les 2° et 3° de l'article 8 du décret attaqué ne peuvent, ainsi, qu'être écartés.

Quant aux dispositions du 9° de l'article 8 relatives à la périodicité d'homologation des tarifs :

16. Les dispositions des articles L. 6325-2 du code des transports, et R. 224-8, R. 224-7 et R. 224-3-4 du code de l'aviation civile, dans leur rédaction antérieure au décret attaqué, donnaient à l'Autorité le pouvoir, dès qu'elle constatait deux défauts consécutifs d'homologation des tarifs, de fixer elle-même les tarifs applicables. Le 9° de l'article 8 du décret contesté, qui modifie la rédaction du IV de l'article R. 223-3-4 du code de l'aviation civile prévoit que " Si la dernière homologation date de plus de vingt-quatre mois, l'autorité administrative chargée de l'homologation peut fixer les tarifs des redevances et leurs modulations ". Par suite, alors d'une part que ces dispositions ne dispensent pas l'exploitant de consulter annuellement les usagers selon les modalités prévues à l'article R. 224-3 de ce code et d'autre part, en tout état de cause, que l'article 6 de la directive 2009/12/CE n'impose pas une homologation annuelle des redevances par l'autorité de supervision, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 6 de la directive et de l'article L. 6325-2 du code des transports doivent être écartés.

Quant aux dispositions de l'article 10 relatives à l'avis de l'ART sur le coût moyen pondéré du capital :

17. Il est soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait l'article 11 de la directive 2009/12/CE, selon lequel l'autorité de supervision doit être en mesure " de veiller à la bonne application des mesures prises pour se conformer (...) à la directive ", dès lors qu'il permet au ministre chargé de l'aviation civile, avant la conclusion d'un contrat de régulation économique, de solliciter de l'autorité de supervision un " avis de cadrage " sur le coût moyen pondéré du capital sur le périmètre régulé. Toutefois, un tel avis, qui vise à éclairer l'Etat par une expertise complémentaire durant la phase de négociation d'un contrat, ne saurait lier l'Autorité s'agissant du coût moyen pondéré du capital ultérieurement retenu lors de l'analyse du projet de contrat de régulation économique, dont elle est saisie pour avis conforme en application de l'article R. 224-8 du code de l'aviation civile.

En ce qui concerne la légalité externe :

18. En premier lieu, l'article L. 6325-1 du code des transports prévoit que les redevances pour services rendus sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique sont fixées conformément au deuxième alinéa de l'article L. 410-2 du code de commerce qui dispose qu'un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix " après consultation de l'Autorité de la concurrence ". Il résulte de ces dispositions que l'Autorité de la concurrence est consultée préalablement à l'édiction du décret en Conseil d'Etat prévu par l'article L. 6325-6 du code des transports ayant pour objet les règles relatives au champ, à l'assiette et aux modulations des redevances, les principes et les modalités de fixation de leurs tarifs lorsque de telles règles ne se bornent pas à préciser les modalités d'application des dispositions législatives ou de la directive 2009/12/CE et modifient de manière substantielle l'état du droit antérieur.

19. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 17 que les dispositions contestées du décret du 3 octobre 2019 se bornent à préciser ou à réitérer selon une rédaction antérieure des dispositions existantes et ne modifient pas de manière substantielle l'état du droit antérieur. Par suite, le moyen tiré de la non-consultation de l'Autorité de la concurrence doit être écarté.

20. En deuxième lieu, le SCARA, en se bornant à exposer que le projet de décret soumis au Conseil d'Etat et celui publié au Journal officiel le 4 octobre 2019 ne présentent aucune différence autre que de pure forme, ne critique pas utilement la régularité de la consultation du Conseil d'Etat sur ce projet.

21. En troisième lieu, le décret attaqué n'avait pas à être contresigné par le ministre chargé du domaine, ce dernier n'étant pas appelé à signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de ce décret.

22. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander l'annulation de la dernière phrase du dernier alinéa de l'article R. 224-3-1 du code de l'aviation civile issue du 2° de l'article 5 du décret attaqué.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

23. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "

24. L'annulation prononcée par la présente décision n'implique pas nécessairement que le Premier ministre prévoie l'intervention des usagers des aéroports et de l'Autorité de régulation des transports dans la détermination des règles d'allocation des actifs, produits et charges au périmètre régulé, une telle intervention résultant des dispositions combinées du code des transports et du code de l'aviation civile relatives à la procédure de fixation du montant des redevances telles qu'elles subsistent après cette annulation. Le rejet des conclusions à fin d'annulation des autres dispositions du décret attaqué fait obstacle à ce qu'il soit fait droit aux autres conclusions à fin d'injonction.

Sur la légalité de l'arrêté du 3 février 2020 :

25. En premier lieu, doit être écarté le moyen tiré de l'annulation par voie de conséquence de l'annulation du décret du 3 octobre 2019, l'arrêté contesté étant pris sur le fondement des dispositions mentionnées au point 10, à l'encontre desquelles les conclusions d'annulation ont été rejetées.

26. En deuxième lieu, la modification du périmètre des activités prises en compte en vue de la détermination ultérieure des redevances n'implique pas, par elle-même et directement, de modification du tarif des redevances aéroportuaires, ni de modification du système ou du niveau de redevances. Le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué devait être soumis à la consultation les compagnies aériennes et à l'avis de l'Autorité de régulation des transports doit, par suite, être écarté.

27. En troisième et dernier lieu, pour les raisons évoquées au point 10 et dès lors qu'il appartient au ministre chargé de l'aviation civile de déterminer les conditions dans lesquelles il est tenu compte, pour la détermination des redevances aéroportuaires sur le périmètre régulé, des profits tirés par l'exploitant d'aérodrome de ses autres activités commerciales, doit être écarté le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur de droit pour avoir exclu la possibilité de tenir compte des activités hors du périmètre régulé dans la fixation des redevances. Par ailleurs, en se bornant à faire valoir que la commission consultative aéroportuaire a recommandé dans le passé qu'une contribution des activités hors du périmètre régulé soit organisée pour les aérodromes concernés par l'arrêté attaqué, sans toutefois apporter d'élément circonstancié s'agissant, par exemple, de la structure des coûts de ces aérodromes, de la nature de leurs recettes et des spécificités justifiant qu'il soit tenu compte des activités hors du périmètre régulé dans la fixation des redevances, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

28. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 février 2020 doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat.

D E C I D E :

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Article 1er : La dernière phrase du dernier alinéa de l'article R. 224-3-1 du code de l'aviation civile issue du 2° de l'article 5 du décret du 3 octobre 2019 est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Chambre syndicale du transport aérien, au Syndicat des compagnies aériennes autonomes, à la société Ryanair, à la ministre de la transition écologique et au Premier ministre.

Copie en sera adressée à l'Autorité de régulation des transports.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 436166
Date de la décision : 28/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - PROCÉDURE CONSULTATIVE - CONSULTATION OBLIGATOIRE - AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE (ART - L - 410-2 DU CODE DE COMMERCE) - DÉCRET RELATIF AU CHAMP - À L'ASSIETTE - AUX MODULATIONS ET AUX MODALITÉS DE FIXATION DES REDEVANCES AÉROPORTUAIRES - SE BORNANT À PRÉCISER OU À RÉITÉRER DES DISPOSITIONS EXISTANTES ET NE MODIFIANT PAS DE MANIÈRE SUBSTANTIELLE L'ÉTAT DU DROIT ANTÉRIEUR [RJ1].

01-03-02-02 Il résulte des articles L. 6325-1 du code des transports et L. 410-2 du code de commerce que l'Autorité de la concurrence est consultée préalablement à l'édiction du décret en Conseil d'Etat prévu par l'article L. 6325-6 du code des transports ayant pour objet les règles relatives au champ, à l'assiette et aux modulations des redevances, les principes et les modalités de fixation de leurs tarifs, lorsque de telles règles ne se bornent pas à préciser les modalités d'application des dispositions législatives ou de la directive 2009/12/CE et modifient de manière substantielle l'état du droit antérieur.,,,Les dispositions contestées du décret n° 2019-1016 du 3 octobre 2019 relatif aux redevances aéroportuaires et modifiant le code de l'aviation civile se bornent à préciser ou à réitérer selon une rédaction antérieure des dispositions existantes et ne modifient pas de manière substantielle l'état du droit antérieur. Par suite, le moyen tiré de la non-consultation de l'Autorité de la concurrence doit être écarté.

COMMERCE - INDUSTRIE - INTERVENTION ÉCONOMIQUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - DÉFENSE DE LA CONCURRENCE - AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE - CONSULTATION OBLIGATOIRE (L - 410-2 DU CODE DE COMMERCE) - DÉCRET RELATIF AU CHAMP - À L'ASSIETTE - AUX MODULATIONS ET AUX MODALITÉS DE FIXATION DES REDEVANCES AÉROPORTUAIRES (ART - L - 6325-6 DU CODE DES TRANSPORTS) - ABSENCE - DÈS LORS QUE LES RÈGLES QU'IL FIXE SE BORNENT À PRÉCISER OU À RÉITÉRER DES DISPOSITIONS EXISTANTES ET NE MODIFIENT PAS DE MANIÈRE SUBSTANTIELLE L'ÉTAT DU DROIT ANTÉRIEUR [RJ1].

14-05-005 Il résulte des articles L. 6325-1 du code des transports et L. 410-2 du code de commerce que l'Autorité de la concurrence est consultée préalablement à l'édiction du décret en Conseil d'Etat prévu par l'article L. 6325-6 du code des transports ayant pour objet les règles relatives au champ, à l'assiette et aux modulations des redevances, les principes et les modalités de fixation de leurs tarifs, lorsque de telles règles ne se bornent pas à préciser les modalités d'application des dispositions législatives ou de la directive 2009/12/CE et modifient de manière substantielle l'état du droit antérieur.,,,Les dispositions contestées du décret n° 2019-1016 du 3 octobre 2019 relatif aux redevances aéroportuaires et modifiant le code de l'aviation civile se bornent à préciser ou à réitérer selon une rédaction antérieure des dispositions existantes et ne modifient pas de manière substantielle l'état du droit antérieur. Par suite, l'Autorité de la concurrence n'avait pas à être consultée préalablement à leur édiction.

TRANSPORTS - TRANSPORTS AÉRIENS - AÉROPORTS - REDEVANCES ET TAXES AÉROPORTUAIRES - CONSULTATION OBLIGATOIRE DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE (L - 410-2 DU CODE DE COMMERCE) - DÉCRET RELATIF AU CHAMP - À L'ASSIETTE - AUX MODULATIONS ET AUX MODALITÉS DE FIXATION DES REDEVANCES AÉROPORTUAIRES (ART - L - 6325-6 DU CODE DES TRANSPORTS) - ABSENCE - DÈS LORS QUE LES RÈGLES QU'IL FIXE SE BORNENT À PRÉCISER OU À RÉITÉRER DES DISPOSITIONS EXISTANTES ET NE MODIFIENT PAS DE MANIÈRE SUBSTANTIELLE L'ÉTAT DU DROIT ANTÉRIEUR [RJ1].

65-03-04-07 Il résulte des articles L. 6325-1 du code des transports et L. 410-2 du code de commerce que l'Autorité de la concurrence est consultée préalablement à l'édiction du décret en Conseil d'Etat prévu par l'article L. 6325-6 du code des transports ayant pour objet les règles relatives au champ, à l'assiette et aux modulations des redevances, les principes et les modalités de fixation de leurs tarifs, lorsque de telles règles ne se bornent pas à préciser les modalités d'application des dispositions législatives ou de la directive 2009/12/CE et modifient de manière substantielle l'état du droit antérieur.,,,Les dispositions contestées du décret n° 2019-1016 du 3 octobre 2019 relatif aux redevances aéroportuaires et modifiant le code de l'aviation civile se bornent à préciser ou à réitérer selon une rédaction antérieure des dispositions existantes et ne modifient pas de manière substantielle l'état du droit antérieur. Par suite, l'Autorité de la concurrence n'avait pas à être consultée préalablement à leur édiction.


Références :

[RJ1]

Rappr. sol. contr., s'agissant d'un arrêté modifiant de manière substantielle la règlementation relative à la répartition des prélèvements totaux de capture alloués à la France par les règlements communautaires, CE, 3 mai 2004, Fonds régional d'organisation du marché du poisson (FROM NORD) et autres, n°s 260036 260037, p. 195.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 jan. 2021, n° 436166
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Fabio Gennari
Rapporteur public ?: Mme Sophie Roussel
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:436166.20210128
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