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17/12/2020 | FRANCE | N°439201

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 17 décembre 2020, 439201


Vu la procédure suivante :

L'association Natur'Jalles, l'association France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine, M. M... J..., M. C... O..., Mme N... B..., M. P... K..., M. et Mme G... et Nadia L..., M. F... A... et M. D... H... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'arrêté du 13 septembre 2019 par lequel la préfète de la Gironde a complété l'arrêté préfectoral du 15 mars 2016 modifiant l'arrêté du 19 mars 2012 et autorisant, au titre de l

'article L. 214-3 du code de l'environnement, le département de la Gi...

Vu la procédure suivante :

L'association Natur'Jalles, l'association France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine, M. M... J..., M. C... O..., Mme N... B..., M. P... K..., M. et Mme G... et Nadia L..., M. F... A... et M. D... H... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'arrêté du 13 septembre 2019 par lequel la préfète de la Gironde a complété l'arrêté préfectoral du 15 mars 2016 modifiant l'arrêté du 19 mars 2012 et autorisant, au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, le département de la Gironde à réaliser et exploiter les ouvrages et aménagements rendus nécessaires par la déviation d'un tronçon de la route départementale n°1215, dite déviation de Taillan, pour autoriser le département de la Gironde à déroger à l'interdiction de destructions d'espèces et d'habitats d'espèces animales protégées et de destruction d'espèces végétales protégées. Par une ordonnance n° 2000153 du 17 février 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'État les 28 février, 13 mars, 11 septembre et 8 octobre 2020, l'association Natur'Jalles, l'association France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine, M. J..., M. O..., Mme B..., M. K..., M. et Mme L..., M. A... et M. H... demandent au Conseil d'État :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'État et du département de la Gironde la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme I... E..., maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de l'association Natur'Jalles et autres, et à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat du département de la Gironde ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 décembre 2020, présentée par l'association Natur'Jalles et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le département de la Gironde a décidé de travaux, déclarés d'utilité publique par un décret du 13 juillet 2005, pour l'aménagement d'une déviation d'un tronçon de la route départementale n° 1215, dite déviation du Taillan, sur le territoire des communes du Taillan-Médoc, de Saint-Aubin-de-Médoc, du Pian-Médoc et d'Arsac. Par un arrêté du préfet de la Gironde du 19 mars 2012, modifié par un arrêté du 15 mars 2016, il a été autorisé, au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, à réaliser et exploiter les ouvrages et aménagements rendus nécessaires par la déviation du tronçon de la route départementale n° 1215 entre le raccordement nord à la route départementale 1 et le carrefour de Germignan au sud. Par un arrêté du 13 septembre 2019 complétant ces arrêtés, le préfet de la Gironde l'a autorisé, sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, à déroger à l'interdiction de destructions d'espèces et d'habitats d'espèces animales protégées et de destruction d'espèces végétales protégées. Par une ordonnance du 17 février 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la demande de suspension de l'exécution de ce dernier arrêté formée par l'association Natur-Jalles et autres. L'association Natur'Jalles et autres se pourvoient en cassation contre cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. Aux termes de l'article R. 742-2 du code de justice administrative : " Les ordonnances mentionnent le nom des parties, l'analyse des conclusions ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elles font application. / Elles font apparaître la date à laquelle elles ont été signées. / (...) ".

4. Il ne résulte ni de cet article ni d'aucune autre disposition qu'une ordonnance rendue sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative devrait, à peine d'irrégularité, porter mention des personnes qui ont pris la parole au cours de l'audience publique. Par suite, le moyen tiré de ce que l'ordonnance attaquée serait irrégulière faute de mentionner que la présidente de l'association requérante a pris la parole lors de l'audience de référé ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

5. En premier lieu, d'une part, il résulte des dispositions de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale que les autorisations délivrées au titre de la police de l'eau en application de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, antérieurement au 1er mars 2017, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 26 janvier 2017, sont considérées, à compter de cette date, comme des autorisations environnementales. D'autre part, aux termes de l'article R. 181-28 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " Lorsque l'autorisation environnementale est demandée pour un projet pour lequel elle tient lieu de dérogation aux interdictions édictées en application du 4° de l'article L. 411-2, le préfet saisit pour avis le Conseil national de la protection de la nature, qui se prononce dans le délai de deux mois. / Lorsque la dérogation dont l'autorisation environnementale tient lieu concerne des animaux appartenant à une espèce de vertébrés protégée définie par l'article R. 411-8 et figurant sur les listes établies en application de l'article R. 411-8-1 et que l'avis du Conseil national de la protection de la nature est défavorable ou assorti de réserves, le préfet saisit pour avis conforme le ministre chargé de la protection de la nature (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'arrêté litigieux se borne à compléter un précédent arrêté du préfet de la Gironde en date du 19 mars 2012, lui-même modifié par un arrêté en date du 15 mars 2016, portant autorisation de travaux au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement et qu'il avait reçu un avis favorable sous condition du conseil national de la protection de la nature en date du 23 mai 2019 ainsi qu'un avis favorable du ministre de la transition écologique et solidaire en date du 25 juillet 2019. En jugeant que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté le moyen tiré de ce que cet arrêté relevait de la compétence du ministre chargé de la protection de la nature, le juge des référés s'est livré, sans erreur de droit, à une appréciation souveraine des faits de l'espèce.

7. En deuxième lieu, l'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment " 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) ".

8. Il résulte de ces dispositions qu'un projet de travaux, d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, tels que notamment le projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

9. D'une part, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le projet en cause, qui a un caractère public et été déclaré d'utilité publique, vise à désenclaver le nord du Médoc en améliorant l'accessibilité des zones urbanisées de Saint-Aubin-de-Médoc, le Plan-Médoc et Arsac grâce notamment à une réduction d'environ 25 % du temps de trajet pour se rendre dans ces communes dont la population est significative, ainsi qu'à réduire le trafic routier traversant le centre de la commune du Taillan-Médoc afin d'améliorer la sécurité des usagers et des riverains et de réduire les nuisances que cette traversée cause à ces derniers. Il en ressort en particulier que l'amélioration de la sécurité attendue par la mise en place de cette déviation tant pour les usagers de la route que pour ses riverains est réelle, notamment grâce à la réduction importante qui en est attendue du trafic routier traversant le centre de la commune du Taillan-Médoc et à celle des risques en termes de sécurité qu'emporte un tel trafic dans un territoire urbain dense, ainsi que l'illustrent le fait que plusieurs accidents mortels ont été relevés entre 1994 et 2002 et depuis 2014. Dans ces conditions, en jugeant que le moyen tiré de ce que le projet en cause ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur n'était pas de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté en cause, le juge des référés n'a pas entaché son ordonnance d'erreur de droit et a souverainement apprécié, sans les dénaturer, les faits de l'espèce.

10. D'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le projet d'aménagement routier litigieux a été précédé de l'examen approfondi de tracés alternatifs dont aucun n'apparaît constituer une alternative plus favorable en termes d'atteinte aux espèces protégées, qu'il comporte des mesures d'évitement, de réduction et de compensation nombreuses et étayées permettant de limiter les atteintes occasionnées par le projet aux espèces animales et végétales protégées, mesures qui ont conduit le conseil national de protection de la nature, à la suite des modifications apportées au projet après les avis négatifs qu'il avait initialement émis, à rendre, le 23 mai 2019 un avis favorable sous réserve d'une augmentation des surfaces compensatoires, augmentation auxquelles l'arrêté litigieux a procédé. Par suite, en jugeant que les moyens tirés de ce que la dérogation litigieuse ne respecterait ni la condition tenant à l'absence de solution alternative satisfaisante ni celle tenant au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, n'étaient pas de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué, le juge des référés a souverainement apprécié, sans les dénaturer, les faits de l'espèce.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Natur'Jalles et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent. Par suite, leur pourvoi doit être rejeté, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département de la Gironde au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de l'association Natur'Jalles et autres est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Gironde au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Natur'Jalles, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, au département de la Gironde et à la ministre de la transition écologique.


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 439201
Date de la décision : 17/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 déc. 2020, n° 439201
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Fanélie Ducloz
Rapporteur public ?: M. Olivier Fuchs
Avocat(s) : SCP DE NERVO, POUPET ; SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:439201.20201217
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