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02/12/2020 | FRANCE | N°428840

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 02 décembre 2020, 428840


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 14 mars et 14 juin 2019, Mme C... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 décembre 2018 du Conseil national de l'ordre des sages-femmes, statuant en formation restreinte, la suspendant pour une durée de deux ans du droit d'exercer la profession de sage-femme et subordonnant la reprise de son activité à la justification du respect d'obligations de formation ;

2°) de met

tre à la charge du Conseil national de l'ordre des sages-femmes la somme de 4 0...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 14 mars et 14 juin 2019, Mme C... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 décembre 2018 du Conseil national de l'ordre des sages-femmes, statuant en formation restreinte, la suspendant pour une durée de deux ans du droit d'exercer la profession de sage-femme et subordonnant la reprise de son activité à la justification du respect d'obligations de formation ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des sages-femmes la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... A..., conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme B... et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des sages-femmes ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique : " I.- En cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. / Le conseil régional ou interrégional est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'agence régionale de santé, soit par une délibération du conseil départemental ou du conseil national. Ces saisines ne sont pas susceptibles de recours. / II. - La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional ou interrégional dans les conditions suivantes : / (...) / 3° Pour les sages-femmes, le rapport est établi par trois sages-femmes désignées comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. Ce dernier est choisi parmi les sages-femmes enseignantes ou les directrices d'école de sage-femme. / (...). / IV.- Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l'examen des connaissances théoriques et pratiques du praticien. Le rapport d'expertise est déposé au plus tard dans le délai de six semaines à compter de la saisine du conseil. Il indique les insuffisances relevées au cours de l'expertise, leur dangerosité et préconise les moyens de les pallier par une formation théorique et, si nécessaire, pratique. (...) / VI. Si le conseil régional ou interrégional n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre. / VII. - La décision de suspension temporaire du droit d'exercer pour insuffisance professionnelle définit les obligations de formation du praticien. (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier que sur saisine, le 9 juillet 2018, du conseil départemental de l'Hérault de l'ordre des sages-femmes et, le 13 juillet 2018, de l'agence régionale de santé d'Occitanie, le conseil interrégional du secteur IV de l'ordre des sages-femmes a engagé la procédure prévue à l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique cité ci-dessus à l'encontre de Mme B..., sage-femme exerçant à titre libéral et réalisant notamment des accouchements à domicile. Le conseil interrégional n'ayant pas statué dans le délai de deux mois, le dossier a été transmis au Conseil national de l'ordre des sages-femmes qui, par une décision du 18 décembre 2018, a suspendu Mme B... pour une durée de deux ans du droit d'exercer la profession de sage-femme et a subordonné la reprise de son activité professionnelle à la justification de l'accomplissement d'obligations de formation qu'elle a précisées.

3. En premier lieu, si Mme B... soutient que la décision qu'elle attaque est prise sur le fondement de dispositions illégales, dès lors que les dispositions du VI de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique citées au point 1, en ce qu'elles ne laissent qu'un délai de deux mois, à peine de dessaisissement, au conseil régional pour se prononcer en matière de suspension pour insuffisance professionnelle, seraient contraires au principe d'égalité, faute d'assurer à toutes les sages-femmes le droit à un double degré de juridiction, ce moyen ne peut en tout état de crise qu'être écarté, la procédure organisée par ces dispositions ayant un caractère administratif et non juridictionnel.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, conformément aux dispositions du II de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique citées précédemment, Mme B... a pu désigner l'un des experts ayant rédigé le rapport d'expertise au vu duquel la décision attaquée a été prise.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 4124-3-1 du code de la santé publique, également applicable, en vertu de l'article R. 4124-3-3, à la procédure suivie devant le Conseil national, les articles R. 4124-3-1 et R. 4124-3-3 étant eux-mêmes applicables à la procédure pour insuffisance professionnelle en vertu de l'article R. 4124-3-7 : " Le président du conseil régional ou interrégional désigne un rapporteur. / Le praticien intéressé, le conseil départemental (...) sont convoqués par lettre recommandée avec demande d'avis de réception huit jours au moins avant la séance du conseil régional ou interrégional. Ils sont informés des dates auxquelles ils peuvent consulter le dossier au siège du conseil régional ou interrégional. Le rapport des experts leur est communiqué. / La convocation indique que le praticien peut se faire assister ou représenter par toute personne de son choix (...) ". Si Mme B... soutient que le " principe du contradictoire " a été méconnu, faute pour elle d'avoir eu connaissance, à l'avance, de ce qu'elle serait interrogée lors de la séance du Conseil national de l'ordre des sages-femmes sur la façon dont elle met en oeuvre la recommandation professionnelle de la Haute Autorité de santé sur le suivi et l'orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risque identifiées actualisée en 2016 ainsi que sur deux " vignettes cliniques ", il ne résulte ni des dispositions précitées, ni du principe des droits de la défense que lorsque le Conseil national de l'ordre des sages-femmes entend la sage-femme qui fait l'objet d'une procédure de suspension pour insuffisance professionnelle, il ne puisse, sans les lui avoir adressées à l'avance, lui poser des questions permettant d'apprécier ses connaissances théoriques et pratiques. Au demeurant, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que les questions posées à Mme B... et contestées par elle à l'appui du présent moyen portaient sur le suivi qu'elle avait assuré de deux patientes dont les accouchements avaient présenté de sérieuses difficultés ayant justifié l'engagement, sur saisine tant du conseil départemental de l'Hérault de l'ordre des sages-femmes que de l'agence régionale de santé d'Occitanie, de la procédure de suspension pour insuffisance professionnelle.

6. En quatrième lieu, la décision attaquée est, contrairement à ce que soutient Mme B..., suffisamment motivée.

7. En cinquième lieu, il ne ressort des pièces du dossier que la recommandation professionnelle de la Haute Autorité de santé sur le suivi et l'orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risque identifiées, actualisée en mai 2016, laquelle s'adresse, notamment, aux sages-femmes, n'était plus en vigueur à la date des faits ayant justifié l'engagement de la procédure litigieuse ou lors de la séance durant laquelle Mme B... a été entendue par la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des sages-femmes. Le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'erreur de droit pour y avoir fait référence ne peut, par suite, qu'être écarté.

8. En sixième lieu, si le rapport d'expertise prévu par les dispositions citées ci-dessus a pour seul objet d'éclairer l'instance ordinale sur l'existence éventuelle d'une insuffisance professionnelle, la formation restreinte compétente peut, au vu de faits qu'elle estime établis, de l'instruction du dossier et de l'audition de l'intéressé, légalement décider d'une mesure de suspension, bien que les experts n'aient pas conclu à une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession. A ce titre, il ressort des pièces du dossier qu'alors même que l'expertise n'a pas conclu à l'insuffisance professionnelle de Mme B..., la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des sages-femmes n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 1 et n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de fait en retenant que Mme B..., qui ne justifiait pas être engagée dans une démarche de formation continue et qui faisait preuve de graves lacunes dans l'évaluation des risques obstétricaux, présentait une insuffisance professionnelle rendant dangereux qu'elle pratique l'ensemble des actes relevant de l'exercice de la profession de sage-femme.

9. En dernier lieu, compte tenu de ces même graves lacunes sur lesquelles elle s'est fondée, la formation restreinte du Conseil national en prononçant cette suspension pour une durée de deux ans et en l'assortissant d'une obligation comportant à la fois une formation théorique sur le suivi pré-partum et post-partum et sur le suivi de la mère et de l'enfant après la naissance ainsi qu'une formation clinique sur les situations critiques obstétricales et les gestes d'urgence en néonatologie, n'a pas davantage fait une application inexacte de ces dispositions.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme B... ne peut qu'être rejetée, y compris en ce qu'elle comporte des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le Conseil national de l'ordre des sages-femmes.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des sages-femmes au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B... et au Conseil national de l'ordre des sages-femmes.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 428840
Date de la décision : 02/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 02 déc. 2020, n° 428840
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Françoise Tomé
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:428840.20201202
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