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25/11/2020 | FRANCE | N°442155

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 25 novembre 2020, 442155


Vu la procédure suivante :

La société par action simplifiée (SAS) In Situ Promotion a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 11 mars 2020 par laquelle le directeur général de l'établissement public foncier d'Ile-de-France a exercé le droit de préemption urbain afin d'acquérir une parcelle mise en vente par M. A... B..., cadastrée section R n° 14 et située 183, avenue du Général de Gaulle à Vanves (Hauts-de-Seine). Pa

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Vu la procédure suivante :

La société par action simplifiée (SAS) In Situ Promotion a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 11 mars 2020 par laquelle le directeur général de l'établissement public foncier d'Ile-de-France a exercé le droit de préemption urbain afin d'acquérir une parcelle mise en vente par M. A... B..., cadastrée section R n° 14 et située 183, avenue du Général de Gaulle à Vanves (Hauts-de-Seine). Par une ordonnance n° 2005488 du 9 juillet 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a suspendu l'exécution de cette décision jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la requête de la société In Situ Promotion tendant à son annulation.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juillet, 6 août et 12 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'établissement public foncier d'Ile-de-France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société In Situ Promotion ;

3°) de mettre à la charge de la société In Situ Promotion la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'établissement public foncier d'Ile-de-France, et à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la société In Situ Promotion ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que par une décision du 11 mars 2020, le directeur général de l'établissement public foncier d'Ile-de-France a exercé, par délégation de l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest, le droit de préemption urbain sur la parcelle cadastrée section R n° 14, située 183, avenue du Général de Gaulle à Vanves. La société In Situ Promotion, acquéreur évincé, a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision puis a saisi le juge des référés de ce tribunal, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de cette décision. L'établissement public foncier d'Ile-de-France se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 9 juillet 2020 par laquelle le juge des référés a ordonné la suspension de son exécution.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ". Ces dispositions ont pour objet de permettre que les parties à un litige mettant en cause un acte intervenu en matière d'urbanisme soient éclairées, autant que possible, sur l'ensemble des vices susceptibles d'entacher la légalité de cet acte. Il en résulte que le juge administratif, lorsqu'il suspend l'exécution d'un tel acte, ne peut se dispenser d'examiner l'ensemble des moyens de la requête.

3. Il ressort des termes de l'ordonnance attaquée que le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est fondé sur le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision pour suspendre l'exécution de la décision de préemption litigieuse, en précisant que cette suspension était prononcée " sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ". En laissant ainsi entendre que d'autres moyens invoqués auraient éventuellement pu fonder la suspension de l'exécution de la décision attaquée, le juge des référés a méconnu l'obligation que lui imposaient les dispositions précitées de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme.

4. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, l'établissement public d'Ile-de-France est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

5. Il y lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 8212 du code de justice administrative.

Sur la demande en référé :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

7. En premier lieu, la circonstance que la copie adressée à la société de la décision par laquelle le président de l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest a délégué à l'établissement public foncier d'Ile-de-France le droit de préemption urbain comporte la date du 11 février 2020, tandis que l'exemplaire de la décision transmise au préfet le 17 février 2020 dans le cadre du contrôle de légalité comporte celle du 14 février 2020, n'est pas de nature, en l'état de l'instruction, et alors que les deux documents sont par ailleurs identiques, à faire naître un doute sérieux quant à l'existence d'une délégation régulière du droit de préemption à la date du 11 mars 2020.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 321-10 du code de l'urbanisme : " Le directeur général, dans les limites des compétences qui lui ont été déléguées, peut, par délégation du conseil d'administration, être chargé d'exercer au nom de l'établissement public foncier de l'Etat, de l'établissement public d'aménagement ou de l'établissement public Grand Paris Aménagement les droits de préemption dont l'établissement est titulaire ou délégataire et le droit de priorité dont l'établissement est délégataire ". Aux termes de l'article 14 du règlement intérieur de l'établissement public foncier d'Ile-de-France, tel que modifié par délibération de son conseil d'administration du 28 novembre 2017 : " (...) Le directeur général, ou en cas d'absence ou d'empêchement le directeur général, adjoint, exerce sur délégation du conseil d'administration, les droits de préemption et de priorité dont l'établissement est titulaire ou délégataire ". Il résulte de ces dispositions que le moyen tiré de ce que le directeur général de l'établissement public foncier d'Ile-de-France ne pouvait se voir déléguer l'exercice du droit de préemption urbain délégué à l'établissement public foncier d'Ile-de-France par l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption attaquée.

9. En troisième lieu, aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 213-2 du code l'urbanisme, " le délai [de préemption] est suspendu à compter de la réception de la demande [de documents complémentaires] mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption ". La visite ayant été demandée le 31 janvier 2020 par l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest, alors titulaire du droit de préemption, et réalisée le 18 février 2020 par l'établissement public foncier d'Ile-de-France, devenu délégataire de ce droit, le moyen tiré de ce qu'elle n'avait pas interrompu le délai de préemption n'est pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels ". Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en oeuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

11. Il ressort des termes de la décision de préemption que celle-ci vise à permettre la réalisation d'un projet d'environ 170 logements dont au moins 25 % de logements sociaux et des commerces dans le quartier du " Clos Montholon ", dans le cadre du projet de la commune de Vanves de requalifier le secteur en lien avec la mise en service de la future gare du " Grand Paris Express ", conformément à la convention d'intervention foncière conclue le 17 janvier 2020 entre la commune, l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest et l'établissement public foncier d'Ile-de-France. Ainsi, en l'état de l'instruction, les moyens tirés de l'insuffisante motivation de cette décision, de l'absence de projet suffisamment précis, s'inscrivant dans le cadre d'une action ou d'une opération d'aménagement, et de l'insuffisance de l'intérêt général auquel il répond, en méconnaissance des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme, ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

12. En dernier lieu, le moyen tiré de l'existence d'un détournement de pouvoir n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de rechercher si la condition d'urgence est remplie, la société In Situ Promotion n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision du 11 mars 2020 par laquelle le directeur général de l'établissement public foncier d'Ile-de-France a exercé le droit de préemption urbain.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société In Situ Promotion une somme de 2 500 euros à verser à l'établissement public foncier d'Ile-de-France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise au même titre à la charge de l'établissement public foncier d'Ile-de-France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 9 juillet 2020 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société In Situ Promotion devant le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.

Article 3 : La société In Situ Promotion versera une somme de 2 500 euros à l'établissement public foncier d'Ile-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société In Situ Promotion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public foncier d'Ile-de-France et à la société par action simplifiée In Situ Promotion.

Copie en sera adressée à la commune de Vanves et à M. A... B....


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 442155
Date de la décision : 25/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 nov. 2020, n° 442155
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Arnaud Skzryerbak
Rapporteur public ?: M. Vincent Villette
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:442155.20201125
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