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29/07/2020 | FRANCE | N°436710

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 29 juillet 2020, 436710


Vu la procédure suivante :

M. E... a demandé au tribunal administratif B..., sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 18 juillet 2019 par laquelle le président du conseil départemental de l'Isère a refusé de prolonger, au-delà du 31 août 2019, sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur et d'enjoindre au département de l'Isère de poursuivre sa prise en charge. Par une ordonnance n° 1906463 du 31 octobre 2019, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par

un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoi...

Vu la procédure suivante :

M. E... a demandé au tribunal administratif B..., sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 18 juillet 2019 par laquelle le président du conseil départemental de l'Isère a refusé de prolonger, au-delà du 31 août 2019, sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur et d'enjoindre au département de l'Isère de poursuivre sa prise en charge. Par une ordonnance n° 1906463 du 31 octobre 2019, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 et 23 décembre 2019 et les 24 et 26 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé, de suspendre la décision attaquée ;

3°) de mettre à la charge du département de l'Isère, au profit de la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, son avocat, la somme de 3 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... D..., conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. C..., et à la SCP Foussard, Froger, avocat du département de l'Isère ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. E..., né le 4 mars 2000, de nationalité angolaise, est entré en France le 15 décembre 2016. Par un jugement en assistance éducative du 23 janvier 2017, le tribunal pour enfants B... a maintenu le placement de l'intéressé auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Isère, décidé par une ordonnance de placement provisoire du procureur de la République du 20 janvier 2017, jusqu'au 4 mars 2018, date de sa majorité. Par une demande du 8 mars 2018, complétée le 18 juin 2019, M. C... a sollicité du département de l'Isère la poursuite de sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur. Par une décision du 18 juillet 2019, le département, qui avait maintenu la prise en charge de l'intéressé par le service de l'aide sociale à l'enfance depuis sa majorité, l'a informé qu'un " contrat d'accompagnement jeune majeur " lui était proposé jusqu'au 31 août 2019 et qu'il lui reviendrait de poursuivre ensuite son parcours en dehors du dispositif de protection de l'enfance. M. C... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 31 octobre 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal B... a refusé de suspendre l'exécution de cette décision en tant qu'elle interrompait sa prise en charge le 31 août 2019.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) ". L'article L. 222-5 du même code détermine les personnes susceptibles, sur décision du président du conseil départemental, d'être prises en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, parmi lesquelles, au titre du 1° de cet article, les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel et, au titre de son 3°, les mineurs confiés au service par le juge des enfants parce que leur protection l'exige. Aux termes des sixième et septième alinéas de cet article : " Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ".

4. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 3, d'une part, que la décision par laquelle le président du conseil départemental décide la prise en charge d'un jeune majeur par le service d'aide sociale à l'enfance ou lui propose un accompagnement pour lui permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ne place pas ce jeune dans une situation contractuelle vis-à-vis du département, alors même que celui-ci lui fait signer " un contrat jeune majeur " pour formaliser ses relations avec le service de l'aide sociale à l'enfance, dans l'objectif de le responsabiliser. D'autre part, la survenance du terme initialement prévu de la prise en charge d'un jeune majeur qui en demande la poursuite ne met pas fin par elle-même au litige, sauf à ce que le jeune atteigne l'âge de vingt et un ans. Il suit de là que M. C... est fondé à soutenir qu'en analysant le " contrat jeune majeur " qu'il avait signé le 18 juillet 2019 avec le département de l'Isère comme faisant naître des relations contractuelles et en jugeant que le terme de cette prise en charge ayant été fixée au 31 août 2019, sa demande visant à sa poursuite avait perdu son objet à la date à laquelle il statuait, le 31 octobre 2019, le juge des référés a commis une erreur de droit. Toutefois, ce dernier n'a ni prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de suspension présentée par M. C... ni rejeté cette demande comme irrecevable mais s'est fondé sur l'absence de doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge pour la rejeter. L'erreur ainsi commise étant restée sans incidence sur son ordonnance, ce motif ne peut qu'être regardé comme surabondant. Par suite, ni ce moyen ni les moyens tirés de ce que le même motif procèderait d'une méprise sur la portée de la décision litigieuse ou d'une méconnaissance du champ d'application de la loi ne sauraient entraîner l'annulation de l'ordonnance attaquée.

5. En second lieu, sous réserve de l'hypothèse dans laquelle un accompagnement doit être proposé au jeune majeur pour lui permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée, le président du conseil départemental dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants et peut à ce titre, notamment, prendre en considération les perspectives d'insertion qu'ouvre une prise en charge par ce service compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, y compris le comportement du jeune majeur.

6. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance ou mettant fin à une telle prise en charge, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler, s'il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l'intéressé s'il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en oeuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance et en renvoyant l'intéressé devant l'administration afin qu'elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement. Saisi d'une demande de suspension de l'exécution d'une telle décision, il appartient, ainsi, au juge des référés de rechercher si, à la date à laquelle il se prononce, ces éléments font apparaître, en dépit de cette marge d'appréciation, un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge.

7. Le président du conseil départemental de l'Isère ayant mis un terme à sa prise en charge le 31 août 2019, après l'obtention du certificat d'aptitude professionnelle employé de commerce multi-spécialités, M. C... ne pouvait se prévaloir, alors même que le juge des référés s'est prononcé après l'engagement d'une nouvelle année scolaire, des dispositions du dernier alinéa et septième de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles prescrivant qu'un accompagnement soit proposé aux jeunes majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée. Eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans la mise en oeuvre des dispositions de l'avant-dernier et sixième alinéa du même article L. 222-5, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant que, à la date à laquelle il se prononçait et en l'état de l'instruction, la situation de M. C... ne faisait pas apparaître un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département.

8. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

9. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font dès lors obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du département, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. C... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. E... et au département de l'Isère.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 436710
Date de la décision : 29/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2020, n° 436710
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:436710.20200729
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