Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 mars et 21 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-208 du 20 mars 2019 instituant une contravention pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la code pénal ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Ramain, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Ligue des droits de l'homme ;
Considérant ce qui suit :
1. En vertu de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure : " Si l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu ".
2. La Ligue des droits de l'homme demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 mars 2019 instituant une contravention pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique, qui insère au code pénal un nouvel article R. 644-4 aux termes duquel " Le fait de participer à une manifestation sur la voie publique interdite sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ".
Sur la légalité externe du décret attaqué :
3. Lorsque, comme en l'espèce, un décret doit être pris en Conseil d'Etat, le texte retenu ne peut être différent à la fois du projet soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier. Il ressort de la copie de la minute de l'avis émis par la section de l'intérieur du Conseil d'Etat sur le projet de décret, versée au dossier par le ministre de l'intérieur, que le texte du décret attaqué ne contient pas de disposition qui diffèrerait à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret doit être écarté.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
4. En premier lieu, en instituant une infraction pour participation à une manifestation sur la voie publique interdite sur le fondement de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure et en prévoyant de la réprimer par l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, le décret attaqué a cherché, en augmentant le montant de l'amende encourue en cas de participation à une manifestation interdite, à assurer un meilleur respect des interdictions décidées sur le fondement de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure. Si la Ligue des droits de l'homme soutient que l'institution d'une telle infraction conduit à sanctionner une personne au seul motif qu'elle fait usage de la liberté d'expression et de manifestation, sans considération de son comportement individuel ni du déroulement de la manifestation interdite, les dispositions attaquées sanctionnent le fait de participer à une manifestation en dépit de l'interdiction édictée. La peine encourue ne faisant que sanctionner le non-respect de l'interdiction prévue par la loi, laquelle doit être justifiée par la nécessité de prendre une telle mesure pour préserver l'ordre public, les dispositions de l'article R. 644-4 issues du décret attaqué ne portent pas, par elles-mêmes, atteinte à la liberté de manifester ni à la liberté d'expression garanties par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. En deuxième lieu, si la Ligue des droits de l'homme soutient que l'infraction instituée est insuffisamment précise et prévisible et que la sanction prévue est dépourvue de nécessité, il résulte des dispositions de l'article R. 644-4 du code pénal issues du décret attaqué, qui sont dépourvues d'ambiguïté, qu'elles sanctionnent le fait de prendre personnellement part à une manifestation sur la voie publique interdite, l'intention des personnes présentes dans le périmètre de la manifestation interdite d'y participer effectivement étant soumise à l'appréciation du juge pénal, et que ces dispositions ne s'appliquent que dans l'hypothèse où la manifestation sur la voie publique a été interdite sur le fondement de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure. Si, en application de ces dispositions, la décision interdisant une manifestation sur la voie publique doit être dûment notifiée aux organisateurs et préciser les motifs, la date, les horaires et le périmètre de l'interdiction, il appartient également à l'autorité administrative d'informer le public par tout moyen utile de l'interdiction édictée. Par ailleurs, la circonstance que des manifestations sur la voie publique soient organisées sans être déclarées au préalable et que le code pénal réprime les faits de violence commis lors d'attroupements sur la voie publique est sans incidence sur l'appréciation de la nécessité de la peine prévue par le décret attaqué. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des principes énoncés à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 610-5 du code pénal : " La violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 1re classe ". Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la méconnaissance des interdictions ou obligations prévues par un décret ou un arrêté de police est sanctionnée par un texte spécial. Par suite, si la Ligue des droits de l'homme soutient que, faute d'exclure la possibilité d'infliger une amende sur le fondement de l'article R. 610-5 à une personne participant à une manifestation sur la voie publique interdite, le décret attaqué porterait atteinte au principe d'égalité devant la loi en instituant des sanctions différentes pour les mêmes faits, ce moyen ne peut qu'être écarté.
7. Il résulte de ce qui précède que la Ligue des droits de l'homme n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Ligue des droits de l'homme est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l'homme, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.