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15/07/2020 | FRANCE | N°423702

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 15 juillet 2020, 423702


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 9 novembre 2015 par laquelle le conseil municipal de la commune de Moëslains a adopté un blason. Par un jugement n° 1602096 du 4 juillet 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17NC02320 du 28 juin 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 août et 2

8 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 9 novembre 2015 par laquelle le conseil municipal de la commune de Moëslains a adopté un blason. Par un jugement n° 1602096 du 4 juillet 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17NC02320 du 28 juin 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 août et 28 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Moëslains la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- la décision du 22 février 2019 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevé par M. B... ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Yaël Treille, auditeur,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. B... et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la commune de Moëslains;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 9 novembre 2015, le conseil municipal de la commune de Moëslains a adopté un blason destiné à être utilisé sur " les différents documents municipaux ". M. B..., conseiller municipal, a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler pour excès de pouvoir cette délibération. Par un jugement du 4 juillet 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande. M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 juin 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement.

2. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ". Le principe de laïcité, qui figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, impose notamment que la République assure la liberté de conscience et l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et garantisse le libre exercice des cultes. Il en résulte également la neutralité de l'Etat et des autres personnes publiques à l'égard des cultes, la République n'en reconnaissant ni n'en salariant aucun. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat traduit ces exigences constitutionnelles. Ainsi, aux termes de l'article 1er de cette loi : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public " et, aux termes de son article 2 : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ".

3. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 qu'un blason communal, qui a pour objet de présenter sous forme emblématique des éléments caractéristiques, notamment historiques, géographiques, patrimoniaux, économiques ou sociaux d'une commune, ne peut légalement comporter d'éléments à caractère cultuel que si ceux-ci sont directement en rapport avec ces caractéristiques de la commune, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse.

4. La cour administrative d'appel de Nancy a constaté, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que le blason contesté par M. B... représente deux volutes opposées, surmontées de deux cônes eux-mêmes placés sous un léopard d'or, que les deux volutes évoquent les crosses épiscopales de Saint-Nicolas et Saint-Aubin et se réfèrent ainsi aux deux édifices notables du patrimoine communal, l'église Saint-Nicolas et la chapelle Saint-Aubin, et que le léopard rappelle le blason de la famille C..., qui a marqué l'histoire de la commune. En jugeant, au vu de ces constatations souveraines, que le blason, pris dans son ensemble, présentait sous forme emblématique des éléments caractéristiques de l'histoire et du patrimoine de la commune et en en déduisant qu'il ne pouvait être regardé comme manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse, en méconnaissance des dispositions citées au point 2 ci-dessus, elle n'a pas commis d'erreur de droit.

5. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la cour a recherché si des circonstances particulières permettaient de justifier la présence de deux volutes évoquant les crosses épiscopales de Saint-Nicolas et Saint-Aubin. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise la cour, faute d'avoir procédé à une telle recherche, doit être écarté.

6. En troisième lieu, M. B... ne saurait utilement soutenir que la cour aurait dénaturé les faits qui lui étaient soumis en estimant que le graphisme des deux volutes était " très stylisé ", dès lors qu'elle ne s'est pas fondée sur ce motif surabondant pour juger que le blason litigieux n'était pas contraire au principe de laïcité.

7. En dernier lieu, l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 dispose que : " Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ". Ces dispositions s'opposent à toute installation par une personne publique, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse.

8. Si M. B... soutient que ces dispositions méconnaissent le principe de laïcité garanti par l'article 1er de la Constitution, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que, par sa décision visée ci-dessus du 22 février 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité qui était soulevée par le requérant, au motif qu'elle ne présentait pas de caractère sérieux. Par ailleurs, si la cour a jugé que, à supposer que le blason litigieux soit également appelé à être apposé sur des monuments ou des emplacements publics, la délibération attaquée ne méconnaissait pas ces dispositions, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit sur ce point.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. B... doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 000 euros à verser à la commune de Moëslains au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.

Article 2 : M. B... versera à la commune de Moëslains une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la commune de Moëslains.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 423702
Date de la décision : 15/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 jui. 2020, n° 423702
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Yaël Treille
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:423702.20200715
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