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03/07/2020 | FRANCE | N°426381

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 03 juillet 2020, 426381


Vu la procédure suivante :

La société Air Europa France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 septembre 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la section n° 13-6 de l'unité territoriale de Paris a refusé de l'autoriser à licencier M. B... A.... Par un jugement n° 1618658 du 14 novembre 2017, le tribunal administratif a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 18PA00142 du 18 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi

sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18...

Vu la procédure suivante :

La société Air Europa France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 septembre 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la section n° 13-6 de l'unité territoriale de Paris a refusé de l'autoriser à licencier M. B... A.... Par un jugement n° 1618658 du 14 novembre 2017, le tribunal administratif a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 18PA00142 du 18 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 décembre 2018, 18 mars 2019 et 24 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Air Europa France la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Yaël Treille, auditeur,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. A... et à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société Air Europa France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... a été recruté le 11 février 2011 par la société Air Europa France afin d'occuper les fonctions de superviseur de vol. Depuis le 11 mars 2014, M. A... est, par ailleurs, adjoint au maire de Montreuil, délégué à la jeunesse. Par une décision du 13 septembre 2016, l'inspecteur du travail de la section n° 13-6 de l'unité territoriale de Paris a refusé d'autoriser cette société à le licencier. Par un jugement du 14 novembre 2017, le tribunal administratif a annulé cette décision. M. A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 octobre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement.

Sur la procédure suivie devant le tribunal administratif :

2. En vertu de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, lorsqu'une des parties appelées à produire un mémoire dans le cadre de l'instruction n'a pas respecté le délai qui lui a été imparti à cet effet, le président de la formation de jugement du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel peut lui adresser une mise en demeure. Aux termes de l'article R. 612-6 du même code : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ".

3. Devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

4. Il résulte des dispositions et des règles qui viennent d'être rappelées que, sous réserve du cas où postérieurement à la clôture de l'instruction le défendeur soumettrait au juge une production contenant l'exposé d'une circonstance de fait dont il n'était pas en mesure de faire état avant cette date et qui serait susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le défendeur à l'instance qui, en dépit d'une mise en demeure, n'a pas produit avant la clôture de l'instruction est réputé avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant dans ses écritures. Il appartient alors seulement au juge de vérifier que la situation de fait invoquée par le demandeur n'est pas contredite par les pièces du dossier.

5. En premier lieu, la cour administrative d'appel de Paris a souverainement jugé, sans dénaturer les pièces du dossier, que la circonstance que M. A... a saisi un nouvel avocat en raison de l'absence de diligence du conseil qu'il avait initialement mandaté ne pouvait, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme une circonstance de fait de nature à l'empêcher de produire un mémoire en défense avant la clôture de l'instruction.

6. En second lieu, pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué devant elle, la cour s'est fondée, d'une part, sur la circonstance que le mémoire produit par M. A... devant le tribunal administratif après la clôture de l'instruction ne contenait aucune circonstance de fait ou élément de droit dont il n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui aurait obligé le tribunal administratif à rouvrir l'instruction et, d'autre part, sur ce que M. A... n'ayant pas produit de défense, en dépit d'une mise en demeure, il devait être réputé avoir admis l'exactitude matérielle des faits invoqués par la société Air Europa France, dont l'inexactitude ne ressortait d'aucune pièce versée au dossier. Ce faisant, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur la légalité de la décision administrative contestée :

7. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 2123-9 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 8 de la loi du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat, les maires, d'une part, ainsi que les adjoints au maire des communes de 10 000 habitants au moins, d'autre part, lorsqu'ils continuent d'exercer leur activité professionnelle pendant leur mandat, " sont considérés comme des salariés protégés au sens du livre IV de la deuxième partie du code du travail ".

8. En vertu du livre IV de la deuxième partie du code du travail et des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 2123-9 du code général des collectivités territoriales alors en vigueur, le licenciement de salariés qui détiennent un mandat de maire, d'une part, ou d'adjoint au maire de communes de 10 000 habitants au moins, d'autre part, bénéficient d'une protection exceptionnelle en vue de la protection des mandats politiques qu'ils exercent. Leur licenciement ne peut ainsi intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est requise si le salarié bénéficie de la protection attachée à son mandat à la date de l'envoi par l'employeur de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions électives exercées par l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivé par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

9. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, qui ne sont pas arguées de dénaturation, que la cour administrative d'appel de Paris a jugé que M. A... avait pris ses fonctions avec retard le 21 mai 2016 et qu'il avait remis un rapport de vol incomplet le 13 mai 2016. Si seuls ces faits fondaient la demande tendant à ce que le licenciement de M. A... soit autorisé, la cour a également relevé qu'ils s'inscrivaient dans la suite, d'une part, de précédents retards, au nombre d'une trentaine depuis 2013, ayant fait l'objet d'avertissements, et d'autre part, d'autres occurrences de remises de rapports incomplets, ayant donné lieu à des signalements par la hiérarchie de M. A.... En jugeant, à l'issue de l'ensemble de ces constatations, que les fautes reprochées à l'intéressé présentaient une gravité suffisante pour justifier son licenciement, la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

10. En second lieu, en retenant que les retards litigieux n'étaient pas liés à l'exercice de son mandat d'adjoint au maire de Montreuil, certains d'entre eux ayant d'ailleurs été constatés avant qu'il ne détienne ce mandat, et en jugeant que le projet de licenciement était sans rapport avec les fonctions électives exercées par M. A..., la cour administrative d'appel de Paris a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. A... doit être rejeté, y compris en ce qu'il comporte des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la société Air Europa France.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Air Europa France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à la société Air Europa France.

Copie sera adressée à la ministre du travail.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 426381
Date de la décision : 03/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COLLECTIVITÉS TERRITORIALES - COMMUNE - ORGANISATION DE LA COMMUNE - ORGANES DE LA COMMUNE - MAIRE ET ADJOINTS - PROTECTION DES SALARIÉS DÉTENANT UN MANDAT DE MAIRE OU D'ADJOINT AU MAIRE (ART - L - 2123-9 DU CGCT ISSU DE LA LOI DU 31 MARS 2015) - MOTIFS DE REFUS DE L'AUTORISATION DE LICENCIEMENT [RJ1] - 1) LICENCIEMENT EN RAPPORT AVEC LES FONCTIONS ÉLECTIVES - 2) FAUTE D'UNE INSUFFISANTE GRAVITÉ.

135-02-01-02-02 En vertu du livre IV de la deuxième partie du code du travail et du dernier alinéa de l'article L. 2123-9 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dans sa version issue de l'article 8 de la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015, le licenciement de salariés qui détiennent un mandat de maire, d'une part, ou d'adjoint au maire de communes de 10 000 habitants au moins, d'autre part, bénéficient d'une protection exceptionnelle en vue de la protection des mandats politiques qu'ils exercent. Leur licenciement ne peut ainsi intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail.,,,1) Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions électives exercées par l'intéressé.... ,,2) Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

TRAVAIL ET EMPLOI - LICENCIEMENTS - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION - SALARIÉS DÉTENANT UN MANDAT DE MAIRE OU D'ADJOINT AU MAIRE (ART - L - 2123-9 DU CGCT ISSU DE LA LOI DU 31 MARS 2015) - MOTIFS DE REFUS [RJ1] - 1) LICENCIEMENT EN RAPPORT AVEC LES FONCTIONS ÉLECTIVES - 2) FAUTE D'UNE INSUFFISANTE GRAVITÉ.

66-07-01-04 En vertu du livre IV de la deuxième partie du code du travail et du dernier alinéa de l'article L. 2123-9 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dans sa version issue de l'article 8 de la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015, le licenciement de salariés qui détiennent un mandat de maire, d'une part, ou d'adjoint au maire de communes de 10 000 habitants au moins, d'autre part, bénéficient d'une protection exceptionnelle en vue de la protection des mandats politiques qu'ils exercent. Leur licenciement ne peut ainsi intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail.,,,1) Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions électives exercées par l'intéressé.... ,,2) Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant d'un salarié protégé au titre de son mandat syndical, CE, Assemblée, 5 mai 1976, Société d'aménagement foncier et d'établissement rural d'Auvergne et ministre de l'Agriculture c/ Bernette, n°s 98647 98820, p. 232.


Publications
Proposition de citation : CE, 03 jui. 2020, n° 426381
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Yaël Treille
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP COLIN-STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:426381.20200703
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