Vu la procédure suivante :
M. D... C... et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de leur accorder la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2006 et, d'autre part, des droits d'enregistrement auxquels ils ont été assujettis au titre de la même année. Par un jugement n° 1201656 du 8 février 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 16LY01218 du 6 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Lyon a déchargé, d'une part, M. C... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2006 et des pénalités correspondantes, et, d'autre part, Mme A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2006 et des pénalités correspondantes qui excèdent celles résultant de l'application du 9 de l'article 150-0 D du code général des impôts.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 janvier et 25 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1, 2 et 3 de cet arrêt et, en cas de règlement au fond, de procéder à une substitution de base légale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... et son épouse, Mme A..., ont apporté, en 2004, à la société Korfy, dont ils étaient les associés, les parts des sociétés Axia et Néa dont ils étaient titulaires, pour une valeur de 1 630 000 euros. Les plus-values d'échange de titres réalisées par M. C... et Mme A... ont alors bénéficié d'un sursis d'imposition en application des dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts. En 2006, la société Korfy a procédé à une réduction de son capital social en réduisant la valeur nominale des parts de 10 000 euros à 70 euros, le nombre de titres demeurant inchangé. Une somme de 1 618 590 a alors été restituée à M. C... et à Mme A.... A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause le sursis d'imposition dont bénéficiaient les contribuables en mettant en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et les a imposés, au titre de l'année 2006, à raison de la plus-value d'échange réalisée lors de l'apport des titres des sociétés Axia et Néa à la société Korfy. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 novembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a déchargé les contribuables des impositions résultant de ce redressement.
2. D'une part, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux de valeurs mobilières sont soumis à l'impôt sur le revenu en vertu des dispositions de l'article 150-0 A du code général des impôts. Toutefois, l'article 150-0 B du même code, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ". Aux termes du 9 de l'article 150-0 D du même code : " En cas de vente ultérieure ou de rachat mentionné au 6 du II de l'article 150-0 A de titres reçus à l'occasion d'une opération mentionnée à l'article 150-0 B (...) le gain net est calculé à partir du prix ou de la valeur d'acquisition des titres échangés, diminué du montant de la soulte reçue, qui n'a pas fait l'objet d'une imposition au titre de l'année de l'échange, ou majoré de la soulte versée lors de cet échange ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les règles d'imposition des gains nets retirés des cessions à titre onéreux de valeurs mobilières ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. Le bénéfice de ce sursis d'imposition prend fin l'année de la cession des titres reçus lors de l'échange.
3. D'autre part, l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / (...) b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (...) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Dans une telle hypothèse, l'administration doit, pour établir l'impôt qui aurait été dû en l'absence de ces actes, se fonder non pas sur la date de l'acte qu'elle a écarté mais sur celle de l'opération dont elle entend tirer les conséquences et qui constitue le fait générateur de l'imposition.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a estimé que la décision de la société Korfy, prise en 2006, de réduire son capital et de rembourser à ses deux associés la valeur de leur apport ne présentait pas de justification économique et n'avait eu d'autre objectif que de permettre à ces derniers d'appréhender la quasi-totalité de la valeur des titres de la société Korfy tout en continuant à bénéficier du sursis d'imposition de la plus-value d'échange résultant de l'apport des titres qu'ils avaient opéré en 2004. Elle a considéré que cette opération constituait un acte assimilable à une vente de titres ou à un rachat par une société de ses propres titres qui devait, en application du 9 de l'article 150-0 D du code général des impôts, mettre fin au sursis d'imposition dont bénéficiaient les contribuables. Dès lors en jugeant que l'administration avait entendu, en mettant en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, remettre en cause le bénéfice du mécanisme du sursis d'imposition dont les contribuables avaient bénéficié au moment de leur apport en 2004 alors qu'il ressort tant de la proposition de rectification du 13 mai 2008 que de la réponse aux observations du contribuable du 29 juillet 2008, que l'administration a remis en cause uniquement le maintien, en 2006, du sursis d'imposition dont les contribuables bénéficiaient, la cour a dénaturé les pièces du dossier.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation des articles 1 à 3 de l'arrêt qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1, 2 et 3 de l'arrêt du 6 novembre 2018 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. C... et Mme A... au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics, à M. D... C... et à Mme B... A....