La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2020 | FRANCE | N°426277

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 09 juin 2020, 426277


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 14 décembre 2018 et les 13 mars et 4 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiées Rhum Damoiseau, la société agricole de Bologne, la société Distillerie Longueteau, la société Père-Labat-Domaine Poisson, la société Etablissements Bellevue Reimonenq et la société d'exploitation de la Distillerie Bielle demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 13 juin 2018 du ministre d

e l'agriculture et de l'alimentation, du ministre de l'action et des comptes publics e...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 14 décembre 2018 et les 13 mars et 4 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiées Rhum Damoiseau, la société agricole de Bologne, la société Distillerie Longueteau, la société Père-Labat-Domaine Poisson, la société Etablissements Bellevue Reimonenq et la société d'exploitation de la Distillerie Bielle demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 13 juin 2018 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, du ministre de l'action et des comptes publics et de la ministre des outre-mer portant répartition entre les départements d'outre-mer du contingent d'exportation de rhum traditionnel ;

2°) d'annuler l'arrêté du 13 juin 2018 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, du ministre de l'action et des comptes publics et de la ministre des outre-mer portant répartition entre les distilleries du contingent d'exportation de rhum traditionnel et relatif à la gestion de ce contingent ;

3°) d'annuler les décisions implicites du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, du ministre de l'action et des comptes publics et du ministre des outre-mer du 14 octobre 2018 rejetant leur recours gracieux ;

4°) d'enjoindre à l'Etat d'arrêter la répartition du contingent d'exportation de rhum traditionnel agricole dans des conditions qui tiennent compte de l'état actuel de la production de rhum agricole dans les départements d'outre-mer ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la décision (UE) 2017/2152 du Conseil du 15 novembre 2017 ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Rhum Damoiseau, de la société Agricole de Bologne, de la société Distillerie Longueteau, de la société Père Labat-Domaine Poisson, de la société Établissements Bellevue Reimonenq et de la société d'exploitation de la Distillerie Bielle ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision (UE) 2017/2152 du 15 novembre 2017, le Conseil de l'Union Européenne a autorisé la France à appliquer un taux réduit d'accise pour des productions de rhum " traditionnel " en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à la Réunion, dans la limite d'un contingent annuel de 144 000 hectolitres d'alcool pur (HAP), soit une augmentation de 20 % par rapport au contingent précédemment en vigueur. L'article 362 du code général des impôts, d'une part, et l'article 403 du même code, d'autre part, tels que modifiés par l'article 67 de la loi du 28 décembre 2017 de finances pour 2017, prévoient respectivement une exemption de la soulte et un droit de consommation réduit pour ces productions de rhum, dans la limite de cette quantité de 144 000 HAP par an. Par un arrêté du 13 juin 2018, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le ministre de l'action et des comptes publics et la ministre des outre-mer ont réparti entre les départements d'outre-mer ce contingent annuel de 144 000 HAP. Par un second arrêté du 13 juin 2018, ces ministres ont en outre réparti le contingent de chacun de ces départements entre les distilleries présentes dans le département concerné. La société par actions simplifiée Rhum Damoiseau, la société agricole de Bologne, la société Distillerie Longueteau, la société Père-Labat-Domaine Poisson, la société Etablissements Bellevue Reimonenq et la société d'exploitation de la Distillerie Bielle demandent au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux arrêtés ainsi que du rejet par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le ministre de l'action et des comptes publics et le ministre des outre-mer de la demande qu'ils leur ont adressée, datée du 6 août 2018 et dont il a été accusé réception le 14 août, tendant au retrait de ces arrêtés.

Sur le désistement de la société Père-Labat-Domaine Poisson :

2. Le désistement de la société Père-Labat-Domaine Poisson est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

Sur l'intervention du comité interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d'outre-mer :

3. D'une part, le comité interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d'outre-mer (CIRT-DOM), qui a notamment pour objet de " prendre toutes les mesures utiles à la défense des intérêts des entreprises constituant l'interprofession du rhum traditionnel des DOM " selon les termes de l'article 4 de ses statuts figurant au dossier, justifie d'un intérêt suffisant au maintien des arrêtés et de la décision attaquée. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article 13 de ces statuts que son président est chargé de représenter le CIRT-DOM en justice. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée à l'intervention du CIRT-DOM par la société Rhum Damoiseau, la société agricole de Bologne, la société Distillerie Longueteau, la société Etablissements Bellevue Reimonenq et la société d'exploitation de la Distillerie Bielle doit être écartée.

Sur la légalité externe :

4. Aux termes de l'article 269 A de l'annexe 2 au code général des impôts : " Pour l'application du régime contingentaire des rhums et tafias, les contingents départementaux et les contingents des distilleries sont répartis par arrêtés conjoints du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et des ministres chargés de l'agriculture et de l'outre-mer, après avis du conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d'outre-mer (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que, après réception d'un courrier de la ministre des outre-mer du 8 décembre 2017 demandant au président du CIRT-DOM de lui communiquer la position de cette organisation sur la répartition des contingents de rhum, celui-ci a organisé un vote à distance des membres du conseil d'administration de cette organisation sur la base d'une proposition de répartition qui avait été préalablement présentée lors d'une réunion du conseil d'administration du 21 novembre 2017. En outre, antérieurement à la formulation de cette proposition, un groupe de travail a été mis en place au sein du CIRT-DOM permettant aux différents représentants des départements d'outre-mer de faire valoir leurs points de vue. Par courrier du 18 janvier 2018, le président du CIRT-DOM a informé la ministre des outre-mer des résultats du vote, dont il ressort que la proposition de répartition présentée a recueilli 8 votes " pour ", 3 votes " contre ", correspondant aux trois représentants de la Guadeloupe au conseil d'administration, et une abstention. Par un autre courrier du 18 avril 2018, le président du CIRT-DOM a confirmé cet avis auprès de la ministre des outre-mer après l'échec de nouveaux échanges entre représentants des départements d'outre-mer, en particulier de la Martinique et de la Guadeloupe. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le CIRT-DOM a été régulièrement consulté avant l'intervention des arrêtés litigieux et que les modalités retenues par le président du conseil d'administration du CIRT-DOM pour rendre l'avis de celui-ci, qui n'ont privé les requérantes d'aucune garantie, n'ont pas eu d'incidence sur le sens de cet avis.

6. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les arrêtés litigieux seraient entachés d'un vice de procédure, dès lors que l'avis du CIRT-DOM a résulté d'un vote organisé par correspondance, doit être écarté.

Sur la légalité interne :

7. En premier lieu, si le courrier du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, du ministre de l'action et des comptes publics et de la ministre des outre-mer du 11 octobre 2018, en réponse au recours gracieux des sociétés requérantes, indique que des démarches ont été initiées auprès de la Commission pour assouplir la gestion du contingent et qu'un rapport d'expertise était attendu à ce sujet, il n'en ressort pas que ces ministres ont conditionné à ces éléments la répartition des contingents de rhum retenue dans les arrêtés litigieux, alors d'ailleurs que, dans ce même courrier, ils ont justifié cette répartition par les objectifs de réduire l'écart entre la Guadeloupe et la Martinique et de favoriser les rhums agricoles par rapport aux rhums de sucrerie. Par suite, le moyen tiré de ce que les ministres auraient commis une erreur de droit en se croyant en situation de compétence liée doit être écarté.

8. En second lieu, les requérantes soutiennent que les arrêtés et la décision qu'elles attaquent sont illégaux au motif qu'ils prévoient une répartition du contingent de rhum agricole entre les départements d'outre-mer qui ne serait pas liée à la production effectivement réalisée et qui serait ainsi défavorable aux distilleries de la Guadeloupe, dont les exportations de rhum agricole seraient davantage taxées que celles de la Martinique, du fait du dépassement du contingent.

9. D'une part, il résulte de l'article 269 A de l'annexe 2 au code général des impôts que les contingents départementaux et les contingents de distilleries sont répartis " en prenant en compte en priorité les références commerciales de 1991 à 1994 ". Il ressort des pièces du dossier que, par rapport aux contingents existants antérieurement aux arrêtés litigieux, dont il n'est pas soutenu qu'ils n'auraient pas respecté ce principe de répartition, et alors que le contingent annuel global de rhum bénéficiant d'un taux réduit d'accises a augmenté de 20 % comme il a été dit au point 1, le contingent annuel de rhum agricole pour la Guadeloupe a augmenté de 50,7 % et le contingent pour la Martinique de 22,3 %, la répartition de l'accroissement du contingent global ayant ainsi permis de prendre en compte, outre le critère prioritaire de répartition énoncé par les dispositions précitées, l'évolution de la production constatée depuis cette période de référence.

10. D'autre part, les autres éléments invoqués par les requérantes ne caractérisent pas une méconnaissance par les décisions attaquées des principes régissant la répartition des contingents entre départements. Tout d'abord, si les requérantes soutiennent que le contingent annuel de 11 327,78 HAP attribué à la distillerie " le Galion " de rhum de sucrerie, située à la Martinique, serait surestimé au regard de sa production réelle, et qu'il aurait dû, dans cette mesure, être transféré aux distilleries guadeloupéennes, ce contingent n'a, en tout état de cause, pas été augmenté par les arrêtés litigieux. Ensuite, s'il ressort des pièces du dossier qu'une partie de ce rhum a été produit à façon en Guadeloupe pour le compte de la Martinique à hauteur de 2 214 HAP en 2018, il n'est pas démontré que cette situation, qui concerne la filière particulière du rhum de sucrerie utilisant les mélasses, aurait en elle-même une incidence directe sur le volume de production de rhum agricole. Enfin, les allégations selon lesquelles il aurait été convenu de tenir compte de transferts de mélasses illicites de la Guadeloupe vers la Martinique après 2016 ne sont assorties d'aucun élément permettant d'établir l'existence de tels transferts.

11. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est sans erreur manifeste d'appréciation que les arrêtés et la décision attaqués ont fixé à 17 007,36 HAP le contingent annuel de rhum agricole pour la Guadeloupe.

12. Il résulte de ce qui précède que la société par actions simplifiée Rhum Damoiseau, la société agricole de Bologne, la société Distillerie Longueteau, la société Etablissements Bellevue Reimonenq et la société d'exploitation de la Distillerie Bielle ne sont pas fondées à demander l'annulation des arrêtés et de la décision qu'elles attaquent.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est donné acte du désistement de la société Père-Labat-Domaine Poisson.

Article 2 : L'intervention du comité interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d'outre-mer est admise.

Article 3 : La requête de la société par actions simplifiées Rhum Damoiseau, de la société agricole de Bologne, de la société Distillerie Longueteau, de la société Etablissements Bellevue Reimonenq et de la société d'exploitation de la Distillerie Bielle est rejetée.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiées Rhum Damoiseau, à la société agricole de Bologne, à la société Distillerie Longueteau, à la société Père-Labat-Domaine Poisson, à la société Etablissements Bellevue Reimonenq, à la société d'exploitation de la Distillerie Bielle, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, au ministre de l'action et des comptes publics, à la ministre des outre-mer et au conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d'outre-mer.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 426277
Date de la décision : 09/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 jui. 2020, n° 426277
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sylvain Monteillet
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:426277.20200609
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award