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03/06/2020 | FRANCE | N°437638

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 03 juin 2020, 437638


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 janvier et 15 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Partage et Ambition et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 novembre 2019 du directeur de l'Ecole nationale d'administration (ENA) arrêtant le classement des élèves de la promotion " Molière " 2018-2019, les décisions individuelles de classement découlant de cette décision de classement générale, notamment celle adressée à M.

B..., l'arrêté du 23 décembre 2019 du ministre de l'action et des comptes publi...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 janvier et 15 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Partage et Ambition et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 novembre 2019 du directeur de l'Ecole nationale d'administration (ENA) arrêtant le classement des élèves de la promotion " Molière " 2018-2019, les décisions individuelles de classement découlant de cette décision de classement générale, notamment celle adressée à M. B..., l'arrêté du 23 décembre 2019 du ministre de l'action et des comptes publics portant affectation aux carrières des élèves de cette promotion, et toute décision administrative prise en application de cet arrêté, ainsi que le décret du 30 décembre 2019 du Président de la République portant nomination et titularisation de certains des élèves de cette promotion dans le corps des administrateurs civils ;

2°) de mettre à la charge de l'Ecole nationale d'administration la somme de 2 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2015-1449 du 9 novembre 2015 ;

- l'arrêté du 4 décembre 2015 portant approbation du règlement intérieur de l'Ecole nationale d'administration ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Ecole nationale d'administration ;

Considérant ce qui suit :

Sur le désistement partiel de M. A... B... :

1. M. B... a déclaré se désister des conclusions de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 23 décembre 2019 du ministre de l'action et des comptes publics portant affectation aux carrières des élèves de cette promotion, de toute décision administrative prise en application de cet arrêté, ainsi que du décret du 30 décembre 2019 du Président de la République portant nomination et titularisation de certains des élèves de cette promotion dans le corps des administrateurs civils. Ce désistement est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

Sur les demandes de renvoi pour cause de suspicion légitime :

2. Les dernières écritures, en date du 15 mai 2020, par lesquelles les requérants soutiennent que le Conseil d'Etat ne pourrait trancher le litige sans méconnaître le principe d'impartialité des juridictions doivent être regardées comme tendant au renvoi de l'affaire devant une autre juridiction pour cause de suspicion légitime.

3. Une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime ne peut être adressée qu'à la juridiction immédiatement supérieure à celle suspectée de partialité. Elle ne peut donc être mise en oeuvre pour s'opposer à ce que le Conseil d'Etat, qui n'a pas de juridiction supérieure, juge une affaire portée devant lui, soit dans l'exercice -comme en l'espèce- de sa compétence en premier et dernier ressort, soit dans l'exercice de son pouvoir de juge d'appel ou de cassation. Il s'ensuit que cette demande des requérants est irrecevable.

Sur la légalité externe des actes attaqués :

4. En premier lieu, l'article 40 du décret n° 2015-1449 du 9 novembre 2015 susvisé dispose que : " Un classement général des élèves est établi d'après le total des points obtenus par chacun d'eux. Ce total est calculé à partir des notes de stages, des notes de contrôle continu et des notes des épreuves, selon les coefficients fixés par le règlement intérieur ". Les modalités de publicité d'un acte étant sans incidence sur sa légalité, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la décision du 12 novembre 2019 du directeur de l'école nationale d'administration (ENA) arrêtant le classement général de sortie des élèves de la promotion 2018-2019 serait entaché d'illégalité à raison de l'absence de publicité dont il a fait l'objet.

5. En second lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que si la décision individuelle de classement de M. B... en date du 7 novembre 2019 n'est revêtue d'aucune signature, tel n'est pas le cas du certificat de classement individuel le concernant en date du 26 novembre 2019 qui est revêtu de la signature du directeur de l'ENA. D'autre part, l'authenticité et la validité de l'arrêté du 23 décembre 2019 du ministre de l'action et des comptes publics et du décret du 30 décembre 2019 du Président de la République sont attestés par leur publication au Journal officiel de la République française. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que ces actes seraient entachés d'illégalité faute d'avoir fait l'objet d'une signature ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne des actes attaqués :

6. En premier lieu, les requérants soutiennent que l'épreuve classante de conduite des politiques publiques dans les territoires aurait été conduite en méconnaissance du principe d'impartialité, le président du jury de cette épreuve ayant été le maître de stage d'un élève de la promotion.

7. La seule circonstance qu'un membre d'un jury d'un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations de ce concours. En revanche, le respect du principe d'impartialité exige que, lorsqu'un membre du jury d'un concours a avec l'un des candidats des liens, tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit non seulement s'abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat mais encore concernant l'ensemble des candidats au concours. En outre, un membre du jury qui a des raisons de penser que son impartialité pourrait être mise en doute ou qui estime, en conscience, ne pas pouvoir participer aux délibérations avec l'impartialité requise, doit également s'abstenir de prendre part à toutes les interrogations et délibérations de ce jury en vertu des principes d'unicité du jury et d'égalité des candidats devant celui-ci.

8. Il est constant que le président du jury de l'épreuve écrite et orale de mise en situation individuelle et collective sur la conduite des politiques publiques dans les territoires pour la promotion 2018-2019, désigné le 1er avril 2019, a été le maître de stage " Territoires " d'une élève de cette promotion. Il ressort toutefois des pièces du dossier, d'une part, qu'il ne l'a été qu'entre le 4 juin 2018, date de début du stage, et le 21 août 2018, date à laquelle il a été admis à la retraite de telle sorte qu'il n'a assumé cette fonction que pendant une durée inférieure à trois mois sur les six que dure le stage et qu'il n'a pas procédé à l'évaluation finale de cette élève. D'autre part, les conditions de déroulement de l'épreuve litigieuse, qui se compose d'une présentation orale individuelle, d'une mise en situation collective et de la rédaction d'une conclusion écrite individuelle, excluent toute participation directe du président du jury, les élèves faisant l'objet d'une évaluation par les binômes constitués par les six assesseurs composant le jury qui sont chargés de reporter les notes attribuées sur un relevé anonymisé sur lequel les noms des élèves sont remplacés par des codes. Le président du jury, qui assure, en amont de l'épreuve, l'harmonisation de la difficulté des sujets proposés à chaque groupe d'élèves et celle des critères d'évaluation, ne participe directement ni à l'interrogation des élèves, ni à leur évaluation. Il est, en aval de l'épreuve, chargé de la signature du relevé des notes finales et de l'établissement du rapport du jury. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité du jury doit être écarté.

9. En deuxième lieu, il ressort pas des pièces du dossier que si certains élèves de la promotion ont été informés avant les autres de la composition des groupes formés pour l'épreuve collective de conduite des politiques publiques territoriales, ce n'est qu'en leur qualité de délégués des élèves. Cette circonstance n'est pas de nature à entraîner, par elle-même, une rupture d'égalité entre les élèves.

10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que si un incident technique, d'une durée inférieure à cinq minutes, a interrompu la session ouverte par M. B... sur son ordinateur personnel lors de l'épreuve d'analyse et de rédaction de texte juridique, celui-ci a pu bénéficier d'un redémarrage rapide de sa session qui lui a permis de reprendre l'épreuve à son début. Dès lors que le temps dont il a bénéficié n'est inférieur que d'une minute et quinze secondes par rapport à la durée de six heures de cette épreuve, cette seule circonstance n'est pas de nature à entraîner une rupture d'égalité entre les candidats. Si les requérants soutiennent en outre qu'un autre élève aurait été confronté à une interruption similaire de sa session lors de l'épreuve écrite de gestion économique et financière et que d'autres élèves auraient au contraire bénéficié d'un temps supérieur à la durée prévue pour cette épreuve ainsi que pour l'épreuve de légistique, ils n'apportent à l'appui de leurs allégations aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé.

11. En quatrième lieu, si les requérants soutiennent que certains élèves de la promotion auraient été autorisés à concourir aux épreuves sportives dans deux disciplines dont les tableaux des disciplines sportives de l'ENA prévoient pourtant l'incompatibilité, il ressort des pièces du dossier qu'une telle dérogation n'a été accordée à certains élèves, sur justification, que pour des raisons médicales. Le moyen tiré de la rupture d'égalité entre les élèves au regard des épreuves sportives doit, par suite, être écarté.

12. En cinquième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'ENA a procédé à une répartition identiquement hétérogène des élèves dans les groupes composés en vue de l'épreuve de " rapport sur commande d'une administration ", en panachant en leur sein la présence d'élèves issus des différents concours d'entrée, d'élèves étrangers du cycle international long et d'élèves officiers supérieurs de la gendarmerie, pour lesquels cette épreuve ne constitue pas une épreuve classante. La circonstance que la proportion de chacun de ces sous-ensembles n'ait pas été strictement identique dans l'ensemble des groupes n'est pas de nature à entraîner une rupture d'égalité entre les élèves.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le directeur de l'Ecole nationale d'administration, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des actes qu'ils attaquent.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Ecole nationale d'administration qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Ecole nationale d'administration au titre de ce même article.

D E C I D E :

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Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de la requête de M. B... dirigées contre l'arrêté du 23 décembre 2019 du ministre de l'action et des comptes publics portant affectation aux carrières des élèves de cette promotion, toute décision administrative prise en application de cet arrêté, et contre le décret du 30 décembre 2019 du Président de la République portant nomination et titularisation de certains des élèves de cette promotion dans le corps des administrateurs civils.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... et la requête de l'association Partage et Ambition sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de l'Ecole nationale d'administration présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Partage et Ambition, à M. A... B... et à l'Ecole nationale d'administration.

Copie en sera adressée au ministre de l'action et des comptes publics et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 437638
Date de la décision : 03/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 jui. 2020, n° 437638
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Christelle Thomas
Rapporteur public ?: Mme Anne Iljic
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:437638.20200603
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