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29/01/2020 | FRANCE | N°416146

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 29 janvier 2020, 416146


Vu 1°, sous le n° 416146, la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 novembre 2017 et 18 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Compagnie des experts architectes près la cour d'appel de Paris (CEACAP), MM. T... O..., D...-CB... P..., AA... AI..., L... BB..., D...-CB... CE..., D... G..., AV... AQ..., AP... AS..., AJ... Z..., D...-CC... K..., BM... AW... et C... M... demandent au Conseil d'État :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir les articles III, IV et V et les annexes de la co

nvention du 18 avril 2017 entre le ministère de la justice et le Conseil ...

Vu 1°, sous le n° 416146, la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 novembre 2017 et 18 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Compagnie des experts architectes près la cour d'appel de Paris (CEACAP), MM. T... O..., D...-CB... P..., AA... AI..., L... BB..., D...-CB... CE..., D... G..., AV... AQ..., AP... AS..., AJ... Z..., D...-CC... K..., BM... AW... et C... M... demandent au Conseil d'État :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir les articles III, IV et V et les annexes de la convention du 18 avril 2017 entre le ministère de la justice et le Conseil national des compagnies d'experts de justice (CNCEJ) concernant la dématérialisation de l'expertise civile entre les experts et les juridictions de premier et second degrés, et ses annexes, la décision du garde des sceaux, ministre de la justice et les décisions du président et du président d'honneur du CNCEJ de signer cette convention ainsi que les décisions implicites de rejet des recours gracieux formés contre ces décisions ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer la résiliation de la convention ou l'abrogation, dans cette mesure, de la convention ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu 2°, sous le n° 416148, la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 novembre 2017 et 18 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Compagnie des experts architectes près la cour d'appel de Paris (CEACAP) demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 juin 2017 du garde des sceaux, ministre de la justice portant application des dispositions du titre XXI du livre Ier du code de procédure civile aux experts judiciaires et la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu 3°, sous le n° 419905, la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 avril 2018 et 18 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Compagnie nationale des experts de justice en environnement, la société Carrementnet, Mme I... A..., M. BT..., M. AE... AD..., Mme U... AD..., MM. R... AF..., D...-AM... AG..., J... N..., BH... BA... et AE... AH..., BU... BF..., MM. AM... BG..., BH... S... et AU... BJ..., BW... F..., M. D...-H... AK..., M. AZ... AL..., Mme Q... BR..., MM. BK... AR..., AV... E... et BK... X..., BY... BO..., MM. AB... AT..., H... BC..., AM... BL..., D...-CD... BD..., W... Y... du Bosc, Yvan Masson, Alain Muckenhirn, Bertrand Pascarel, Christophe Potet et Louis Prieur, Mme U... AC..., MM. AN... AX..., AN... BE... et BZ..., BS... AY..., M. AA... BV..., Mme BI... BN..., MM. BP... V..., W... BQ... et BX... AO... et la société NetExplorer demandent au Conseil d'État :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir les articles III, IV et V et les annexes de la convention du 18 avril 2017 entre le ministère de la justice et le CNCEJ concernant la dématérialisation de l'expertise civile entre les experts et les juridictions de premier et second degrés ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer la résiliation de la convention ou l'abrogation, dans cette mesure, de la convention ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de commerce ;

- le code de procédure civile ;

- la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 ;

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;

- le décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laurence Franceschini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boulloche, avocat de la Compagnie des experts architectes près la cour d'appel de Paris et autres, de la Compagnie nationale des experts de justice en environnement et autres et de M. D...-CA... B... et autres, et à la SCP Foussard, Froger, avocat du Conseil national des compagnies d'experts de justice.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 décembre 2019, présentée par la Compagnie des experts architectes près la cour d'appel de Paris et autres et de la Compagnie nationale des experts de justice en environnement et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article 748-1 du code de procédure civile : " Les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent titre ". L'article 748-6 du même code dispose : " Les procédés techniques utilisés doivent garantir, dans des conditions fixées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, la fiabilité de l'identification des parties à la communication électronique, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettre d'établir de manière certaine la date d'envoi et celle de la réception par le destinataire ".

3. Sur le fondement des dispositions de l'article 748-6 du code de procédure civile citées ci-dessus, le garde des sceaux, ministre de la justice a, par un arrêté du 14 juin 2017 portant application des dispositions du titre XXI du livre Ier du code de procédure civile aux experts judiciaires, défini les modalités de communication dématérialisée de l'expertise judiciaire civile entre la juridiction, les avocats, l'expert et les parties, en prévoyant notamment que cette communication est effectuée au moyen d'une plateforme sécurisée. Le même arrêté a prévu qu'un prestataire de services de confiance agissant sous la responsabilité du Conseil national des compagnies d'experts de justice (CNCEJ) assure la gestion de cette plateforme.

4. Le garde des sceaux, ministre de la justice a également signé le 18 avril 2017 avec le CNCEJ une convention ayant pour objet de préciser les modalités de consultation et d'échanges électroniques de documents et données relatifs aux expertises civiles confiées par les juridictions judiciaires du premier et du second degré aux experts de justice.

Sur la requête n° 416148 :

En ce qui concerne les interventions :

5. D'une part, la Compagnie nationale des experts de justice en environnement et autres justifient d'un intérêt suffisant au soutien de la requête. Leur intervention doit être admise.

6. D'autre part, M. D...-CA... B... et autres justifient également, en leur qualité d'experts, d'un intérêt suffisant à demander l'annulation des actes attaqués. Ainsi, leurs interventions au soutien de la requête sont admises.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 14 juin 2017 :

7. En premier lieu, l'article 748-6 du code de procédure civile précédemment cité confie au garde des sceaux, ministre de la justice, le soin de préciser notamment les conditions dans lesquelles les procédés techniques utilisés pour la communication par voie électronique doivent garantir la conservation des transmissions opérées et permettre d'établir, de manière certaine, la date d'envoi et celle de la réception par le destinataire. L'article 7 de l'arrêté attaqué du 14 juin 2017 précise ces garanties en prévoyant que les dates de dépôt des fichiers et d'ouverture des documents soumis au contradictoire sont garanties par des contremarques de temps. Il fixe également la durée de conservation de ces contremarques. Si les modalités de consultation de ces contremarques sont fixées par référence à une " matrice des droits " prévue par la convention passée entre le CNCEJ et le prestataire de services de confiance qu'il a retenu, rien n'interdisait au ministre de se référer à cette matrice des droits et par suite, la Compagnie des experts architectes près la cour d'appel de Paris et autres ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que le ministre de la justice aurait méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 748-6 en se référant à cette matrice

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 462-2 du code commerce, relatif à l'Autorité de la concurrence : " L'Autorité est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : / 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; / 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; / 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente ". L'arrêté attaqué du 14 juin 2017, qui se borne à confier au CNCEJ la détermination des conditions de forme et de sécurité dans lesquelles doivent s'effectuer sur la plateforme les échanges électroniques entre les experts, les juridictions, les avocats et les parties, relatifs aux expertises judiciaires civiles, ne peut être regardé comme ayant directement de tels effets. Dès lors, le moyen tiré de ce que cet arrêté serait irrégulier faute de consultation de l'Autorité de la concurrence doit être écarté.

9. En troisième lieu, l'article 35 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose : " Afin de susciter la plus large concurrence, les autorités concédantes procèdent à une publicité dans les conditions et sous réserve des exceptions définies par voie réglementaire, selon l'objet du contrat de concession ou sa valeur estimée hors taxe ". Si les requérants soutiennent que le ministre de la justice a méconnu les règles posées par ces dispositions en décidant de confier au CNCEJ, sans mise en concurrence préalable, la mission de service public consistant à organiser la communication dématérialisée des expertises judiciaires civiles, un tel moyen est inopérant à l'appui de conclusions dirigées contre l'arrêté attaqué du 14 juin 2017, qui n'a pas pour objet d'attribuer un marché ou une délégation de service public.

10. En quatrième lieu, si l'arrêté attaqué prévoit que la plateforme nécessaire à l'accès au service public de la justice est gérée par un prestataire de service agissant sous la responsabilité du CNCEJ, il n'a pas pour objet ni pour effet de désigner ce prestataire. Le moyen tiré de ce qu'il doit respecter les principes de la commande publique est donc inopérant.

11. En cinquième lieu, ainsi qu'il vient d'être dit, l'arrêté attaqué n'a pas pour objet ou pour effet de désigner le prestataire de service appelé à agir sous la responsabilité du CNCEJ. Dès lors, les moyens tirés de ce qu'il méconnaît le principe de libre prestation de service ou le principe de liberté de la concurrence et qu'il a pour effet de placer ce prestataire dans une situation d'abus de position dominante ne peuvent qu'être écartés.

12. En sixième lieu, il résulte des dispositions de la loi du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires et du décret du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires que l'exercice de l'activité d'expert de justice, de laquelle participe l'usage de la plateforme de communication électronique des expertises, est soumis à la seule condition d'être inscrit sur une liste des experts judiciaires, nationale ou dressée par une cour d'appel. Aucune disposition législative n'impose l'adhésion d'un expert à une compagnie d'experts. L'arrêté du 14 juin 2017 n'oblige pas à un expert d'adhérer à une compagnie d'experts pour pouvoir utiliser la plate-forme électronique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par cet arrêté de la liberté d'association ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

13. En septième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, ni la circonstance que le CNCEJ ne dispose pas d'un pouvoir règlementaire, ni son statut d'association ne font obstacle à ce que le garde des sceaux, ministre de la justice, précise, par l'arrêté attaqué, que le prestataire de services qui assure la gestion de la plateforme destinée à permettre, pour les experts de justice, les échanges dématérialisés avec les juridictions, agira sous sa responsabilité. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision du ministre soit entachée sur ce point d'erreur manifeste d'appréciation.

14. En huitième lieu, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'illégalité faute pour le ministre d'avoir vérifié que le choix du prestataire de services ne serait affecté d'aucune irrégularité résultant d'une situation de conflit d'intérêts, dès lors qu'il n'a pour objet ni pour effet, ainsi qu'il a déjà été dit, de désigner le prestataire de service appelé à agir sous la responsabilité du CNCEJ.

15. En neuvième lieu, et pour le même motif, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'illégalité du fait du choix, par le CNCEJ, de son prestataire de service.

16. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

17. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le garde des sceaux et le Conseil national des compagnies d'experts de justice, la Compagnie des experts architectes près la cour d'appel de Paris et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté qu'ils attaquent. Il suit de là que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les requêtes nos 416146 et 419905 :

18. Les requêtes nos 416146 et 419905 doivent être regardées comme tendant, à titre principal, à l'annulation pour excès de pouvoir et, à titre subsidiaire, à l'abrogation des articles III, IV et V ainsi que des annexes de la convention du 18 avril 2017 concernant la dématérialisation de l'expertise civile entre les experts et les juridictions du premier et du second degré.

En ce qui concerne la compétence du Conseil d'Etat :

19. La convention signée le 18 avril 2017 par le garde des sceaux, ministre de la justice avec le CNCEJ a pour objet de préciser les modalités de consultation et d'échanges électroniques de documents et données relatifs aux expertises civiles confiées par les juridictions judiciaires du premier et du second degré aux experts de justice. Son article III définit, notamment en matière d'équipement et de sécurité informatiques, les obligations mises à la charge respective des juridictions, du CNCEJ et des experts de justice en vue d'assurer l'accès, le bon fonctionnement et la sécurité de la plateforme. Son article IV précise les caractéristiques fonctionnelles et techniques de la plateforme, en confiant sa conception et son exploitation à un prestataire de confiance agissant sous la responsabilité du CNCEJ, dans des conditions garantissant l'authentification des utilisateurs par certificat électronique conservé sur support cryptographique ou par certificat logiciel. L'article V de la convention définit les différentes fonctionnalités de la plateforme. Les annexes de la convention précisent notamment les spécifications fonctionnelles et techniques ainsi que les modalités de déploiement et de support technique dans les juridictions. Ces clauses ont ainsi pour objet de régir, dans le cadre de l'organisation du service public de la justice, les conditions, notamment en termes de sécurité, de mise en oeuvre des échanges électroniques relatifs aux expertises civiles entre les juridictions, les experts, les avocats et les parties. Elles revêtent dès lors un caractère réglementaire.

20. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale (...) ". Les clauses attaquées qui, ainsi qu'il a été dit, revêtent un caractère réglementaire, doivent être regardées comme ayant été prises par le garde des sceaux, ministre de la justice dans l'exercice du pouvoir réglementaire qu'il tient de l'article 748-6 du code de procédure civile. En vertu des dispositions précédemment citées, le Conseil d'État est donc compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours pour excès de pouvoir dirigés contre elles.

En ce qui concerne les interventions :

21. D'une part, la Compagnie nationale des experts de justice en environnement et autres justifient d'un intérêt suffisant au soutien de la requête no 416146. Leur intervention doit être admise.

22. D'autre part, M. D...-CA... B... et autres justifient, en leur qualité d'expert, d'un intérêt suffisant à demander l'annulation des actes attaqués. Ainsi, leurs interventions au soutien de la requête no 416146 sont admises.

En ce qui concerne la légalité des clauses litigieuses :

23. En premier lieu, d'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 19 que, bien que la convention attaquée ait été signée par le président du CNCEJ, ses clauses réglementaires doivent être regardées comme ayant été prises par le seul garde des sceaux, ministre de la justice, dans l'exercice du pouvoir réglementaire que lui confie l'article 748-6 du code de procédure civile. Il en résulte que le moyen tiré de ce que les clauses réglementaires de la convention attaquée auraient été incompétemment prises par le CNCEJ, lequel ne dispose pas d'un pouvoir réglementaire, doit être écarté. Il en est de même du moyen tiré de ce que le président et le président d'honneur du CNCEJ n'avaient pas compétence pour signer les clauses litigieuses.

24. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 420-1 du code de commerce, sont notamment prohibées, " lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes (...) " qui tendent à " 1° limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; 2° faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse (...) ". Alors même que les modalités techniques retenues par la convention attaquée ont une incidence sur le marché des sociétés susceptibles d'assurer le fonctionnement de la plate-forme de communication dématérialisée des expertises judiciaires civiles, les clauses réglementaires litigieuses ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que le CNCEJ ait recours à un prestataire, autre que celui figurant dans la convention, proposant des solutions respectant les conditions techniques qu'elles définissent. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que ces clauses réglementaires méconnaîtraient le principe de libre concurrence doit être écarté.

25. En troisième lieu, ainsi qu'il vient d'être dit, la convention n'a pour objet ou pour effet de désigner le prestataire de service appelé à agir sous la responsabilité du CNCEJ. Dès lors, les moyens tirés de ce qu'elle méconnaît le principe de libre prestation de service ou le principe de liberté de la concurrence et qu'elle a pour effet de placer ce prestataire dans une situation d'abus de position dominante ne peuvent qu'être écartés.

26. En quatrième lieu, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que la convention attaquée serait entachée d'illégalité, faute pour le ministre d'avoir vérifié que le choix du prestataire de services ne serait affecté d'aucune irrégularité résultant d'une situation de conflit d'intérêts, dès lors qu'elle n'a pour objet ni pour effet, ainsi qu'il a déjà été dit, de désigner le prestataire de service appelé à agir sous la responsabilité du CNCEJ.

27. En cinquième lieu, dès lors que la plateforme retenue issue de la solution mise en oeuvre sous la responsabilité du CNCEJ répond aux exigences posées par les dispositions de l'article 748-6 du code de procédure civile et de l'arrêté du 14 juin 2017, les mérites comparés d'autres plates-formes de dématérialisation, notamment de celle de la CEACAP, sont sans incidence sur la légalité de la convention attaquée du 18 avril 2017. Il suit de là que, contrairement à ce qui est soutenu, les clauses réglementaires contestées ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

28. En huitième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 12, il résulte des dispositions de la loi du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires et du décret du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires que l'exercice de l'activité d'expert de justice, de laquelle participe l'usage de la plateforme de communication électronique des expertises, est soumise à la seule condition d'être inscrit sur une liste des experts judiciaires, nationale ou dressée par une cour d'appel. Aucune disposition législative n'impose l'adhésion d'un expert à une compagnie d'experts. La convention attaquée n'impose pas à un expert d'adhérer à une compagnie d'experts pour pouvoir utiliser la plate-forme électronique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté d'association ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

29. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

30. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le garde des sceaux et le Conseil national des compagnies d'experts de justice, la Compagnie nationale des experts de justice en environnement et les autres requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions de la convention qu'ils attaquent. Il suit de là que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Les interventions de la Compagnie nationale des experts de justice en environnement et autres et celles de M. D...-CA... B... et autres au soutien des requêtes nos 416146 et 416148 sont admises.

Article 2 : Les conclusions des requêtes nos 416146, 416148 et 419905 sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Compagnie des experts architectes près la cour d'appel de Paris, représentant désigné, pour l'ensemble des requérants sous les nos 416146 et 416148, à la Compagnie nationale des experts de justice en environnement, premier dénommé, pour l'ensemble des requérants sous le n° 419905 et pour tous les intervenants sous les nos 416146 et 416148, à la garde des sceaux, ministre de la justice, au Conseil national des compagnies d'experts de justice et à M. D...-CA... B..., premier intervenant dénommé.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 416146
Date de la décision : 29/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 jan. 2020, n° 416146
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Laurence Franceschini
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP BOULLOCHE ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:416146.20200129
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