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31/12/2019 | FRANCE | N°421113

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 31 décembre 2019, 421113


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 31 mai et 1er août 2018 et les 4 janvier et 28 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-224 du 30 mars 2018 relatif à la prise en compte d'allégements fiscaux et sociaux dans les tarifs des établissements de soins de suite e

t de réadaptation et au calendrier de la réforme du financement de ces établisseme...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 31 mai et 1er août 2018 et les 4 janvier et 28 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-224 du 30 mars 2018 relatif à la prise en compte d'allégements fiscaux et sociaux dans les tarifs des établissements de soins de suite et de réadaptation et au calendrier de la réforme du financement de ces établissements ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 34 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif et de l'association Groupe SOS santé ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu des dispositions du I de l'article L. 162-23-4 et de l'article R. 162-34-5 du code de la sécurité sociale, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent chaque année pour les activités de soins de suite et de réadaptation, dans le respect de l'objectif des dépenses d'assurance maladie afférent à ces activités, les tarifs nationaux des prestations mentionnées au 1° de l'article L. 162-23-1 servant de base au calcul de la participation de l'assuré, qui prennent effet le 1er mars de l'année en cours. Le décret attaqué, qui complète l'article R. 162-34-5 du code de la sécurité sociale, prévoit qu'à compter du 1er janvier 2020 ces tarifs sont minorés par l'application d'un coefficient tenant compte des effets induits par les dispositifs d'allégements fiscaux et sociaux ayant pour objet de réduire le coût du travail dont la liste est fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale.

Sur l'intervention de l'association Groupe SOS santé :

2. L'association Groupe SOS santé justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Son intervention au soutien de la requête est ainsi recevable.

Sur la compétence :

3. En vertu du II de l'article L. 162-23 du code de la sécurité sociale, un décret en Conseil d'Etat précise les modalités selon lesquelles, chaque année, sont déterminés, en prenant en compte, notamment, les prévisions d'évolution de l'activité des établissements pour l'année en cours, les tarifs nationaux applicables aux activités de soins de suite et de réadaptation, qui peuvent être fixés, en tout ou partie, à partir des données afférentes au coût relatif des prestations d'hospitalisation. L'article L. 162-23-4 du même code dispose que ces tarifs peuvent être différenciés par catégorie d'établissements, notamment en fonction des conditions d'emploi du personnel médical. A ce titre, le pouvoir réglementaire peut légalement prévoir que les tarifs nationaux applicables aux activités de soins de suite et de réadaptation sont déterminés en tenant compte du niveau respectif des charges, notamment de nature fiscale ou sociale, réellement exposées par les établissements des différentes catégories mentionnées à l'article L. 162-22-6 ainsi que des produits susceptibles de venir en atténuation des charges que les tarifs ont vocation à financer.

4. Il suit de là qu'en instaurant un coefficient de minoration destiné à tenir compte des effets induits par les dispositifs d'allégements fiscaux et sociaux ayant pour objet de réduire le coût du travail, le pouvoir réglementaire n'a pas ajouté un critère de modulation des tarifs nationaux applicables aux activités de soins de suite et de réadaptation qui n'aurait pas été prévu par la loi mais s'est borné, en application des dispositions du II de l'article L. 162-23 du code de la sécurité sociale, à préciser les modalités de détermination des tarifs dans le cadre prévu par la loi. Par suite, les moyens tirés de ce que le décret serait dépourvu de base légale et empiéterait sur la compétence réservée à la loi par l'article 34 de la Constitution s'agissant de la détermination des principes fondamentaux de la sécurité sociale doivent être écartés.

Sur la légalité interne :

5. En premier lieu, si le décret attaqué prévoit la prise en considération, dans la fixation des tarifs nationaux des prestations d'hospitalisation, de l'incidence des dispositifs d'allégements fiscaux et sociaux sur la moyenne des charges des établissements de santé, il n'en résulte pas pour autant qu'il aurait méconnu les dispositions législatives instituant les allégements en cause.

6. En deuxième lieu, d'une part, ni l'article L. 162-23 du code de la sécurité sociale ni l'article L. 162-23-4 du même code n'imposaient au pouvoir réglementaire de préciser selon quelles modalités l'arrêté fixant les tarifs nationaux applicables aux activités de soins de suite et de réadaptation peut prendre en compte, outre les atténuations de charges de nature fiscale et sociale, leur éventuel alourdissement, ni, de manière générale, l'ensemble des paramètres influant sur le niveau respectif des charges réellement exposées par les établissements des différentes catégories mentionnées à l'article L. 162-22-6 du même code. D'autre part, le décret attaqué ne fait pas obstacle à ce que les ministres compétents modulent les tarifs nationaux applicables aux activités de soins de suite et de réadaptation à la hausse pour tenir compte de l'évolution des charges des établissements de santé ni à ce qu'ils tiennent compte, au titre de ces charges, d'autres facteurs que les effets des dispositifs d'allégements fiscaux et sociaux ayant pour objet de réduire le coût du travail. La fédération requérante n'est donc pas fondée à soutenir qu'en ne prévoyant qu'une modulation des tarifs à la baisse et en ne tenant compte que d'une partie des contraintes pesant sur le coût du travail dans les établissements de santé, le pouvoir réglementaire aurait méconnu les dispositions des articles L. 162-23 et L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale et commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation.

7. En troisième lieu, c'est par des dispositions suffisamment claires et précises que le décret attaqué a prévu qu'un coefficient de minoration tenant compte des effets induits par les dispositifs d'allégements fiscaux et sociaux serait appliqué aux tarifs nationaux applicables aux activités de soins de suite et de réadaptation et que ce coefficient serait différencié par catégorie d'établissements, définie en fonction des dispositifs d'allégements dont ces établissements sont susceptibles de bénéficier. Le décret attaqué ne saurait avoir pour objet ou pour effet de permettre que ce coefficient soit fixé à un niveau tel qu'il en résulterait, pour une ou plusieurs catégories d'établissements, une baisse des tarifs excédant le bénéfice retiré de ces dispositifs. Enfin, si, à la date d'adoption du décret attaqué, les dispositions de l'article R. 6113-53 du code de la santé publique, énumérant les champs d'activité sur lesquels peuvent porter les études nationales de coûts, ne mentionnaient plus les soins de suite et de réadaptation, cette seule circonstance ne faisait pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire puisse disposer d'éléments suffisamment fiables pour permettre le calcul du coefficient de minoration prévu par le décret attaqué. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que ce décret aurait insuffisamment précisé les modalités de mise en oeuvre du coefficient de minoration qu'il instaure et procédé à une subdélégation illégale au profit de l'arrêté qu'il prévoit.

8. En quatrième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Il n'impose pas de traiter différemment des établissements se trouvant dans des situations différentes.

9. Il résulte des dispositions du I de l'article L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale que les ministres compétents doivent fixer des tarifs pour les différentes prestations, le cas échéant différenciés par catégorie d'établissements, et non des tarifs propres à chaque établissement. Par suite, il ne peut être utilement soutenu que l'application d'un coefficient de minoration identique à tous les établissements d'une catégorie donnée, alors que le bénéfice que chaque établissement retirera individuellement des divers dispositifs d'allègements fiscaux et sociaux variera selon la structure de ses charges de personnel, méconnaîtrait le principe d'égalité.

10. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'article L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale que les tarifs nationaux des prestations d'hospitalisation devraient garantir la couverture intégrale des charges exposées par chaque établissement de santé. En outre, comme il a été dit au point 9, ces tarifs sont des tarifs nationaux, éventuellement différenciés par catégorie d'établissements, et non des tarifs propres à chaque établissement, de sorte que le pouvoir réglementaire n'avait pas à prévoir un mécanisme de compensation en cas de divergence entre l'évolution de l'activité d'un établissement et celle de sa masse salariale. La fédération requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir que, pour ce motif, pas plus que pour ceux examinés ci-dessus, le décret attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation ou méconnaîtrait les articles L. 162-23 et L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de l'association Groupe SOS santé au soutien de la requête est admise.

Article 2 : La requête de la Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif, à l'association Groupe SOS santé, au Premier ministre, à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 421113
Date de la décision : 31/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 déc. 2019, n° 421113
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Arnaud Skzryerbak
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:421113.20191231
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