Vu la procédure suivante :
Par une décision du 17 mars 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi de la requête de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 11 décembre 2015 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social portant extension d'un accord conclu le 29 juin 2015 dans le cadre de la convention collective nationale du personnel des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexes (n° 538), a sursis à statuer sur ces conclusions jusqu'à ce que le tribunal de grande instance de Paris se soit prononcé sur les questions de savoir, d'une part, si l'exercice par les parties à l'accord du 29 juin 2015 de leur liberté contractuelle leur permettait, en l'absence de disposition législative, de prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé, et, d'autre part, si la circonstance que l'accord du 29 juin 2015 ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est de nature à l'entacher d'illégalité et, en cas de réponse positive, sur la question de savoir si cette illégalité affecte la validité de l'accord dans son entier ou non.
Par un jugement n° 17/06345 du 20 février 2018, le tribunal de grande instance de Paris s'est prononcé sur ces questions.
Par arrêt n° 18-13.314 du 9 octobre 2019, la Cour de cassation a statué sur le pourvoi formé par le syndicat des auxiliaires de la manutention et de l'entretien pour le rail et l'air (SAMERA), la fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services FEETS FO, la fédération nationale des ports et docks FNPD CGT, la fédération générale des transports FGT CFTC et la fédération SUD Rail contre ce jugement.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 17 mars 2017 ;
Vu
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat du syndicat des auxiliaires de la manutention et de l'entretien pour le rail et l'air (SAMERA), de la fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services FEETS FO, de la fédération nationale des ports et docks FNPD CGT, de la fédération générale des transports FGT CFTC et de la fédération SUD Rail ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale prévoit qu'à moins qu'elles ne soient instituées par des dispositions législatives ou réglementaires, les garanties collectives dont bénéficient les salariés, anciens salariés et ayants droit en complément de celles qui résultent de l'organisation de la sécurité sociale sont déterminées, notamment, par voie de conventions ou d'accords collectifs. Le I de l'article L. 912-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 2013, dispose que : " Les accords professionnels ou interprofessionnels mentionnés à l'article L. 911-1 peuvent, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, prévoir l'institution de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et comprenant à ce titre des prestations à caractère non directement contributif, pouvant notamment prendre la forme d'une prise en charge partielle ou totale de la cotisation pour certains salariés ou anciens salariés, d'une politique de prévention ou de prestations d'action sociale. / Dans ce cas, les accords peuvent organiser la couverture des risques concernés en recommandant un ou plusieurs organismes mentionnés à l'article 1er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou une ou plusieurs institutions mentionnées à l'article L. 370-1 du code des assurances (...) ", sous réserve du respect des conditions de mise en concurrence et d'égalité définies au II du même article.
2. En application du premier alinéa de l'article L. 2261-15 du code du travail, aux termes duquel : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective ", le ministre chargé du travail a, par un arrêté du 11 décembre 2015, étendu les stipulations de l'accord du 29 juin 2015 relatif à la mise en place d'un régime professionnel de frais de santé conclu dans le cadre de la convention collective nationale du personnel des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexes. L'accord ainsi étendu procède notamment, en application de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, à la recommandation de CARCEPT-Prévoyance pour la couverture du régime professionnel de frais de santé et institue un fond social dédié à la branche, auquel toutes les entreprises doivent cotiser à hauteur de 2 % des cotisations finançant le régime santé de branche. La Fédération française des sociétés d'assurances, devenue Fédération française de l'assurance, demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté.
3. Par une décision du 17 mars 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a sursis à statuer sur les conclusions de la requête jusqu'à ce que le tribunal de grande instance de Paris se soit prononcé sur le point de savoir, d'une part, si l'exercice par les parties à l'accord du 29 juin 2015 de leur liberté contractuelle leur permettait, en l'absence de disposition législative, de prévoir la mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations et notamment leur financement par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n'adhèrent pas à l'organisme recommandé et, d'autre part, si la circonstance que l'accord du 29 juin 2015 ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale est de nature à l'entacher d'illégalité et, en cas de réponse positive, sur la question de savoir si cette illégalité affecte la validité de l'accord dans son entier ou non.
Sur la légalité de l'arrêté du 11 décembre 2015 :
4. Le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale dispose que : " Les accords mentionnés au I comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités d'organisation de la recommandation sont réexaminées. La procédure prévue au premier alinéa du II est applicable à ce réexamen ". Le tribunal de grande instance de Paris, par un jugement rendu le 20 février 2018, a dit que l'accord du 29 juin 2015, en ce qu'il ne comporte pas la clause de réexamen prescrite par le III de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, est entaché d'illégalité en sa totalité. La Cour de cassation a, par un arrêt rendu le 8 octobre 2019, rejeté le pourvoi formé contre le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 20 février 2018 en tant qu'il statuait sur la question préjudicielle relative à l'absence de clause de réexamen dans l'accord du 29 juin 2015. Il en résulte que l'arrêté attaqué ne pouvait légalement étendre cet accord en l'absence de cette clause. Dès lors que l'accord est entaché d'illégalité dans sa totalité, la fédération requérante est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de cet arrêté dans sa totalité.
Sur les conséquences de l'illégalité de l'arrêté du 11 décembre 2015 :
5. Il ressort des pièces du dossier que la disparition rétroactive des dispositions de l'arrêté du 11 décembre 2015 portant extension des stipulations de l'accord conclu le 29 juin 2015 dans le cadre de la convention collective nationale du personnel des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexes aurait en l'espèce, eu égard tant à la nature du moyen d'annulation retenu, portant sur l'absence d'une clause dont les parties auraient pu légalement prévoir la mise en oeuvre au terme d'un délai de cinq ans, soit postérieurement à la date de la présente décision, et à l'absence d'autre moyen fondé, qu'à l'objet de l'accord étendu, des conséquences manifestement excessives pour les salariés et employeurs auxquels l'arrêté d'extension a rendu l'accord obligatoire, de nature à justifier une limitation dans le temps des effets de son annulation. Dans ces conditions, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur ce fondement, devront être regardés comme définitifs les effets produits par l'arrêté attaqué antérieurement au 9 octobre 2019, date d'entrée en vigueur de l'arrêté du 3 octobre 2019 par lequel le ministre chargé du travail a étendu l'accord du 21 mars 2018 relatif au régime professionnel de frais de santé conclu dans le cadre de la convention collective nationale du personnel des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexe (n° 358) qui, selon ses termes, " annule et remplace dans toutes ses dispositions l'accord du 29 juin 2015 et ses avenants successifs ".
Sur les frais de l'instance :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la Fédération française de l'assurance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de cette fédération, qui n'est pas la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 11 décembre 2015 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social portant extension d'un accord conclu le 29 juin 2015 dans le cadre de la convention collective nationale du personnel des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexes (n° 538) est annulé.
Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets produits antérieurement au 9 octobre 2019 par l'arrêté du 11 décembre 2015 sont regardés comme définitifs.
Article 3 : L'Etat versera à la Fédération française de l'assurance une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le SAMERA, la FGTE CFDT, la FEETS FO, la FGT CFTC, SUD Rail, la FNPD CGT et la CFE-CGC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française de l'assurance, au syndicat des auxiliaires de la manutention et de l'entretien pour le rail et l'air (SAMERA), premier dénommé, pour l'ensemble des défendeurs ayant présenté un mémoire commun avec ce syndicat, et à la ministre du travail.
Copie en sera adressée au SNATT CGC, à l'USPDA CGT et à CARCEPT-Prévoyance.