Vu la procédure suivante :
La société anonyme (SA) Vivendi a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à celui-ci auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1600342 du 16 mars 2017, ce tribunal a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 17VE02074 du 22 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, annulé l'article 1er de ce jugement, en tant qu'il prononçait la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, ainsi que son article 2, et remis ces cotisations à la charge de la société Vivendi.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 décembre 2018 et les 29 mars et 12 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Vivendi demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions de l'appel du ministre de l'action et des comptes publics demeurant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 ;
- le décret n° 2013-463 du 3 juin 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Vivendi ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Vivendi a été admise au régime du bénéfice mondial consolidé prévu à l'article 209 quinquies du code général des impôts, par une décision d'agrément renouvelée, en dernier lieu, jusqu'au 31 décembre 2011. A l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration a remis en cause l'imputation sur l'exercice clos le 31 décembre 2012 des crédits d'impôts constitués sous l'empire de ce régime et qui n'avaient pu être imputés au 31 décembre 2011. Par un jugement du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Montreuil a accordé à la société Vivendi la décharge des impositions et pénalités résultant de cette rectification. Par un arrêt du 22 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a remis ces impositions à la charge de la société et rejeté le surplus de la requête du ministre de l'action et des comptes publics. La société Vivendi se pourvoit en cassation contre les articles 1er et 2 de cet arrêt.
2. Aux termes de l'article 209 quinquies du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 3 de la loi du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011 : " Les sociétés françaises agréées à cet effet par le ministre de l'économie et des finances peuvent retenir l'ensemble des résultats de leurs exploitations directes ou indirectes, qu'elles soient situées en France ou à l'étranger, pour l'assiette des impôts établis sur la réalisation et la distribution de leurs bénéfices réalisés au titre des exercices clos avant le 6 septembre 2011. / Les conditions d'application des dispositions qui précèdent sont fixées par un décret en Conseil d'Etat ". Ainsi qu'il a été jugé par la décision n° 403 320 du 25 octobre 2017 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, si l'article 3 de la loi du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011 a mis fin à ce régime pour les exercices clos après le 6 septembre 2011, la société Vivendi pouvait se prévaloir, compte tenu des caractéristiques particulières de l'agrément que lui avait délivré le ministre et dont elle escomptait retirer un gain fiscal, d'une espérance légitime devant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à laquelle le législateur a porté atteinte sans motif d'intérêt général suffisant, de telle sorte que la société est demeurée en droit de bénéficier du régime du bénéfice mondial consolidé sur l'ensemble de la période couverte par l'agrément dont elle était titulaire, y compris l'exercice clos le 31 décembre 2011.
3. Les conditions d'application du régime du bénéfice mondial consolidé sont fixées par le II de la section II du chapitre II du titre premier de l'annexe II au code général des impôts. Aux termes du 1 de l'article 122 de cette annexe II, dans sa rédaction applicable au litige : " La société agréée est autorisée à imputer sur le montant de l'impôt sur les sociétés dont elle est redevable, au titre de chaque exercice, à raison du résultat consolidé, les prélèvements fiscaux effectués, au titre du même exercice, hors de la France métropolitaine et des départements d'outre-mer, sur les bénéfices de ses exploitations directes et indirectes (...) ". Aux termes de l'article 122 bis de la même annexe II : " Lorsque le montant de l'impôt sur les sociétés dû par la société agréée au titre d'un exercice à raison du résultat consolidé est insuffisant pour permettre la déduction des impôts étrangers ou de la fraction de ces impôts dont l'imputation est autorisée, la partie non déduite de ces impôts est ajoutée successivement au montant des impôts étrangers imputables au titre des exercices suivants jusqu'au cinquième exercice inclusivement. / Ce report est effectué après imputation des impôts étrangers afférents à chacun de ces exercices, en retenant en priorité les impôts afférents aux exercices les plus anciens. / Les impôts qui ne peuvent être imputés ne sont en aucun cas remboursés par le Trésor. " Par ailleurs, en vertu de l'article 132 de cette annexe II, l'agrément du ministre de l'économie et des finances est accordé pour une durée de cinq ans et peut être renouvelé par période de trois ans.
4. D'une part, les dispositions précitées sont demeurées applicables aux sociétés agréées jusqu'à l'extinction des effets du régime du bénéfice mondial consolidé auxquels elles peuvent prétendre, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'elles ont été déclarées périmées par le décret du 3 juin 2013 portant incorporation au code général des impôts et au code des douanes de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ces codes.
5. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article 122 bis de l'annexe II au code général des impôts, précédemment citées, que la fraction des impôts étrangers dus au titre d'un exercice qui n'a pu être imputée sur le montant de l'impôt sur les sociétés dû par la société agréée au titre de cet exercice est placée en report et peut être imputée sur l'impôt sur les sociétés dû par la même société au titre des cinq exercices suivants, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la société ne bénéficierait plus, au titre des exercices en cause, du régime du bénéfice mondial consolidé, notamment du fait de l'extinction de ce dernier, et que, de ce fait, elle ne peut plus imputer les impôts étrangers afférents à l'exercice considéré.
6. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la fraction des impôts étrangers acquittés au cours des exercices d'application du régime du bénéfice mondial consolidé qui n'avait pu être imputée sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise agréée au cours de ces exercices cessait d'être reportable dès sa sortie de ce régime, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit. Par suite, les articles 1er et 2 de son arrêt doivent être annulés.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil, dont le jugement est suffisamment motivé, a prononcé la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels la société Vivendi a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à verser à la société Vivendi, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 22 novembre 2018 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de l'appel du ministre de l'action et des comptes publics tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 16 mars 2017 en tant qu'il a prononcé la décharge des impositions supplémentaires mises à la charge de la société Vivendi au titre de l'exercice clos en 2012 sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 4 500 euros à la société Vivendi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Vivendi et au ministre de l'action et des comptes publics.