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13/12/2019 | FRANCE | N°432428

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 13 décembre 2019, 432428


Vu la procédure suivante :

La société But International a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la réduction de la cotisation de contribution économique territoriale à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2013. Par un jugement no 1502122 du 2 juin 2016, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 16VE02297 du 6 juin 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du ministre des finances et des comptes publics, annulé les articles 1er et 2 de ce jugement, remis à la charge de la société

But International la cotisation de contribution économique territoriale dont...

Vu la procédure suivante :

La société But International a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la réduction de la cotisation de contribution économique territoriale à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2013. Par un jugement no 1502122 du 2 juin 2016, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 16VE02297 du 6 juin 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du ministre des finances et des comptes publics, annulé les articles 1er et 2 de ce jugement, remis à la charge de la société But International la cotisation de contribution économique territoriale dont la réduction avait été accordée par le tribunal administratif au titre de l'année 2013 et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juillet et 9 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société But International demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 14 ;

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;

- la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Liza Bellulo, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société But International ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société But International a sollicité au titre de l'année 2013, pour son compte propre et celui des sociétés qu'elle avait absorbées au cours de l'année 2010, le bénéfice des dispositions de l'article 1647 C quinquies B du code général des impôts. L'administration fiscale ne lui a accordé le bénéfice du dégrèvement transitoire prévu par ces dispositions qu'au titre de ses droits, sans prendre en compte ceux des sociétés qu'elle avait absorbées. La société But International se pourvoit en cassation contre l'arrêt en date du 6 juin 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé les articles 1er et 2 du jugement du 22 juin 2016 du tribunal administratif de Montreuil, remis à la charge de la société But International la cotisation de contribution économique territoriale dont la réduction avait été prononcée par le tribunal au titre de l'année 2013 et rejeté le surplus de ses conclusions.

2. L'article 1647 C quinquies B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, dispose que : " Sur demande du contribuable effectuée dans le délai légal de réclamation prévu pour la cotisation foncière des entreprises, la somme de la contribution économique territoriale, des taxes pour frais et chambres de commerce et d'industrie et pour frais de chambres de métiers et de l'artisanat et de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux due par l'entreprise au titre des années 2010 à 2013 fait l'objet d'un dégrèvement lorsque cette somme, due au titre de l'année 2010, est supérieure de 500 € et de 10% à la somme des cotisations de taxe professionnelle et des taxes pour frais et chambres de commerce et d'industrie et pour frais de chambres de métiers et de l'artisanat qui auraient été dues au titre de 2010 en application du présent code en vigueur au 31 décembre 2009 " et que : " Le dégrèvement s'applique sur la différence entre : / - la somme de la contribution économique territoriale, des taxes pour frais de chambres de commerce et d'industrie et pour frais de chambres de métiers et de l'artisanat et de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux dues au titre de l'année 2010 ; / - et la somme, majorée de 10 %, des cotisations de taxe professionnelle, de taxes pour frais de chambres de commerce et d'industrie et pour frais de chambres de métiers et de l'artisanat qui auraient été dues au titre de 2010 en application du présent code en vigueur au 31 décembre 2009, à l'exception des coefficients forfaitaires déterminés en application de l'article 1518 bis qui sont, dans tous les cas, ceux fixés au titre de 2010. / Il est égal à un pourcentage de cette différence, fixé à : / - 100 % pour les impositions établies au titre de 2010 ; / - 75 % pour les impositions établies au titre de 2011 ; / - 50 % pour les impositions établies au titre de 2012 ; / - 25 % pour les impositions établies au titre de 2013. ". Ces dispositions, qui instituent un dégrèvement imputé, au titre des années 2010 à 2013, sur les cotisations de contribution économique territoriale, bénéficient à l'entreprise qui, au 1er janvier de chacune de ces années, a la qualité de redevable de cette contribution. Il en résulte que lorsqu'une société redevable de la contribution économique territoriale au 1er janvier 2010 et satisfaisant, à cette date, aux conditions posées à l'article 1647 C quinquies B du code général des impôts disparaît par l'effet d'une fusion-absorption, la société absorbante, venant aux droits et obligations de son absorbée, ne peut solliciter le dégrèvement litigieux qu'au titre des années pour lesquelles la société absorbée avait elle-même la qualité de redevable de la contribution économique territoriale.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. La société But International soutient que les dispositions de l'article 1647 C quinquies B du code général des impôts, telles qu'interprétées au point 2 ci-dessus selon une jurisprudence du Conseil d'Etat, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles interdisent à un contribuable ayant absorbé d'autres redevables de la contribution économique territoriale de bénéficier du droit à dégrèvement transitoire dont auraient bénéficié les redevables absorbés si l'opération n'avait pas eu lieu.

5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

6. En premier lieu, la société requérante soutient que les dispositions en litige, en ce qu'elles soumettent les contribuables ayant absorbé des sociétés redevables de la contribution économique territoriale à un traitement différent de celui auquel sont soumis d'autres contribuables, tels que des sociétés civiles et groupement réunissant des membres de professions libérales, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

7. Les membres des sociétés civiles professionnelles, des sociétés civiles de moyens et des groupements réunissant des membres de professions libérales, qui étaient personnellement imposés, en 2010, à la contribution économique territoriale au titre de l'activité exercée au sein de ces structures, pouvaient, à cette date, bénéficier, sous certaines conditions, du dégrèvement prévu par l'article 1647 C quinquies B du code général des impôts. Les dispositions de l'article 108 de la loi de finances pour 2011 prévoyant que ces sociétés et groupements sont redevables de cette contribution, à compter de 2011, n'ont pas eu pour objet et ne sauraient être regardées comme ayant eu légalement pour effet de mettre un terme aux dégrèvements auxquels leurs membres avaient, le cas échéant, droit et ne font pas obstacle à ce que les nouveaux contribuables en demandent le bénéfice, en leur lieu et place, au titre des années 2011 à 2013.

8. Toutefois, la possibilité ainsi reconnue aux sociétés et groupements mentionnés au point 6 de demander le bénéfice du dégrèvement transitoire au titre des années 2011 à 2013 découle non de la transmission de ce droit depuis le patrimoine de leurs membres, mais de son maintien au profit de ces derniers et de la modification, à compter de 2011, du redevable de la contribution économique territoriale par les dispositions de l'article 108 de la loi de finances pour 2011. Par suite, ces contribuables sont placés dans une situation différente de celle des contribuables ayant absorbé des sociétés redevables de la contribution économique territoriale et le grief ne revêt pas de caractère sérieux.

9. En second lieu, la société requérante soutient que les dispositions contestées font peser sur le contribuable ayant absorbé d'autres redevables de la contribution économique territoriale une charge excessive au regard de ses facultés contributives, en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Toutefois, en instituant un dégrèvement imputé, au titre des années 2010 à 2013, sur les cotisations de contribution économique territoriale mises à la charge du redevable, le législateur a retenu des modalités qui ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi, qui est de lisser à titre transitoire sur ces quatre années, les effets de la réforme de la taxe professionnelle pour les contribuables subissant un accroissement de leurs impositions en 2010. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions en litige méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur le pourvoi :

11. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

12. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la société But International soutient que la cour administrative d'appel de Versailles :

- l'a entaché d'insuffisance de motivation en ne recherchant pas si le refus du bénéfice du dégrèvement transitoire pour le compte des sociétés qu'elle avait préalablement absorbées ne la soumettait pas, de manière injustifiée, à un traitement fiscal différent de celui résultant, pour les sociétés civiles professionnelles, les sociétés civiles de moyens et les groupements réunissant des membres de professions libérales, de la jurisprudence du Conseil d'Etat ;

- a méconnu les dispositions de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en jugeant que la situation des sociétés et groupements de professions libérales était sans rapport avec la situation d'une société redevable de la contribution économique territoriale au 1er janvier 2010 qui disparaît ensuite par absorption.

13. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société But International

Article 2 : Le pourvoi de la société But International n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société But International et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 432428
Date de la décision : 13/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 déc. 2019, n° 432428
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Liza Bellulo
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP COLIN-STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:432428.20191213
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