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13/12/2019 | FRANCE | N°422515

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 13 décembre 2019, 422515


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés le 23 juillet 2018 et les 1er mars et 20 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Edwards Lifesciences demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 janvier 2018 par laquelle le Comité économique des produits de santé a fixé le tarif de responsabilité et le prix limite de vente au public en euros toutes taxes comprises des valves percutanées de la gamme Sapien inscrites sur la liste visée à l'article L. 165-1

du code de la sécurité sociale, ainsi que la décision implicite par laquelle ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés le 23 juillet 2018 et les 1er mars et 20 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Edwards Lifesciences demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 janvier 2018 par laquelle le Comité économique des produits de santé a fixé le tarif de responsabilité et le prix limite de vente au public en euros toutes taxes comprises des valves percutanées de la gamme Sapien inscrites sur la liste visée à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que la décision implicite par laquelle ce comité a rejeté son recours gracieux formé le 23 mars 2018 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société Edwards Lifesciences ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 novembre 2019, présentée par le Comité économique des produits de santé ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu des dispositions du I de l'article L. 165-2 et de l'article L. 165-3 du code de la sécurité sociale, les tarifs de responsabilité et les prix des dispositifs médicaux à usage individuel remboursés par l'assurance maladie sous forme de marque ou de nom commercial, inscrits à ce titre sur la liste prévue à l'article L. 165-1 du même code, sont établis par convention entre le fabricant ou le distributeur du produit concerné et le comité économique des produits de santé ou, à défaut, par décision de ce comité, en tenant compte " principalement de l'amélioration éventuelle du service attendu ou rendu, le cas échéant, des résultats de l'évaluation médico-économique des tarifs des produits ou prestations comparables, des volumes de vente prévus ou constatés, des montants remboursés par l'assurance maladie obligatoire prévus ou constatés et des conditions prévisibles et réelles d'utilisation ". En vertu du II de l'article L. 165-2 et du dernier alinéa de l'article L. 165-3, ces tarifs et prix peuvent être baissés par convention ou, à défaut, par décision du Comité économique des produits de santé, au regard de l'un au moins des critères que ces dispositions énumèrent. Enfin, le I de l'article R. 165-15 du même code précise que : " (...) La modification du tarif ou du prix peut intervenir soit à la demande du fabricant ou du distributeur, soit à l'initiative du comité économique des produits de santé, soit à la demande des ministres chargés de la sécurité sociale, de la santé ou de l'économie ou de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ".

2. Il ressort des pièces du dossier qu'en novembre 2017, le Comité économique des produits de santé a souhaité procéder à une diminution des tarifs de responsabilité et des prix des bioprothèses valvulaires, transcutanées, aortiques, inscrites sur la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, et a proposé à chacune des trois sociétés commercialisant de telles valves percutanées de conclure un avenant à la convention fixant ces tarifs et ces prix. De nouveaux tarifs de responsabilité et prix limites de vente au public ont ainsi été fixés par des avenants conclus avec les sociétés Boston Scientific et Medtronic France, pour les valves percutanées commercialisées par ces sociétés, et publiés par voie d'avis au Journal officiel de la République française du 7 février 2018. En revanche, aucun accord n'a pu être trouvé avec la société Edwards Lifesciences concernant les valves percutanées de la gamme Sapien. Cette société doit être regardée comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 janvier 2018, publiée au Journal officiel de la République française le 7 février 2018, relative aux tarifs de responsabilité et prix limites de vente au public applicables à ces valves percutanées, en tant que le Comité économique des produits de santé les fixe à un niveau inférieur à ceux fixés pour les bioprothèses valvulaires, transcutanées, aortiques, Boston Lotus et Medtronic Corevalve.

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, lors de la réunion du Comité économique des produits de santé du 24 janvier 2018, siégeaient son président, son vice-président chargé des produits et prestations mentionnés à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, un représentant du directeur de la sécurité sociale, un représentant du directeur général de la santé, trois représentants des organismes nationaux d'assurance maladie et un représentant désigné par le conseil de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire. Contrairement à ce que soutient la société requérante cette composition du Comité économique des produits de santé était conforme aux prescriptions des articles D. 162-2-1 et D. 162-2-3 du code de la sécurité sociale et la règle de quorum fixée à l'article D. 162-2-5 du même code a été respectée. Si elle soutient également qu'il ne serait pas établi que les règles de suppléance et de mandat prévues par l'article D. 162-2-1 n'auraient pas été respectées, cette allégation est dépourvue de toute précision.

4. En deuxième lieu, aux termes du II de l'article L. 165-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors en vigueur, applicable également, en vertu du dernier alinéa de l'article L. 165-3 du même code, aux prix des produits et prestations inscrits sur la liste prévue à l'article L. 165-1 : " Le tarif de responsabilité (...) peut être fixé à un niveau inférieur ou baissé, par convention ou, à défaut, par décision du Comité économique des produits de santé, au regard d'au moins l'un des critères suivants : / 1° L'ancienneté de l'inscription du produit ou de la prestation associée, ou d'un ensemble de produits et de prestations comparables, sur la liste prévue à l'article L. 165-1 ; / 2° Les tarifs des produits et prestations comparables et les remises applicables au produit ou à la prestation et à ceux comparables recouvrées dans les conditions prévues à l'article L. 165-4 au bénéfice de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés ; / (...) / 4° Le coût net de remises pour l'assurance maladie obligatoire du produit ou de la prestation concernés (...) / (...) / 6° Les volumes de vente prévus ou constatés des produits ou prestations (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que le montant remboursé par l'assurance maladie obligatoire au titre des valves percutanées est passé de 73 à 185 millions d'euros entre 2013 et 2017 et le nombre de valves des gammes Sapien vendues de 2 281 à 6 617 unités au cours de la même période. Si la société requérante fait notamment valoir que ces dispositifs ont déjà subi des baisses de tarif et de prix, qu'ils sont source d'économies pour l'assurance maladie par rapport à la chirurgie de remplacement valvulaire aortique et que l'augmentation du volume des ventes est liée à l'extension des indications de prises en charge par l'assurance maladie, ces circonstances ne faisaient pas obstacle à ce que le Comité économique des produits de santé puisse, sans commettre d'erreur de droit, baisser les tarifs et prix des valves qu'elle commercialise compte tenu du coût du produit pour l'assurance maladie et des volumes de vente constatés. De même, le Comité économique des produits de santé n'a pas commis d'erreur de droit en prenant en considération, dès lors que les conditions légales prévues aux articles L. 165-2 et L. 165-3 du code de la sécurité sociale étaient réunies, l'objectif d'économies nécessaires au respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie mentionné à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, conformément aux orientations reçues des ministres compétents sur le fondement de l'article L. 162-17-3 du même code. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la baisse de tarifs et de prix décidée par le Comité économique des produits de santé serait, au vu de l'ensemble de ces éléments, entachée d'erreur manifeste d'appréciation alors même que les produits de la gamme Sapien 3 n'ont été inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables que le 29 août 2014 et que l'évaluation des remises applicables est contestée.

6. En troisième lieu, aux termes du II de l'article L. 165-4 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'article 59 de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 : " Le remboursement par l'assurance maladie des produits et prestations mentionnés à l'article L. 165-1 peut être subordonné au versement obligatoire de remises par les fabricants ou distributeurs. Le cas échéant, une décision du Comité économique des produits de santé précise si ces remises sont dues par les fabricants ou par les distributeurs. Les remises peuvent concerner un produit ou une prestation ou, le cas échéant, un ensemble de produits ou prestations comparables ou répondant à des visées thérapeutiques similaires. Les remises peuvent notamment prendre en compte l'évolution globale des volumes de ventes pour cet ensemble de produits ou prestations. / S'agissant des produits ou prestations inscrits sur la liste mentionnée au même article L. 165-1 sous forme de marque ou de nom commercial, les remises sont fixées par convention entre le fabricant ou le distributeur et le Comité économique des produits de santé ou, à défaut, par décision du comité (...) ". Contrairement à ce que soutient le Comité économique des produits de santé en défense, ces dispositions sont suffisamment précises pour que leur application n'ait pas été manifestement impossible avant l'intervention du décret en Conseil d'Etat prévu par le dernier alinéa de ce même article pour en définir les conditions d'application. Par suite, elles sont entrées en vigueur dès le lendemain de la publication de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 au Journal officiel de la République française, soit le 1er janvier 2018, et étaient applicables à la fixation des tarifs et prix en litige.

7. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

8. Il ressort des motifs de la décision du 24 janvier 2018 et des écritures produites en défense devant le Conseil d'Etat que le Comité économique des produits de santé a entendu diminuer le tarif de responsabilité et le prix des valves percutanées Sapien en se fondant sur le tarif, accepté par les autres fabricants, des autres valves percutanées et en calculant un prix pondéré destiné à tenir compte des remises prévues, pour les autres fabricants, par voie conventionnelle. Or, d'une part, il résulte des dispositions citées au point 6 qu'à la date de la décision attaquée, le remboursement des dispositifs en cause aurait pu être subordonné, par les ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé, au versement obligatoire de remises par le fabricant ou le distributeur et, d'autre part, ainsi que le fait valoir la société requérante, la fixation d'un tarif et d'un prix assortis de remises calculées et versées a posteriori, en fonction du volume des ventes constatées, est susceptible de ne pas avoir les mêmes incidences, en termes de positionnement commercial et de trésorerie de l'entreprise, que la fixation d'un tarif et d'un prix moins élevés intégrant, en fonction de prévisions de ventes, les remises qui auraient pu être prévues par convention. Toutefois, les sociétés qui, pour l'application des articles L. 165-2 et L. 165-3 du code de la sécurité sociale, choisissent de conclure une convention avec le Comité économique des produits de santé déterminant le tarif de responsabilité et le prix des produits qu'elles commercialisent ne sont pas dans la même situation que celles qui refusent de conclure une telle convention et s'exposent ainsi à ce que le tarif de responsabilité et le prix de leurs produits soient fixés par décision unilatérale du Comité économique des produits de santé. La différence de traitement résultant de la fixation de tarifs de responsabilité et de prix inférieurs à ceux fixés par voie de conventions pour les autres valves similaires, de façon à tenir compte des remises prévues par de telles conventions, en fonction d'estimations dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles soient entachées d'erreur manifeste d'appréciation, est en rapport direct avec l'objet de la décision du Comité économique des produits de santé, consistant à baisser les tarifs et les prix des prothèses valvulaires remboursées par l'assurance maladie, au vu du volume des ventes et des montants pris en charge, pour assurer la maîtrise des dépenses publiques de santé, et n'est pas manifestement disproportionnée au regard de cette différence de situation. Au surplus, il reste loisible à la société requérante de demander à conclure une convention reposant sur les données ayant conduit au tarif et au prix fixés par la décision attaquée du 24 janvier 2018. Par suite, la société requérante, qui ne peut utilement invoquer les conditions de la négociation préalable à l'intervention de la décision attaquée, n'est pas fondée à soutenir que celle-ci méconnaîtrait le principe d'égalité ou celui de libre concurrence.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Edwards Lifesciences n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 24 janvier 2018 qu'elle attaque ni, par voie de conséquence, celle de la décision rejetant son recours gracieux.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Edwards Lifesciences est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Edwards Lifesciences, au comité économique des produits de santé et à la ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 422515
Date de la décision : 13/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 déc. 2019, n° 422515
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Damien Pons
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:422515.20191213
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