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04/12/2019 | FRANCE | N°428205

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 04 décembre 2019, 428205


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 19 février, 23 août et 7 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Santhera Pharmaceuticals (Deutschland) GmbH demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 octobre 2018 par laquelle la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont rejeté sa demande tendant à l'inscription de la spécialité Raxone 150 mg, comprimés pelliculés, sur la liste des

spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux prévue par l'artic...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 19 février, 23 août et 7 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Santhera Pharmaceuticals (Deutschland) GmbH demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 octobre 2018 par laquelle la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont rejeté sa demande tendant à l'inscription de la spécialité Raxone 150 mg, comprimés pelliculés, sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux prévue par l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue par l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 3 décembre 2018 ;

2°) d'enjoindre à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

- la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;

- le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Santhera Pharmaceuticals ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 novembre 2019, présentée par la société Santhera Pharmaceuticals ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie, selon l'article R. 163-2 du même code, par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale. En vertu de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation de ces spécialités par les collectivités publiques sont limités, dans les conditions propres à ces médicaments fixées par le décret mentionné à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, aux produits agréés dont la liste est établie par arrêté des mêmes ministres. Ces listes précisent les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge ou au remboursement des médicaments. Enfin, il résulte, d'une part, de l'article R. 163-4 du code de la sécurité sociale et, d'autre part, des dispositions combinées des articles L. 5123-3 du code de la santé publique et L. 161-37 du code de la sécurité sociale que l'inscription sur ces listes est prononcée après avis de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé.

2. Il ressort des pièces du dossier que la spécialité pharmaceutique Raxone 150 milligrammes comprimés pelliculés, ayant pour substance active l'idébénone, exploitée par la société Santhera Pharmaceuticals Deutschland GmbH, a bénéficié d'autorisations temporaires d'utilisation pour le traitement de la neuropathie optique héréditaire de Leber, délivrées à compter de janvier 2014 par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, sur le fondement des 1° et 2° du I de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique. Le 8 septembre 2015, la Commission européenne a délivré une autorisation de mise sur le marché de cette spécialité " dans des circonstances exceptionnelles ", sur le fondement de l'article 14 du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments, pour le traitement des troubles de la vision chez les patients adolescents et adultes atteints de neuropathie optique héréditaire de Leber. La société a alors demandé, le 4 octobre 2015, son inscription, au titre de cette indication, sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables prévue à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. Par un avis délibéré le 16 décembre 2015 et adopté le 6 janvier 2016, confirmé le 16 mars suivant après audition de la société, la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé s'est prononcée défavorablement sur cette demande en estimant le service médical rendu par la spécialité insuffisant pour l'indication considérée. Les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont implicitement rejeté la demande présentée par la société Santhera Pharmaceuticals à l'expiration du délai d'instruction de 180 jours, prévu par le I de l'article R. 163-9 du code de la sécurité sociale. Par une décision expresse du 5 octobre 2018, les ministres ont confirmé le rejet de la demande de la société. La société Santhera Pharmaceuticals demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 3 décembre 2018.

Sur la légalité externe de la décision du 5 octobre 2018 :

3. En premier lieu, en vertu de l'article R. 163-17 du code de la sécurité sociale, la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé " se réunit sur convocation de son président. / La commission élabore son règlement intérieur (...) ". L'article III-5 de ce règlement intérieur prévoit qu'" à l'issue des débats, le président de séance propose au vote les revendications de l'entreprise pharmaceutique ainsi que les différentes motions résultant des discussions portant notamment sur le service médical rendu et l'amélioration du service médical rendu ".

4. Si la société requérante fait valoir que la transcription des débats de la commission de la transparence lors de sa séance du 16 mars 2016 n'indique pas le nombre de membres s'étant exprimés en faveur d'un service médical rendu insuffisant, mais seulement le nombre de membres s'étant abstenus ou exprimés en faveur d'un service médical rendu faible, cette seule circonstance, qui ne révèle aucune incohérence avec les mentions relatives à la répartition des voix figurant sur le compte rendu de la séance daté du 26 septembre 2016, ne permet pas d'établir que le vote n'aurait pas eu lieu à l'issue des débats comme le prévoit le règlement intérieur de la commission. Par suite, le moyen tiré de ce que l'avis de la commission de la transparence aurait été rendu dans des conditions irrégulières doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale, transposant les dispositions du paragraphe 2 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance maladie : " Les décisions portant refus d'inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique (...) sont communiquées à l'entreprise avec la mention des motifs de ces décisions (...) ". La décision attaquée mentionne les dispositions dont elle fait application et indique se fonder sur l'insuffisance du service médical rendu par la spécialité, en s'appropriant les motifs de l'avis du 6 mars 2016 de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, qui avait été communiqué à la société et qu'elle joignait. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait insuffisamment motivée.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs (...) ". Il résulte de ces dispositions que, d'une part, M. B... C..., reconduit à compter du 30 août 2016 dans les fonctions de sous-directeur du financement du système de soins à la direction de la sécurité sociale à l'administration centrale du ministère des finances et des comptes publics et du ministère des affaires sociales et de la santé, était habilité à signer la décision attaquée aux noms de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics, en leur qualité de ministres chargés de la sécurité sociale, et que, d'autre part, Mme A... D..., reconduite à compter du 7 avril 2018 dans les fonctions de sous-directrice de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins à la direction générale de la santé à l'administration centrale du ministère des solidarités et de la santé, était habilitée à signer la décision attaquée au nom de la ministre des solidarités et de la santé, en sa qualité de ministre chargé de la santé. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence des signataires de la décision attaquée doit être écarté.

Sur la légalité interne de la décision du 5 octobre 2018 :

En ce qui concerne les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation :

7. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code de la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne (...) ". Aux termes du I de l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale : " Les médicaments sont inscrits sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 au vu de l'appréciation du service médical rendu qu'ils apportent indication par indication. Cette appréciation prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur la liste ". Le motif tiré du niveau du service médical rendu est également de nature à fonder légalement le refus d'inscription sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. En outre, en vertu de l'article R. 163-18 du code de la sécurité sociale, l'avis de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, qui précède ces décisions, comporte notamment " 1° L'appréciation du bien-fondé, au regard du service médical rendu, de l'inscription du médicament sur les listes, ou l'une des listes, prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ; / L'avis porte distinctement sur chacune des indications thérapeutiques mentionnées par l'autorisation de mise sur le marché (...) ".

8. En premier lieu, la circonstance que la Commission européenne avait délivré à la spécialité Raxone une autorisation de mise sur le marché, sous réserve du respect de certaines obligations, " dans des circonstances exceptionnelles ", sur le fondement du paragraphe 8 de l'article 14 du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, qui permet la délivrance d'une telle autorisation alors même que le demandeur ne peut fournir des renseignements complets sur l'efficacité et l'innocuité du médicament, ne s'opposait pas à ce que les autorités nationales, dans l'exercice de leurs compétences et en application d'une législation distincte, refusent ensuite d'inscrire cette même spécialité sur les listes prévues aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique pour un motif tiré de ce que les études cliniques fournies à l'appui de la demande d'inscription ne permettaient pas de regarder le service médical rendu de cette spécialité comme suffisant pour justifier sa prise en charge par l'assurance maladie. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les ministres ne pouvaient sans méconnaître l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale qualifier d'insuffisant le service médical rendu d'une spécialité disposant d'une autorisation de mise sur le marché au titre d'une indication pour laquelle il n'existe aucune alternative thérapeutique.

9. En second lieu, si la société requérante soutient que le refus d'inscription de la spécialité Raxone a pour effet de priver les patients du seul traitement disponible pour la neuropathie optique héréditaire de Leber, l'étude clinique dite Rhodos, faisant apparaître, s'agissant de la récupération de l'acuité visuelle d'un des deux yeux, une différence inférieure au seuil de pertinence clinique et statistiquement non significative, n'a pas permis de conclure à la supériorité de cette spécialité par rapport au placebo. Les analyses a posteriori des résultats de cette étude et les données observationnelles que la société requérante invoque, en particulier celles ayant fait l'objet de publications médicales, ne remettent pas sérieusement en cause, les résultats auxquelles l'étude clinique parvient, eu égard aux limites méthodologiques qui les affectent. Dans ces conditions, malgré la gravité de l'affection traitée et la difficulté de réaliser des études cliniques compte tenu de la rareté de la pathologie, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en estimant que la spécialité Raxone présentait un service médical rendu insuffisant et en refusant pour ce motif son inscription sur les listes prévues aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique, les ministres auraient commis une erreur manifeste d'appréciation. La décision attaquée ayant été prise en application des dispositions législatives et réglementaires mentionnées ci-dessus, qui subordonnent le remboursement d'une spécialité pharmaceutique à son inscription sur une liste, en fonction du service médical rendu, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à la protection de la santé rappelé par l'article L. 1110-1 du code de la santé publique ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen :

10. D'une part, il résulte des I et II de l'article L. 162-16-5-2 du code de la sécurité sociale qu'un médicament qui a bénéficié d'une autorisation temporaire d'utilisation prévue au 1° du I de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique bénéficie, postérieurement à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché pour la même indication, d'une prise en charge, à titre provisoire, par les collectivités publiques. Aux termes du III du même article, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision implicite de rejet de la demande d'inscription déposée par la société requérante, la prise en charge " dure jusqu'à ce qu'une décision relative à l'inscription de ce médicament, au titre de son autorisation de mise sur le marché, sur une des listes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ou aux deux premiers alinéas de l'article L. 162-17 du présent code ait été prise et, le cas échéant, jusqu'à ce que l'avis de fixation du tarif de responsabilité ou du prix ait été publié ", sous réserve du dépôt d'une demande d'inscription dans le mois suivant l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché. Il résulte de ces dispositions qu'une décision refusant l'inscription sur ces listes, dès lors qu'elle fait l'objet d'une publication la rendant opposable aux tiers, met fin à la prise en charge au titre de l'article L. 162-16-5-2 du code de la sécurité sociale, sans qu'il soit besoin que les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale prennent une autre décision à cet effet.

11. D'autre part, aux termes du I de l'article R. 163-9 du code de la sécurité sociale : " Les décisions relatives à l'inscription du médicament sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 (...) sont prises et communiquées à l'entreprise dans un délai de cent quatre-vingts jours à compter de la réception par le ministre chargé de la sécurité sociale de la demande mentionnée à l'article R. 163-8 (...) ". En application de ces dispositions, ainsi que de celles du 1° de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration dont il résulte que le silence gardé par l'administration sur une demande tendant à l'adoption d'un acte réglementaire vaut décision de rejet, le silence gardé pendant cent quatre-vingts jours sur une demande d'inscription d'un médicament sur les listes prévues aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique fait naître une décision implicite de rejet.

12. Il ressort des pièces du dossier que la spécialité Raxone, qui a disposé d'autorisations temporaires d'utilisation délivrées en application du 1° du I de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique, a bénéficié, postérieurement à l'obtention de son autorisation de mise sur le marché pour le traitement de la neuropathie optique héréditaire de Leber, d'une prise en charge pour cette indication dans le cadre du régime prévu par les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 162-16-5-2 du code de la sécurité sociale. Une décision implicite refusant son inscription sur les listes prévues aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique est née du silence gardé pendant cent quatre-vingts jours sur la demande présentée par la société Santhera Pharmaceuticals le 4 octobre 2015, sans toutefois faire l'objet de mesures de publicité.

13. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (...) ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. À défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.

14. Si les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale n'ont pas rendu publique la décision refusant l'inscription de la spécialité Raxone sur les listes prévues aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique, de sorte que la spécialité a continué d'être prise en charge en dépit des dispositions du III de l'article L. 162-16-5-2 du code de la sécurité sociale, cette circonstance n'a pu faire naître, pour la société Santhera Pharmaceuticals, aucune espérance légitime quant au maintien de cette prise en charge jusqu'à la réévaluation de la spécialité par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Par suite, la société requérante ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre de la décision attaquée, des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique :

15. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration : " L'autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue, dans la limite de ses compétences, d'édicter des mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6 lorsque l'application immédiate d'une nouvelle réglementation est impossible ou qu'elle entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ".

16. La décision attaquée rejette la demande d'inscription de la spécialité Raxone sur les listes prévues aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique au motif qu'elle présente un service médical rendu insuffisant. Alors même qu'elle ne l'aurait pas anticipée eu égard au maintien de la prise en charge de sa spécialité par l'assurance maladie après le refus implicite de son inscription, la société Santhera Pharmaceuticals, qui se borne à invoquer les conséquences financières que cette décision aura pour elle, n'est pas fondée à soutenir que, faute de mesures transitoires, la décision attaquée porterait atteinte au principe de sécurité juridique, mis en oeuvre par l'article L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Santhera Pharmaceuticals doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Santhera Pharmaceuticals est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Santhera Pharmaceuticals et à la ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au ministre de l'action et des comptes publics et à la Haute Autorité de santé.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 428205
Date de la décision : 04/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2019, n° 428205
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Arnaud Skzryerbak
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:428205.20191204
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