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22/11/2019 | FRANCE | N°433279

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 22 novembre 2019, 433279


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 7 juin 2019 par laquelle le président du conseil départemental du Val-de-Marne a confirmé le rejet de sa demande, présentée le 20 mars 2019, de prise en charge par l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur. Par une ordonnance n° 1905948 du 19 juillet 2019, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémo

ire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du con...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 7 juin 2019 par laquelle le président du conseil départemental du Val-de-Marne a confirmé le rejet de sa demande, présentée le 20 mars 2019, de prise en charge par l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur. Par une ordonnance n° 1905948 du 19 juillet 2019, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 5 et 13 août et le 9 octobre 2019, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B..., et au Cabinet Briard, avocat du conseil départemental du Val-de-Marne ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Melun que M. B..., ressortissant malien né le 10 avril 2001, est entré sur le territoire français le 8 février 2018. Il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département du Val-de-Marne par le juge des enfants du tribunal de grande instance de Créteil, par une ordonnance de placement provisoire puis un jugement des 2 avril et 17 mai 2018. Par un jugement du 22 juin 2018, le juge des enfants a prononcé la mainlevée du placement de M. B..., au motif que sa minorité n'était pas établie. Enfin, au vu de nouveaux documents d'identité de l'intéressé, le juge des enfants l'a de nouveau confié, par un jugement du 1er mars 2019, à l'aide sociale à l'enfance, jusqu'à sa majorité, le 10 avril 2019. Par une décision du 7 juin 2019, le président du conseil départemental du Val-de-Marne a rejeté la demande formée par M. B... en vue de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur. Celui-ci se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 19 juillet 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de cette décision.

Sur l'intervention de l'association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité :

2. L'association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité justifie, eu égard à son objet statutaire et à son action, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la demande de M. B.... Ainsi, son intervention est recevable.

Sur le pourvoi :

3. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) ". L'article L. 222-5 du même code détermine les personnes susceptibles, sur décision du président du conseil départemental, d'être prises en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, parmi lesquelles, au titre du 1° de cet article, les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel et, au titre de son 3°, les mineurs confiés au service par le juge des enfants parce que leur protection l'exige. Aux termes des sixième et septième alinéas de cet article : " Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ". L'article L. 222-5-1 du même code prévoit qu'" un entretien est organisé par le président du conseil départemental avec tout mineur accueilli au titre des 1°, 2° ou 3° de l'article L. 222-5, un an avant sa majorité, pour faire un bilan de son parcours et envisager les conditions de son accompagnement vers l'autonomie. Dans le cadre du projet pour l'enfant, un projet d'accès à l'autonomie est élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur. Il y associe les institutions et organismes concourant à construire une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources (...) ". Enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article R. 221-2 du même code : " S'agissant de mineurs émancipés ou de majeurs âgés de moins de vingt et un ans, le président du conseil départemental ne peut agir que sur demande des intéressés et lorsque ces derniers éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants ".

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

5. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Eu égard aux effets particuliers d'une décision refusant de poursuivre la prise en charge, au titre des deux derniers alinéas de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, d'un jeune jusque-là confié à l'aide sociale à l'enfance, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsqu'il demande la suspension de l'exécution d'une telle décision de refus. Il peut toutefois en aller autrement dans les cas où l'administration justifie de circonstances particulières, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.

6. Dès lors, en jugeant que l'exécution de la décision du 7 juin 2018 refusant sa prise en charge à titre temporaire comme jeune majeur ne portait pas une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation de M. B... pour que la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative puisse être regardée comme remplie, alors que le département ne justifiait pas de circonstances particulières tenant, notamment, à l'existence d'autres possibilités de prise en charge, le juge des référés a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.

8. Il y a lieu, en application du premier alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par M B....

Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux :

9. Sous réserve de l'hypothèse dans laquelle un accompagnement doit être proposé au jeune pour lui permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée, le président du conseil départemental dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants et peut à ce titre, notamment, prendre en considération les perspectives d'insertion qu'ouvre une prise en charge par ce service.

10. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler, s'il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l'intéressé s'il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en oeuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance et en renvoyant l'intéressé devant l'administration afin qu'elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement. Saisi d'une demande de suspension de l'exécution d'une telle décision, il appartient, ainsi, au juge des référés de rechercher si, à la date à laquelle il se prononce, ces éléments font apparaître, en dépit de cette marge d'appréciation, un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge.

11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... ne peut se prévaloir des éventuels vices propres de la décision de refus de prise en charge qu'il critique.

12. En second lieu, il résulte de l'instruction que M. B... n'a été pris en charge, au titre de l'aide sociale à l'enfance, par le département du Val-de-Marne, conformément aux décisions du juge des enfants du tribunal de grande instance de Créteil, que pendant deux brèves périodes, du 2 avril au 22 juin 2018, puis du 1er mars au 10 avril 2019, ce qui n'a pas permis, sans que cette situation soit imputable au département, qu'il bénéficie d'une scolarisation. S'il fait valoir sans être contredit la précarité de sa situation, il résulte également de l'instruction que, bénéficiant d'une " autorisation provisoire de travail " depuis octobre 2019, il suit une formation de maçonnerie, en alternance, au centre de formation d'apprentis d'Ermont, en étant rémunéré par l'entreprise qui l'accueille en contrat d'apprentissage. Dans ces conditions, à la date de la présente décision et eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans la mise en oeuvre des dispositions du code de l'action sociale et des familles qu'il doit appliquer en l'espèce, la situation particulière de M. B... n'apparaît pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge, en qualité de jeune majeur, par le service de l'aide sociale à l'enfance.

13. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la demande de M. B... tendant à la suspension de l'exécution de la décision rejetant sa demande de prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance doit être rejetée. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.

14. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du département, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de l'association d'accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité est admise.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 19 juillet 2019 est annulée.

Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun est rejetée.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au département du Val-de-Marne.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 433279
Date de la décision : 22/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 nov. 2019, n° 433279
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thibaut Félix
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:433279.20191122
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