Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 2 novembre 2017, 7 septembre 2018 et 14 janvier 2019, la société C8 demande au Conseil d'Etat :
1°) de condamner le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à lui verser une indemnité de 4,1 millions d'euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de sa décision n° 2017-298 du 7 juin 2017 ;
2°) de mettre à la charge du Conseil supérieur de l'audiovisuel une somme de 10 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Societe C8 et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat du conseil supérieur de l'audiovisuel ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que, par une décision n° 412074 du 18 juin 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur la requête de la société C8, annulé la décision de sanction n° 2017-298 que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) avait infligé à cette société le 7 juin 2017, consistant en une suspension pendant une durée d'une semaine de la diffusion des séquences publicitaires au sein de l'émission " Touche pas à mon poste " ainsi que des séquences publicitaires diffusées pendant les quinze minutes qui précèdent et les quinze minutes qui suivent la diffusion de cette émission, que celle-ci soit diffusée en direct ou rediffusée, sanction qui a été exécutée à compter du lundi 12 juin 2017.
2. L'annulation de cette décision de sanction a été prononcée au motif que la séquence qui en avait justifié l'édiction, diffusée le 3 novembre 2016 dans l'émission " Touche pas à mon poste ", ne révélait, contrairement à ce qu'avait retenu le Conseil supérieur, aucune méconnaissance des stipulations de l'article 2-3-4 de la convention de service relative aux obligations qui s'imposent à l'éditeur de service en matière d'absence d'atteinte à la dignité de la personne humaine et de retenue dans la diffusion d'images ou de témoignages susceptibles d'humilier les personnes. Le CSA étant une autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, l'illégalité de cette décision de sanction constitue une faute de nature à engager sa responsabilité et la société C8 est en droit d'obtenir de lui la réparation des préjudices directs et certains ayant résulté pour elle de cette décision.
3. La société C8 est fondée à soutenir que son préjudice comporte le montant des recettes publicitaires qu'elle aurait dû percevoir pour les séquences publicitaires qui ont été supprimées, pendant une durée d'une semaine à compter du 12 juin 2017, en application de la sanction entachée d'illégalité.
4. A ce titre, il résulte de l'instruction et notamment de l'étude réalisée par le cabinet SORGEM, versée au dossier par la société C8, qu'à la date de la décision attaquée, le chiffre d'affaires prévisionnel de la société au titre des tranches horaires concernées par la sanction annulée s'élevait, pour les trois semaines suivant le 12 juin 2017, à 3,65 millions d'euros, ce montant du carnet de commande correspondant à un taux de remplissage de 84 % des écrans publicitaires en question. Si la société soutient que, pour calculer la perte de chiffre d'affaires résultant directement de la suspension, pendant une semaine à compter du 12 juin, de ces mêmes écrans publicitaires, ce montant, rapporté à une durée de sept jours, doit être majoré pour tenir compte du taux de remplissage qui aurait été finalement observé en l'absence de la sanction illégale et que ce taux aurait été de 99 %, elle n'établit pas, eu égard au faible délai qui s'est écoulé entre la notification de la sanction et sa mise à exécution ainsi qu'à l'incertitude qui pesait sur les perspectives supplémentaires de commercialisation des écrans publicitaires liés à l'émission " Touche pas à mon poste " dans le contexte de l'époque, que le taux de remplissage des écrans publicitaires concernés se serait, en l'absence de sanction, élevé au-dessus de 84% et que le montant de l'indemnisation doive, par suite, faire l'objet d'un tel redressement. En revanche, il résulte des écritures mêmes de la société C8 que le chiffre d'affaires supplémentaire dont elle invoque la perte doit faire l'objet d'un abattement de 9,7 % correspondant aux taxes et redevances diverses qui auraient été payées par elle sur ce chiffre d'affaires. Il suit de là qu'il sera fait une exacte appréciation de la perte de recettes nette directement liée à la sanction annulée en l'estimant à 1,1 million d'euros.
5. Par ailleurs, la société C8 n'établit l'existence d'aucun préjudice qui aurait résulté de ce que certains de ses annonceurs auraient choisi de réduire leurs achats d'espace, à partir de septembre 2017, en conséquence de la décision annulée. Dès lors, il n'y a pas lieu de lui attribuer une indemnisation à ce titre.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société C8 est seulement fondée à demander la condamnation du CSA à lui verser une somme de 1 100 000 euros au titre du préjudice ayant résulté de l'illégalité de la décision de sanction n° 2017-298 qu'il lui a infligée le 7 juin 2017.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil supérieur de l'audiovisuel une somme de 3 000 euros à verser à la société C8 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la société C8 qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est condamné à verser à la société C8 la somme de 1 100 000 euros.
Article 2 : Le Conseil supérieur de l'audiovisuel versera à la société C8 la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société C8 ainsi que les conclusions du Conseil supérieur de l'audiovisuel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et au Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Copie en sera adressée au ministre de la culture.