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08/11/2019 | FRANCE | N°417846

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 08 novembre 2019, 417846


Vu la procédure suivante :

M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 075 000 F CFP en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de ses conditions de détention au sein du centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania, à Faa'a (Polynésie française). Par un jugement n° 1600448 du 14 novembre 2017, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 18PA00137 du 31 janvier 2018, enregistrée le 1er février 2018 au secrétariat du c

ontentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de...

Vu la procédure suivante :

M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 075 000 F CFP en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de ses conditions de détention au sein du centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania, à Faa'a (Polynésie française). Par un jugement n° 1600448 du 14 novembre 2017, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 18PA00137 du 31 janvier 2018, enregistrée le 1er février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté par M. A... B..., enregistré le 13 janvier 2018 au greffe de cette cour. Par ce pourvoi, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 14 novembre 2017 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 500 000 F CFP ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 226 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 3 ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. C... A... B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... B... était détenu au sein du centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania (Polynésie française) depuis le 14 janvier 2013 lorsque, par une ordonnance du 11 février 2015, le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française a condamné l'Etat, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser une provision d'un montant de 291 200 F CFP au titre du préjudice moral qu'il avait subi du fait de ses conditions de détention durant les périodes du 14 janvier 2013 au 13 janvier 2014 et du 21 janvier 2014 au 11 février 2015. Le 2 septembre 2016, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 1 075 000 F CFP en réparation du préjudice subi du fait de ces conditions de détention. Par un jugement du 14 novembre 2017, le tribunal a, en premier lieu, jugé que ses conditions de détention durant la période du 14 janvier au 8 décembre 2013 portaient atteinte à la dignité humaine, évaluant l'indemnisation du préjudice subi à 291 200 F CFP, soit le montant correspondant à celui versé à titre de provision en exécution de l'ordonnance du 11 février 2015 et, en second lieu, que ses conditions de détention durant la période postérieure au 8 décembre 2013 n'étaient pas contraires à la dignité humaine. M. A... B... se pourvoit en cassation contre ce jugement.

2. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi.

Sur les conclusions dirigées contre le jugement en tant qu'il statue sur la demande d'indemnisation portant sur la période du 14 janvier au 8 décembre 2013 :

3. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour juger que les conditions de détention de M. A... B... au centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania sur la période du 14 janvier au 8 décembre 2013 portaient atteinte à la dignité humaine, le tribunal administratif de la Polynésie français a relevé que l'intéressé avait été détenu dans des conditions d'insalubrité caractérisées par la chaleur et l'humidité, l'absence de système d'aération et d'isolation des toilettes, le manque de lumière naturelle, l'impureté de l'eau transitant par des tuyauteries vétustes et la présence de rats et de cafards. En omettant de rechercher, pour apprécier la gravité de l'atteinte à la dignité humaine résultant de ces conditions de détention et, par suite, évaluer le préjudice moral subi par M. A... B... durant cette période, si l'intéressé avait bénéficié d'un espace de vie individuel inférieur à 2, 6 m2, ainsi qu'il l'alléguait au soutien de sa demande, le tribunal administratif de la Polynésie française a commis une erreur de droit.

Sur les conclusions dirigées contre le jugement en tant qu'il statue sur la demande d'indemnisation portant sur la période postérieure au 8 décembre 2013 :

4. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif de la Polynésie française s'est fondé, pour juger que les conditions de détention de M. A... B... au centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania durant la période postérieure au 8 décembre 2013 ne portaient pas atteinte à la dignité humaine, sur des considérations relatives à l'état des cellules ayant bénéficié d'une rénovation et à la possibilité qui lui a été accordée de travailler, de bénéficier de promenades et de participer à des séances de sport. En omettant d'apprécier ces conditions au regard de l'espace de vie individuel qui lui était réservé au sein de chacune des cellules qu'il a occupées alors qu'il soutenait n'avoir quasiment jamais bénéficié d'un espace de vie individuel supérieur à 2, 6 m2 et avoir subi la promiscuité engendrée par la sur-occupation des cellules, le tribunal administratif de la Polynésie française a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. A... B... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 14 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de la Polynésie française.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. A... B... au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C... A... B... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 417846
Date de la décision : 08/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 08 nov. 2019, n° 417846
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Christelle Thomas
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:417846.20191108
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