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24/10/2019 | FRANCE | N°419630

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 24 octobre 2019, 419630


Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 juillet 2015 par lequel le maire de Marseille a délivré à la société OGIC un permis de construire en vue de l'édification d'un immeuble dénommé " La maison dans la pente 1 ", situé boulevard Estrangin, dans le quartier du Roucas Blanc à Marseille et la décision rejetant son recours gracieux. Par un jugement n° 1509960 du 8 février 2018, le tribunal administratif a fait droit à sa demande

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Procédures devant le Conseil d'Etat

1° Sous le n° 419630, par un pourvoi s...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 juillet 2015 par lequel le maire de Marseille a délivré à la société OGIC un permis de construire en vue de l'édification d'un immeuble dénommé " La maison dans la pente 1 ", situé boulevard Estrangin, dans le quartier du Roucas Blanc à Marseille et la décision rejetant son recours gracieux. Par un jugement n° 1509960 du 8 février 2018, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Procédures devant le Conseil d'Etat

1° Sous le n° 419630, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 avril et 9 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société OGIC demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 419690, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 avril et 9 juillet 2018 et le 10 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Marseille demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la Société OGIC, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme A... et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la commune de Marseille ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus étant dirigés contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Marseille (Bouches-du-Rhône) a, par un arrêté du 30 juillet 2015, délivré à la société OGIC un permis de construire en vue de l'édification d'un immeuble dénommé " La maison dans la pente 1 ", comprenant deux logements en duplex et R+4 et quatre places de stationnement, sur un terrain situé boulevard Estrangin, quartier du Roucas Blanc à Marseille. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Marseille l'annulation pour excès de pouvoir de ce permis de construire et de la décision rejetant son recours gracieux. Par jugement du 8 février 2018, contre lequel la société OGIC et la commune de Marseille se pourvoient en cassation, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande.

3. En premier lieu, en vertu de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci.

4. Le tribunal administratif de Marseille a relevé que Mme A..., propriétaire d'une parcelle située en vis-à-vis du terrain d'assiette de la construction projetée, justifiait, par les éléments qu'elle versait aux débats, de la modification des vues que celle-ci engendrerait, et que la société OGIC n'apportait aucun élément de nature à établir que ces atteintes étaient dépourvues de réalité. Il n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique en en déduisant que la requérante justifiait d'une atteinte directe aux conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance de son bien, et, en conséquence, d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation du permis de construire.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 431-32 du code de l'urbanisme : " Lorsque l'édification des constructions est subordonnée, pour l'application des dispositions relatives à l'urbanisme, à l'institution sur des terrains voisins d'une servitude dite de cours communes, la demande est accompagnée des contrats ou décisions judiciaires relatifs à l'institution de ces servitudes ".

6. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'institution d'une servitude de cours communes est requise pour l'édification d'une construction, le permis de construire autorisant cette construction ne peut être délivré par l'autorité administrative sans qu'aient été fournis par le pétitionnaire, dans le cadre de sa demande, les documents justifiant de ce qu'une telle servitude sera instituée lors de l'édification de la construction projetée.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justifier de ce qu'une convention de cours communes sera instituée lors de l'édification de la construction projetée, la société OGIC a produit une attestation établie par un notaire selon laquelle il existait une promesse de vente, entre les consorts C..., Aurivel-Bonnier et Bellini Gassier Camoin, d'une propriété dont les références au cadastre étaient données, il y avait lieu, dans le cadre de cette promesse de vente, de constituer une convention de cours communes, il était confirmé à ce notaire l'accord des propriétaires du terrain pour constituer cette convention de cours communes, et enfin, cette convention sera réitérée en la forme authentique au plus tard à l'acquisition du terrain par le pétitionnaire. Pour juger que cette attestation ne permettait pas de justifier de ce qu'une servitude de cours communes sera instituée lors de l'édification de la construction projetée, le tribunal administratif a estimé que ce document ne comportait aucun élément permettant d'identifier les parties qui y sont mentionnées, et n'était corroboré par aucun autre élément, tel que la copie du projet de convention d'institution de la servitude ou la promesse de vente mentionnant expressément que les vendeurs s'engagent à constituer une telle servitude. En statuant ainsi, alors que la société OGIC avait produit une attestation établie par un notaire, officier public ministériel, dont les mentions étaient en elles-mêmes suffisantes à établir l'institution d'une convention de cours communes lors de l'édification de la construction projetée, sans qu'elles aient à être corroborées par la production de la promesse de vente ou du projet de convention, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

8. En troisième lieu, selon l'article 13 des dispositions générales du règlement du plan local d'urbanisme : " (...) 13.3. Les séquences architecturales remarquables : S. Des séquences architecturales remarquables sont identifiées aux documents graphiques et répondent au code S suivi d'une lettre par typologie et d'un numéro de classement. Il s'agit de séries d'immeubles remarquables sur un plan architectural et artistique, catégorie SA (grande qualité du mode constructif, témoignage de l'architecture locale, monumentalité), de séries d'immeubles remarquables sur un plan urbanistique, catégorie SB (continuité, rythme, répétition, homogénéité, perspective) et de séries d'immeubles remarquables moins sur un plan architectural ou urbanistique que sur un plan historique, culturel ou identitaire, catégorie SC. Les séquences architecturales remarquables ainsi préservées font l'objet de prescriptions générales détaillées ci-dessous et, le cas échéant, de fiches spécifiques annexées au présent règlement, qui aident à localiser les éléments protégés. / 13.3.1. Prescriptions générales des séquences architecturales remarquables (S). Les constructions nouvelles et les travaux sur constructions existantes ne doivent pas compromettre la cohérence de l'organisation, la volumétrie générale du bâti, la qualité architecturale d'ensemble et le paysage urbain dans lequel ils s'insèrent. Ils doivent respecter les caractéristiques de la séquence concernée (rythmes et ordonnancement). (...) ". La zone UR est ainsi définie par le règlement du plan local d'urbanisme : " L'objectif principal de cette zone est de maintenir des formes urbaines discontinues basses et moyennes, en périphérie de la ville. Les formes recherchées vont donc de l'habitat individuel (UR 1) aux petits collectifs (UR2), tout en maintenant des exigences fortes en matière de qualité paysagère et urbaine afin de garantir la respiration / l'aération de ces tissus. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 11 de la zone UR du règlement du plan local d'urbanisme : " (...) 11.2. Constructions nouvelles. 11.2.1. Murs pignons et retours de façade. Les façades des constructions d'angle, les murs pignons et retours de façade sont traités en harmonie avec les autres façades. 11.2.2. Couverture. Les matériaux et les volumes des couvertures contribuent à leur intégration dans l'environnement et à la valorisation de celui-ci. Hors les toitures terrasses, la couverture des constructions est réalisée selon une pente maximum de 40 % (...) / 11.3. Matériaux et coloris. Le choix et l'emploi des matériaux doivent concourir à la qualité architecturale de la construction et ne doit pas être de nature à compromettre son insertion dans le site (nature, aspect, couleur). Le choix des coloris doit permettre une intégration harmonieuse de la construction dans le site. (...) ".

9. Les dispositions citées ci-dessus ont le même objet que celles de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme dans sa version alors en vigueur, et posent des exigences qui ne sont pas moindres. Par suite, c'est par rapport aux dispositions du règlement du plan local d'urbanisme que doit être appréciée la légalité de l'autorisation d'urbanisme en litige. La commune de Marseille n'est en conséquence pas fondée à soutenir que le jugement serait, pour ce motif, entaché d'une erreur de droit.

10. Si ces dispositions n'imposent pas un mimétisme architectural et ne font pas obstacle à des projets d'architecture contemporaine comportant notamment des toits en terrasse, c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif en a déduit que ces projets doivent toutefois par leur cohérence, leur volume et leur qualité architecturale, s'intégrer de manière harmonieuse dans leur environnement, respecter le rythme et l'ordonnancement de la séquence architecturale à laquelle ils appartiennent et ne pas être ainsi en rupture manifeste avec celle-ci.

11. Tout d'abord, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la construction projetée ne serait pas située en zone séquence architecturale remarquable SC. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif, en retenant que le terrain d'assiette du projet se situait dans un secteur classé par le règlement du plan local d'urbanisme comme séquence architecturale remarquable en catégorie C, aurait dénaturé les faits de l'espèce, qui manque en fait, ne peut qu'être écarté.

12. Ensuite, pour juger que le projet litigieux compromettait l'organisation du bâti dans lequel il doit s'implanter et méconnaissait ainsi les dispositions des articles 11 de la zone UR et 13 des dispositions générales du règlement du plan local d'urbanisme, le tribunal administratif a relevé que les maisons situées en amont et en aval du terrain d'assiette sur le boulevard Estrangin, insérées dans un tissu urbain qui n'est pas récent, présentent toutes des façades percées d'ouvertures, un teint clair tirant vers l'ocre et, à l'exception de l'une d'entre elles, une toiture à pente de couleur ocre, alors que le projet en litige prévoit, outre un toit-terrasse accessible, une façade aveugle en béton enduit clair de cinq mètres de hauteur donnant sur le boulevard et qu'il retient une orientation est/ouest qui se démarque nettement de l'orientation nord/sud des constructions avoisinantes. En statuant ainsi, le tribunal administratif, qui n'a pas commis d'erreur de droit dans l'application des dispositions, citées au point 8, du règlement plan local d'urbanisme, n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

13. En dernier lieu, il ressort des pièces de la procédure que la société OGIC a demandé au tribunal administratif, par son mémoire en défense enregistré le 4 juillet 2016, qu'il applique les dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme permettant de prononcer l'annulation partielle du permis de construire et, le cas échéant, de fixer un délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation, dans le cas où il estimerait que l'un des moyens soulevés contre le permis de construire était fondé. En omettant de se prononcer sur cette demande, après avoir retenu l'un de ces moyens, le tribunal administratif a entaché son jugement d'un défaut de réponse à conclusions.

14. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal a annulé le permis de construire litigieux après avoir jugé que l'autorisation délivrée méconnaissait l'article R. 431-32 du code de l'urbanisme, et les articles 11 de la zone UR et 13 des dispositions générales du règlement du plan local d'urbanisme. Toutefois, c'est par un motif entaché d'erreur de droit, ainsi qu'il a été dit au point 7, qu'il a retenu que le permis attaqué méconnaissait les dispositions de l'article R. 431-32 du code de l'urbanisme. En outre, il n'a pas recherché, ainsi que cela lui était demandé, si le vice qu'il retenait et tiré de la méconnaissance des articles 11 de la zone UR et 13 des dispositions générales du règlement du plan local d'urbanisme faisait obstacle à la régularisation du permis litigieux par un permis modificatif alors que ce vice apparaît susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation en application des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et n'est, par suite, pas de nature à justifier à lui seul l'annulation, par le tribunal, du permis de construire. Dès lors, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la société OGIC et de la commune de Marseille tendant à l'annulation du jugement qu'elles attaquent.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société OGIC et de la commune de Marseille, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société OGIC et de la commune de Marseille présentées au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 février 2018 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Marseille.

Article 3 : Le surplus des conclusions des pourvois de la société OGIC et de la commune de Marseille est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société OGIC, à la commune de Marseille et à Mme B... A....


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 419630
Date de la décision : 24/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 oct. 2019, n° 419630
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:419630.20191024
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